En 2017, la police polonaise a enregistré 116 suicides chez les jeunes de moins de 19 ans. Se basant sur les données Eurostat, qui positionnent la Pologne à la seconde plus mauvaise place européenne, la fondation Dajemy Dzieciom Siłę sonne l’alarme. La situation catastrophique de la pédopsychiatre polonaise n’arrange pas les choses.
L’année dernière, 951 enfants et adolescents de moins de 18 ans ont tenté de se suicider, dont 46 avaient moins de 12 ans ; 98 d’entre eux ont mis fin à leurs jours, dont 4 étaient âgés entre 7 et 12 ans. Cette sinistre tendance est à la hausse depuis des années. « Il y a plus d’enfants qui essaient de se suicider. Mais seulement les cas les plus extrêmes rentrent dans les statistiques officielles » – déclare Lucyna Kicińska, la coordinatrice du service d’assistance téléphonique pour les enfants et adolescents Dajemy Dzieciom Siłę. Il s’agit de la plus grande ONG polonaise qui protège les enfants et aide ceux qui ont subi des violences psychologiques, physiques et sexuelles.
En ce qui concerne les suicides, la prévention est la clé et pourtant, elle est négligée. Ce n’est qu’en avril 2020 que les membres de l’équipe de prévention des suicides et de la dépression, sous la direction de la professeure Agnieszka Gmitrowicz, ont signé une résolution réclamant la création d’une base de données nationale, pour collecter des informations sur les facteurs de risque. Une telle base de données faciliterait la prévention des comportements suicidaires, alors qu’aujourd’hui, « nous ne disposons pas d’informations précises et fiables sur les autres facteurs [que la démographie et le lieu de résidence] de risque de tentatives de suicide ».
Selon le Ministère de la Santé, on comptait 362 pédopsychiatres en exercice à la fin de l’année 2017 en Pologne, soit un ratio de 5,2 médecins pour 100 000 enfants et/ou adolescents. C’est deux fois moins que ce que préconise l’OMS.
Une spécialité délaissée
Pour ne rien arranger, la situation de la pédopsychiatrie en Pologne est, de l’avis de nombreux praticiens, catastrophique. Budget insuffisant, personnel en sous-effectifs, manque de lits. Dans la plupart des cas, la règle pour la prise en charge à l’hôpital est claire : une place doit pouvoir être proposée à toute personne qui a fait une tentative de suicide.
La spécialisation en pédopsychiatrie n’est pas attractive pour les étudiants. Selon un rapport de Ministère de la Santé, on comptait 362 pédopsychiatres en exercice à la fin de l’année 2017 en Pologne, soit un ratio de 5,2 médecins pour 100 000 enfants et/ou adolescents. C’est deux fois moins que ce que préconise l’OMS.
Un autre rapport[1]Pédopsychiatrie en Pologne, rédigé en 2019 par Roksana Maślankiewicz et Martyna Bójko de Sieć Obywatelska Watchdog Polska, https://siecobywatelska.pl/raport-watchdoga-jak-zle-jest-w-polskiej-psychiatrii-dzieci-i-mlodziezy/ met en lumière l’ampleur du problème. Les 35 services psychiatriques ne disposent que de 1 039 lits. Évidemment, cela ne subvient pas aux besoins. Lorsqu’il n’y a pas de lits, ils sont souvent installés sur ce qu’on appelle les « lits supplémentaires »…dans les couloirs. En 2018-19, 20 hôpitaux en faisaient usage sur 30 étudiés. En 2018, 150 « lits supplémentaires » ont été déployés dans les services de pédopsychiatrie ouverts 24/24 heures, dont 115 au cours des premiers mois de 2019.
Le gouvernement tarde à agir
Le Ministère de la Santé, qui n’ignore rien de ce problème, a fait de cette spécialisation une priorité de son action, ce qui se traduit essentiellement par plus de financement et des salaires plus attrayants. Mais la situation n’améliore pas de manière significative les soins psychiatriques.
