En Pologne, le retour formel de Jarosław Kaczyński dans l’arène du pouvoir

En revenant au gouvernement, au poste de vice-premier ministre, Jarosław Kaczyński, l’homme fort du PiS, tente de jouer les équilibristes pour mater les factions rebelles au sein de sa coalition de droite au pouvoir.

Patrice Senécal, à Varsovie

C’est un retour sur la ligne de front politique. Un retour officiel, du moins. Après cinq ans à piloter le pays en coulisse, à titre de simple député, le leader du parti Droit et Justice (PiS, national-conservateur), Jarosław Kaczyński, deviendra vice-premier ministre du gouvernement polonais. Et ce, en plus de superviser les domaines de la justice, la défense et l’intérieur. Sa nomination doit être entérinée sous peu par le président Andrzej Duda, affilié au camp du pouvoir.

Un changement « moins personnel que structurel » qui « doit permettre au gouvernement une meilleure prise de décision », a justifié le premier ministre Mateusz Morawiecki, qui en a fait l’annonce mercredi 30 septembre. L’objectif affiché : « harmoniser certaines activités au sein de divers ministères » afin de mieux lutter contre la pandémie de Covid-19, a-t-il déclaré, mais aussi de « défendre les valeurs polonaises et européennes ».

Mais, selon bien des analystes, ce remaniement sert véritablement à aplanir les difficultés entre les partenaires de la coalition gouvernementale, alors qu’une crise couvant depuis début septembre menace de déchirer sa majorité, formée par Pologne solidaire (ultradroite) et L’Entente (centre droit). Le conflit s’est surtout cristallisé lorsqu’une partie des membres du gouvernement a fait défection, mi-septembre, en votant contre une loi en faveur du bien-être animal, une thématique chère à M. Kaczyński. Or, un nouvel accord a été conclu au sein de La Droite unifiée a été signé entre les deux partis, ce samedi 26 septembre, suivie par ce remaniement. Pour le moment, donc, pas de gouvernement minoritaire ni d’élections anticipées en vue.

« À nouveau, Kaczyński rappelle à tout le monde qui dirige vraiment dans ce pays », analyse Edit Zgut, chercheuse à l’Institut de philosophie et sociologie de l’Académie polonaise des sciences, à Varsovie. « Cette nouvelle position à l’échelle du gouvernement semble être un compromis logique devant ce combat de coqs qui se déroule depuis un moment, dans les coulisses du pouvoir », ajoute la politiste. En cause : une lutte de pouvoir qui se joue entre le ministre de la Justice et chef de Pologne solidaire, Zbigniew Ziobro, et Mateusz Morawiecki. Le premier chercherait à succéder au président du PiS à la tête de la droite polonaise. Des ambitions que le deuxième tenterait d’entraver.

Vue comme une manière de jouer les modérateurs afin de contenir ces rivalités, l’entrée en scène formelle de l’homme fort du PiS s’est toutefois faite « au prix de l’affaiblissement du premier ministre », qui serait incapable de mater les rébellions intestines, rappelle Edit Zgut. « C’est toujours Jarosław Kaczyński qui [depuis 2015] a eu la mainmise sur les institutions officielles de l’État […]. C’est l’exercice du pouvoir informel à son meilleur. »

Un cabinet très masculin

Autre élément saillant du remaniement, la nomination au poste du ministre de l’Éducation et des Sciences de Przemyslaw Czarnek, un député PiS ultra-conservateur qui s’est fait connaitre par le passé pour sa volonté de combattre « l’idéologie LGBT » et les « idées de gauche », jugeant peu important le principe de laïcité au sein du système d’éducation. « Dans l’action réelle, cela impliquera de censurer des programmes scolaires et d’en imposer de nouveaux, conformément aux vues catholiques nationales du ministre et du gouvernement, ainsi que de réécrire l’histoire de la Pologne », s’inquiète Roman Imielski, rédacteur adjoint du journal critique du pouvoir Gazeta Wyborcza, ajoutant qu’une « tentative de limiter la liberté académique » n’est pas à exclure.

Il faut dire par ailleurs qu’une seule femme figure parmi les 13 membres du cabinet ministériel. Le ministère de la Famille et de la Politique sociale sera ainsi occupé par Marlena Maląg. Une « absurdité », dénonce le média en ligne de centre-gauche OKO.press, qui souligne que « les femmes constituent la majorité (52%) de la population en Pologne. Pendant ce temps, dans le gouvernement polonais, elles constituent une minorité marginalisée (7%) ».

Ce retour en scène — formel — de M. Kaczyński dans l’arène du pouvoir s’inscrit dans la continuité de son projet de « révolution conservatrice », à commencer par la prise en main de la justice, a laissé entendre le principal intéressé à plusieurs reprises. Un signe, sans doute, que le bras de fer entre Varsovie et Bruxelles n’est pas sur le point de s’apaiser. D’autant que la Commission européenne a dévoilé, mercredi, un rapport qui écorche particulièrement Pologne et Hongrie sur la question du respect de l’État de droit.

Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.

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