Les Tchèques se sont empressés de fermer leurs frontières, de limiter la liberté de circulation des personnes, et comme leurs voisins slovaques notamment, ils ont d’abord été sévèrement critiqués pour leur repli par les autres pays et la présidente de la Commission européenne. Depuis lundi, je travaille donc à domicile, même si Radio Prague International continue de diffuser ses émissions et d’informer dans plusieurs langues ses auditeurs et lecteurs de son site de l’actualité angoissante.
Par Guillaume Narguet, à Prague – Dans un entretien publié mercredi par un quotidien italien, le pape François a souligné l’importance, en ces temps de confinement, des petits gestes de tendresse, d’affection, de compassion, en somme d’attention et d’amour, à l’intérieur de nos familles. L’importance de redécouvrir une nouvelle proximité avec nos proches. Pour les câlins aussi évoqués par le Saint-Père, il me reste encore à convaincre madame de toute leur nécessité au quotidien, mais pour le reste, à la maison, c’est ce à quoi nous nous efforçons depuis la fermeture des écoles depuis déjà une semaine.
Avant cela, vendredi dernier, même le journal économique Hospodářské noviny, pourtant naturellement plus soucieux des conséquences dévastatrices qu’aura la crise sanitaire sur nos économies suspendues au-dessus d’un vide que l’on nous décrit comme abyssal, avait publié un texte intitulé « Ne laissons pas la quarantaine nous filer entre les doigts » dans lequel son auteur Tomáš Sedláček, un économiste bien connu du grand public tchèque, auteur il y a quelques années du best-seller international « L’Economie du bien et du mal » et conseiller de l’ancien président-philosophe Václav Havel, invitait les lecteurs justement à profiter du long temps libre qui s’offre désormais à nous, chez nous, pour redonner un sens plus spirituel à nos vies. Profitons de nos enfants, lisons (des livres et Le Courrier d’Europe centrale), arrêtons-nous pour réfléchir et détachons-nous – désencombrons-nous ! – du matériel…
Le gouvernent a été parmi les premiers en Europe à prendre des mesures drastiques
Même si ici aussi les chiffres montent en flèche ces derniers jours, la République tchèque reste encore relativement épargnée par l’épidémie (572 personnes contaminées étaient recensées jeudi matin, aucun mort). Bien que critiqué, entre autres raisons pour la pénurie de matériel de protection et sa communication aléatoire, le gouvernent dirigé par Andrej Babiš a été parmi les premiers en Europe à prendre des mesures drastiques pour tenter d’enrayer l’épidémie. Les écoles ont ainsi été fermées, pour au moins un mois, dès le mercredi 11 mars. Un jour seulement plus tôt, j’avais appelé mes parents en France pour les informer que je ne pourrais probablement pas leur rendre visite à Pâques avec les enfants, comme cela était prévu depuis de longs mois. Déçue de mon annonce, ma mère s’en était étonnée et m’avait prétendu que rien de tout cela n’était envisagé en France, que « ce coronavirus, c’est encore vous les journalistes qui en faites toute une affaire ». Dimanche dernier, fâchée – « on s’est foutu de nous », a-t-elle répondu au message gentiment moqueur que je lui ai envoyé le soir à la découverte du faible taux de participation -, elle, ancienne conseillère municipale, n’a pas voté aux municipales dans son village. Pour la première fois peut-être bien de sa vie, elle n’a pas rempli son devoir de citoyenne. A regret, et à la différence de mon père qui, lui, est allé voter, mais « puisque Macron ne dit pas tout »…
De leur côté, les Tchèques se sont empressés de fermer leurs frontières, de limiter la liberté de circulation des personnes, et comme leurs voisins slovaques notamment, ils ont d’abord été sévèrement critiqués pour leur repli par les autres pays et la présidente de la Commission européenne. Cette même Ursula Von del Leyen qui, depuis, a rétropédalé pour admettre que les politiques européens avaient sous-estimé la gravité de la situation.
