En Pologne, les plus pauvres pourraient subir l’inflation de plein fouet

Selon le Fonds monétaire international, l’inflation qui touchera la Pologne au cours des prochaines années sera l’une des trois plus élevées de l’Union européenne. Cela signifie une hausse du coût de la vie et une baisse de la valeur réelle des prestations annuelles non revalorisées et des allocations familiales, parmi lesquelles le fameux programme « 500+ ». Les recherches scientifiques confirment que l’inflation frappe en premier lieu les personnes pauvres.

Article de Maciek Piasecki, publié le 10 septembre 2018 sur le site de notre média partenaire en Pologne, OKO.Press, sous le titre « Le prix du pain augmente, celui des yacht se maintient. La hausse de l’inflation en Pologne frappe les plus pauvres ». La traduction du polonais au français a été réalisée par Anne Kasprzack.

Depuis deux ans, la Pologne connaît une baisse de la valeur de l’argent. D’après les prévisions du Fonds monétaire international pour la période 2018-2023, le pays occupera la troisième place dans l’Union européenne en ce qui concerne la hausse des prix, après la Roumanie et la Hongrie. L’inflation dans le pays devrait s’élever à 2,5% par an.

Ce taux est en accord avec l’objectif d’inflation de la Banque nationale de Pologne et les économistes mainstream considèrent qu’un tel niveau d’inflation est plus ou moins sain pour l’économie polonaise. N’y a-t-il pas là pourtant de quoi s’inquiéter ? La réponse dépend de nos revenus. Une plus forte inflation signifie d’un côté que la valeur réelle des prestations va chuter, mais d’un autre côté que le coût de la vie des Polonais les plus pauvres peut croître plus fortement que celui des personnes aisées.

Comme l’explique pour OKO.press Ryszard Szarfenberg, chercheur de l’Institut de politique sociale de l’Université de Varsovie, spécialiste des questions de pauvreté, la théorie et la pratique économique ont montré qu’une inflation plus élevée accroît la pauvreté dans la société. C’est ce que montrent notamment des recherches de l’Université Goethe de Francfort. Des scientifiques ont ainsi démontré, sur la base de données récoltées dans vingt-cinq pays, sur une période allant de 2001 à 2015, que les paniers moyens[1]Le panier moyen est une expression d’usage courant dans le monde de la distribution et du Commerce. Elle désigne le montant moyen dépensé par les acheteurs chaque fois qu’ils fréquentent un point de vente. des 10% les plus pauvres ont augmenté de 10,5% de plus que les paniers moyens du décile le plus riche.

Le programme 500+ s’élève désormais à 470 złotys

La pauvreté due à l’inflation progresse car les augmentations de salaire ne suivent pas la hausse des prix. Cela concerne particulièrement les personnes qui gagnent le moins, c’est-à-dire celles pour qui une baisse de la valeur réelle de leur salaire peut signifier qu’en effectuant exactement les mêmes achats, elles ne pourront par exemple plus payer leur loyer. Et plus l’inflation augmente, plus il est difficile de la compenser par une hausse des salaires. En 2017 par exemple, une inflation de 2% a entièrement « absorbé » la hausse nominale des salaires de plus d’un million de travailleurs et travailleuses du secteur de l’éducation.

Il en va de même pour les prestations sociales payées sur le budget de l’Etat et qui ne sont pas revalorisées régulièrement. Il s’agit par exemple du programme 500+, des allocations familiales, des allocations parentales ou encore des prestations de soins pour les personnes handicapées. Alors que les pensions de vieillesses et les retraites de l’Institut d’assurances sociales sont indexées chaque année sur le taux d’inflation (et, en partie, sur la hausse des salaires), les prestations payées par le budget de l’Etat ne le sont pas. Et les hommes politiques ne se précipitent pas pour le faire.

En outre, en Pologne, l’inflation entraîne surtout une hausse des prix de la nourriture et des combustibles à usage domestique (en août, la hausse enregistrée était de respectivement 2,1 et 15,3%) ; or, les plus pauvres consacrent à ces biens une part plus grande de leurs revenus que les plus riches.

L’inflation n’est pourtant pas le facteur le plus influant sur la pauvreté, ainsi que l’explique le professeur Szarfenberg : le système des allocations a une importance plus grande. Il ne fait pas de doute que l’introduction du programme 500+ en avril 2016 a contribué à réduire de manière significative la pauvreté en Pologne. Mais l’effet du programme 500+ se réduit de plus en plus. La hausse des prix des biens à niveau de prestation constant conduit à une diminution mécanique du pouvoir d’achat des bénéficiaires de ces aides sociales.