Le professeur Tomasz Wolańczyk attire l’attention sur une lettre ouverte de la communauté des pédopsychiatres qui remonte à 2014, prévenant que le secteur est au bord du gouffre. Il y voit plusieurs raisons : « Pendant longtemps, la pédopsychiatrie est restée une spécialisation qui pouvait se faire après la psychiatrie adulte, ce qui signifiait qu’il n’y avait pratiquement pas d’afflux de spécialistes. Ce n’était pas non plus une spécialisation populaire ». La pédopsychiatrie se place à la jonction de trois domaines négligés et sous-financés : le système de santé, l’éducation et l’assistance sociale. De plus, la spécialisation en pédopsychiatrie ne pouvait s’acquérir que dans 6 des 10 universités de médecine.
Les psychologues peuvent aussi secourir et soulager les maux. Toutefois, afin d’obtenir un rendez-vous, remboursé, chez celui-ci, il faut d’abord passer chez le psychiatre. La nouvelle réforme proposée par le Ministère a pour but de bouleverser une conviction à la base du système polonais, supposant qu’un pédopsychiatre est nécessaire pour un premier diagnostic. Le professeur Wolańczyk constate que « ce modèle de soins très coûteux, ne fonctionne pratiquement nulle part en Europe ».
La réforme s’appuie sur la création de centres de conseil psychologique et psychothérapeutique sans psychiatres chargés du diagnostic. Ce n’est que lorsque les interventions psychologiques et psychothérapeutiques s’avèrent inefficaces que les jeunes patients seront dirigés vers des centres médico-psychologiques et, en dernier recours, vers des hôpitaux psychiatriques. Il s’agit d’un virage à 180 degrés, afin que les urgences ne soient plus, comme aujourd’hui, le premier endroit où les jeunes patients viennent chercher de l’aide.
« Nous envoyons du personnel bien formé en Europe de l’ouest. En conséquence, nous sommes ceux qui avons le moins de psychiatres en Europe ».
La Docteure Lidia Popek, chef du département de psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence de l’Institut de psychiatrie et de neurologie à Varsovie ne cache pas son scepticisme : « En Pologne, nous raisonnons en termes de guérison des symptômes et pas de causes. Le gouvernement devrait enfin comprendre que la santé psychique des enfants et des adolescents garantit le bon fonctionnement de la société. C’est de l’économie à l’état pur : plus on aide la personne rapidement, moins on dépense d’argent. Mais cette approche demande, malheureusement, une reconstruction totale de la structure à tous les niveaux et pour cela, il n’y a pas assez de moyens ». Le professeur Cechnicki ajoute que, ces dernières années, plus d’un millier de psychiatres ont quitté le pays. « Nous envoyons du personnel bien formé en Europe de l’ouest. En conséquence, nous sommes ceux qui avons le moins de psychiatres en Europe, moins que la Bulgarie, nous sommes à la dernière place », souligne-t-il.
« Il n’y a jamais eu autant de dangers pour les jeunes qu’aujourd’hui », estime Mirosława Kątna, psychologue, présidente du conseil d’administration du Comité pour la protection des droits de l’enfant. En 2020, le premier facteur semble évident : le coronavirus, les conflits familiaux et les multiples incertitudes qu’il engendre. Il faut également ajouter l’homophobie omniprésente dans les discours publics qui renforce la vulnérabilité des jeunes homosexuels, alors qu’ils ont déjà une propension beaucoup plus forte au suicide.[2]Ces données montrant que près de deux tiers (69,4%) des adolescents LGBT envisagent le suicide, dont 11,9% très fréquemment.
L’année dernière, le médiateur des droits civiques, Adam Bodnar, a sonné l’alarme. Elle semble avoir été entendue…mais un immense travail reste à faire.
Notes
↑1 | Pédopsychiatrie en Pologne, rédigé en 2019 par Roksana Maślankiewicz et Martyna Bójko de Sieć Obywatelska Watchdog Polska, https://siecobywatelska.pl/raport-watchdoga-jak-zle-jest-w-polskiej-psychiatrii-dzieci-i-mlodziezy/ |
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↑2 | Ces données montrant que près de deux tiers (69,4%) des adolescents LGBT envisagent le suicide, dont 11,9% très fréquemment. |