En Pologne, une saison électorale pleine de défis

La Pologne, polarisée à l’extrême entre progressistes et conservateurs, entame une longue séquence électorale à l’issue de laquelle le PiS espère consolider son pouvoir, à la manière de Viktor Orbán en Hongrie. Voici une analyse des forces en présence et des enjeux des scrutins locaux, européens et nationaux à venir ces prochains mois.

Varsovie, correspondance – La rentrée politique en Pologne a sonné le début d’un marathon électoral qui est amené à durer près de 20 mois. D’ici le printemps 2020, les Polonais seront appelés quatre fois aux urnes, pour les élections locales (les 21 octobre et 4 novembre), européennes (mai 2019), législatives (novembre 2019) et présidentielles (mai 2020). Cette période doit être perçue comme une même séquence électorale aux échéances interdépendantes, dont l’enjeu est une potentielle reconduction pour un second mandat des ultraconservateurs populistes du PiS (Droit et Justice), au pouvoir depuis novembre 2015.

Après trois années d’une « révolution conservatrice » extrêmement radicale, qui a maintes fois enfreint la constitution polonaise, le principe de séparation de pouvoir et suscitée les plus vives inquiétudes de Bruxelles, Strasbourg, et Washington, le PiS de Jarosław Kaczyński caracole constamment à 40 % d’opinions favorables. Cette popularité s’explique en premier lieu par la mise en place d’un vaste programme d’allocations familiales, qui a amorcé la création d’un Etat providence dans le pays, et par une conjoncture économique en plein essor, favorisant le plein-emploi et la hausse des salaires.

Ce contexte rend la tâche de l’opposition particulièrement difficile, alors même que les imbroglios institutionnels et les atteintes à l’État de droit paraissent, aux yeux de beaucoup de Polonais, bien abstraits. Si, réunis ensembles, les partis d’opposition pèsent dans les enquêtes d’opinion autant que le PiS et ses potentiels alliés, ils restent à l’heure actuelle en proie aux divisions. Une première tentative d’union vient d’avoir lieu autour de la Coalition Civique (« Koalicja Obywatelska« ), qui, créditée de 30 % dans les sondages, tente de se forger une crédibilité au centre. Les sociaux-démocrates vacillent quant à eux autour de 10 %.

La principale inconnue à gauche reste l’avenir du mouvement formé par Robert Biedroń, jeune maire de la ville de Słupsk, qui avait été en 2011 le premier député ouvertement homosexuel à être élu au Sejm, la chambre basse du Parlement. Biedroń ne cache pas ses ambitions nationales, et souhaite former un vaste mouvement transpartisan sur le modèle de « En Marche » d’Emmanuel Macron. Comme ce dernier, il mise sur la lassitude des électeurs et l’éclatement du clivage bipartisan PO-PiS, qui régit de longue date la vie politique polonaise. À peine son mouvement lancé, les sondages le créditent d’environ 10 % d’intentions de vote. Il reste une personnalité appréciée et populaire, et fait salle comble à chaque étape de sa tournée des villes polonaises.

Le PiS peut-il s’imposer aussi à l’échelon local ?

Les élections locales de l’automne – Elles seront le premier test électoral pour le parti de Jarosław Kaczyński depuis son arrivée au pouvoir. Pour l’homme fort du pays, l’enjeu est de taille : les collectivités locales, grandes villes et régions, restent largement des bastions de l’opposition. Des coalitions de centre droit ou conservatrices modérées gouvernent dans 15 des 16 régions que compte le pays, et dans la totalité des métropoles. Le PiS, qui reste un parti centralisateur et jacobin, rêverait de pouvoir transposer sa « révolution » à l’échelle locale, dans un pays où les collectivités locales bénéficient d’une large autonomie.

Selon certains pronostics, le PiS pourrait récupérer jusqu’à huit régions, essentiellement sur le flanc Est du pays, réputé moins développé et plus conservateur. Pour le politologue et historien Antoni Dudek, de l’Université du Cardinal Wyszyński de Varsovie, « la question clef est de savoir à quel point les changements radicaux de ces trois dernières années, qui ont conduit à une polarisation sans précédent de la société, auront un effet mobilisateur sur l’électorat aussi bien pro qu’anti gouvernemental. Le facteur déterminant sera la participation électorale, qu’aucune étude d’opinion ne peut anticiper. »

La révolution conservatrice aura-t-elle fait bouger les lignes de la société polonaise ? Les Polonais, qui sont à peine 50 % à voter aux grandes élections, auront-ils un regain d’intérêt pour les affaires publiques ? La teneur du débat politique par médias interposés – d’une rare violence – pourrait laisser à penser que oui. De même, la politique sociale, qui a considérablement contribué à réduire la pauvreté, pourrait avoir un effet mobilisateur pour des pans entiers de la population jusque-là apolitique.

Le leader la Plateforme Civique (PO, centre droit), Grzegorz Schetyna, a déclaré lors de la convention de son parti, le 8 septembre, que « (ces) quatre batailles électorales décideront de l’avenir de la Pologne comme pays oriental ou occidental. » Pour les libéraux polonais, de droite comme de gauche, la politique du PiS, qui met en place une « démocratie illibérale » largement inspirée par le hongrois Viktor Orbán, éloigne la Pologne des normes occidentales et propulse le pays dans une « zone grise » entre l’Occident et la Russie.

Jarosław Kaczyński, de son côté, a indiqué la marche à suivre pour son parti, le 2 septembre : « L’européanisme ne signifie pas pour nous une obéissance aveugle à Bruxelles, mais l’augmentation du niveau de vie des Polonais vers celui en vigueur en Europe de l’Ouest. Ce qui ne veut pas dire que nous devons répéter les erreurs de l’Occident ou nos laisser contaminer par les maladies sociales qui y règnent. » Dans la bouche des ténors de la majorité, ces « maladies sociales » sont la société multiculturelle, l’avancée des valeurs progressistes et le recul des valeurs religieuses.

Les camps démocrates-progressistes et conservateurs-populistes, qui coupent la société polonaise en deux parts à peu près égales, soutiennent deux visions radicalement opposées de l’Europe et de ce que devrait être la « famille occidentale. » Ces deux camps, plus polarisés et hermétiques que jamais, semblent aujourd’hui irréconciliables. La dynamique des futures échéances électorales déterminera lequel des deux camps prendra le dessus, et quelle sera la position de la Pologne sur la carte de l’Europe.

Jakub Iwaniuk

Jakub Iwaniuk est un journaliste et photographe franco-polonais. Depuis 2015, il est le correspondant à Varsovie du journal "Le Monde". Il est membre du collectif Daleko-Blisko, regroupant des journalistes spécialisés dans l’Europe post-communiste.

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