Selon les calculs des journalistes du portail Money.pl, c’est comme si les 500 złotys versés au lancement du programme 500+ en avril 2016 avaient fondu à 470 voire 481 złotys (selon les voïvodies).

La ministre Elżbieta Rafalska annonce que les prestations sociales n’augmenteront pas

Comment venir en aide aux personnes victimes de l’inflation ? La réponse est évidente : en valorisant les prestations sociales. Suite aux manifestations des personnes handicapées et du personnel soignant, certaines prestations vont être augmentées en 2018 et 2019, mais cette hausse sera plutôt faible. Et qu’en est-il par exemple des allocations familiales ? Bien que les médias laissent parfois entendre que le gouvernement envisage de relever le montant du programme 500+ (on a entendu parler de « 1000+ »), de telles rumeurs sont souvent démenties par les hommes politiques du parti droit et justice au pouvoir (PiS) : les prestations sociales n’augmenteront pas.

La ministre de la Famille, Elzbieta Rafalka, considère ainsi que ceux qui demandent une valorisation des prestations ont « une attitude un peu exigeante ». Au cours du forum économique de Krynica Górska, la ministre a indiqué que le seuil de revenus à partir duquel il est possible de bénéficier des prestations sociales pourrait être modifié. Mais elle n’a pas dit quand.

Modifier les seuils

Le montant spécifique de la prestation est indiqué dans la loi. Un changement nécessiterait donc une modification législative et non par exemple une simple ordonnance ministérielle, comme cela peut être le cas pour d’autres allocations familiales.

Le programme 500+ est devenu un objet politique et il est difficile d’imaginer que les autorités décideront de le liquider. La Plateforme civique (PO) a même promis d’étendre le programme au premier enfant (Nowoczesna voulait le transformer en allègement fiscal, mais dans la nouvelle « Coalition citoyenne », cette idée va sans doute rester au placard). Le professeur Szarfenberg estime que bien que la pauvreté en Pologne ait diminué dans une mesure moindre que si les prix n’avaient pas augmenté, l’effet du programme 500+ est positif.

Néanmoins, les électeurs du PiS, pour lequels le programme 500+ a pu être décisif pour soutenir ce parti, vont avoir l’impression que leur niveau de vie diminue petit à petit, ce qui peut entraîner une désillusion. Selon une enquête d’OKO.press réalisée en août, parmi ces personnes, on trouve par exemple des femmes pauvres qui, bien qu’elles se déclarent comme faisant partie de l’électorat du PiS, sont favorables à l’assouplissement de la législation concernant l’avortement et manifestent également une attitude résolument pro-européenne. De plus, selon un sondage CBOS, 28% de l’électorat du parti au pouvoir le soutient précisément en raison de son programme social.

« Nous craignons l’irresponsabilité du gouvernement, pas l’inflation »

Le professeur Szarfenberg nous rassure : pour l’instant, en raison du contexte économique mondial, le taux d’inflation ne devrait pas nous inquiéter. « 2,5%, ce n’est pas beaucoup. Il y aura un danger si l’inflation s’accompagne d’autres processus tels que la hausse du chômage, une politique d’État basée sur l’épargne ou bien l’affaiblissement des syndicats. » Selon le chercheur, le risque de crise dans le pays ne résulte pas uniquement de la politique « plus ou moins irresponsable » menée par le gouvernement.

Comme en 2009, la Pologne dépend des tendances et de la conjoncture mondiales. « Si les prévisions des économistes se révèlent justes, la hausse de la croissance en Pologne cessera rapidement et le taux de croissance diminuera. Si cela se produit lentement, nous devrions pouvoir nous adapter. La menace d’effondrement en Italie ne nous concerne pas beaucoup, car mis à part le commerce avec l’Allemagne, nous ne sommes pas si dépendants de la zone euro », explique le chercheur.

Le professeur souligne cependant que personne n’avait prédit la dernière crise. Et une violation grave des normes internationales pourrait également entraîner une crise de la confiance dans la monnaie, comme c’est le cas en Turquie, après l’emprisonnement récent du pasteur américain qu’elle accuse de terrorisme.

Notes

Notes
1 Le panier moyen est une expression d’usage courant dans le monde de la distribution et du Commerce. Elle désigne le montant moyen dépensé par les acheteurs chaque fois qu’ils fréquentent un point de vente.
Maciek Piasecki

Maciek Piasecki a étudié l'histoire de l'art et le journalisme à l'Université de Varsovie. Il s’intéresse aux relations entre la culture et les affaires sociales, telles que le radicalisme politique ou la discrimination dans l'accès aux services publics. Il a fait ses débuts à Machina et a publié, entre autres, dans Wysokie Obcasy, Dwutygodnik et VICE.

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