Depuis lundi, je travaille donc à domicile, même si Radio Prague International continue de diffuser ses émissions et d’informer dans plusieurs langues ses auditeurs et lecteurs de son site de l’actualité angoissante. Nous savons que nous sommes une source d’information précieuse notamment pour les étrangers qui vivent en République tchèque et sont parfois désorientés dans des villes devenues désertes. Lundi matin, curieux, j’ai regardé avec mes enfants le programme pédagogique spécial diffusé en direct par la Télévision tchèque qui se propose de prendre le relais des écoles durant la période de quarantaine. L’après-midi, puisque nous avons la chance d’habiter dans une petite commune de la banlieue de Prague et dans une maison avec un jardin, j’ai fait un foot avec les enfants. J’ai perdu 13-11 après que les deux ballons ont fini chez le voisin, « sifflant » ainsi la fin du match.
Les Tchèques, comme conscients de l’inéluctable, ont été nombreux, très nombreux même, à profiter des derniers moments de liberté […]. Sur le pont Charles, sur la place de la Vieille-Ville, devant le château, ils avaient fait les touristes dans leur propre ville, une ville qui, depuis le développement du low cost et des lignes aériennes directes avec la Chine, ne leur appartient plus.

Le foot, tiens… Dimanche 8 mars après-midi, deux jours avant le match retour de Ligue des champions entre le Paris Saint-Germain et le Borussia Dortmund disputé dans un Parc des Princes à huis clos mais avec des milliers de supporters parisiens réunis devant le stade, j’étais encore en tribune de presse, couvrant le traditionnel grand derby pragois entre le Slavia et le Sparta. Si la Fédération tchèque avait les jours précédents envisagé de faire jouer la rencontre sans public, c’est finalement devant des tribunes pleines et une enceinte à guichets fermés que tout le monde avait pu s’en donner à cœur joie. Dix jours plus tard, même si je sais bien que même en temps normal le football – et le spectacle sportif plus généralement avec lui –, comme le disait si joliment l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, n’est rien de plus que « la chose la plus importante parmi les choses les moins importantes », je me demande, comme tous les amoureux de cette chose donc si futile, quand je remettrai les pieds dans un stade, au milieu des copains, saucisse grillée dans une main (pas lavée), pinte de bière dans l’autre.
Dimanche dernier encore, magasins fermés depuis la veille et soleil aidant, les Tchèques, comme conscients de l’inéluctable, ont été nombreux, très nombreux même, à profiter des derniers moments de liberté pour aller se promener dans la nature. Le soir, des amis ont envoyé des photos prises dans la journée de Prague vidée de ses touristes. Sur le pont Charles, sur la place de la Vieille-Ville, devant le château, ils avaient fait les touristes dans leur propre ville, une ville qui, depuis le développement du low cost et des lignes aériennes directes avec la Chine, ne leur appartient plus. Le soir, Andrej Babiš annonçait sur un ton grave l’interdiction de sortir de chez soi « sauf pour aller travailler », car il faut bien quand même que l’économie continue à tourner un minimum.
Mercredi soir, pour la première fois depuis le week-end dernier, je suis allé faire des courses au supermarché situé sur la place de la commune dans laquelle j’habite. Même s’il n’y avait pas grand-monde, comme tout le monde – car les Tchèques sont généralement des gens disciplinés – en respectant la recommandation de porter (et pas sur le front, hein) un masque de protection retrouvé par ma femme dans les cartons de notre déménagement. Ces masques, elle s’en était servie, il y a dix ans, peu après la naissance de notre fils, quand elle était « seulement » grippée… Depuis ce jeudi, Babiš l’a dit, couvrir bouche et nez ne serait-ce que pour sortir de chez soi est devenu une obligation en République tchèque. Puisque j’ai ce bonheur, mieux vaut donc vraiment profiter de ce que nous avons de plus précieux, de nos enfants, du plaisir de préparer un petit plat et de partager un verre, midi et soir, avec ma chère et tendre. En somme, autant que faire encore se peut, ne pas laisser filer entre les doigts cette quarantaine à l’horizon incertain.