La liste d’union de l’extrême droite polonaise a fait une forte percée dans les intentions de vote, à quelques jours des élections européennes. Donnée à 8% dans les derniers sondages, la « Konfederacja » séduit près d’un tiers de l’électorat jeune et masculin.
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
La confédération « KORWiN Braun Liroy Narodowcy » ou « Konfederacja » est en passe de devenir « la plus grande alliance de nationalistes, de libertariens et de mouvements civils de l’après 1989 », comme l’avait anticipé Robert Winnicki, l’une des figures de cet attelage électoral scellé en décembre dernier (lire notre interview avec lui ici). Selon le dernier sondage Kantar de Gazeta Wyborcza, la liste d’extrême droite est créditée de 8% d’intention de vote, bien loin devant les populistes de Kukiz’15 (3%), longtemps dominants sur le créneau nationaliste.
Créée en décembre dernier, la Konfederacja est surtout particulièrement populaire chez les jeunes hommes âgés de 18 à 30 ans, qui pourraient être 30% à voter pour elle ce dimanche, selon le même sondage. Ce résultat est presque à front renversé avec le vote des femmes de la même classe d’âge : 27% d’entre elles déclarent vouloir voter pour la Coalition européenne emmenée par la Plateforme civique, et 27% également pour Wiosna, la formation anti-cléricale et progressiste dirigée par Robert Biedroń.
Comme le rappelle Gazeta Wyborcza, les raisons de ce clivage de genre s’expliquent principalement par des raisons culturelles : « avec l’émancipation des femmes, une rupture avec le modèle familial traditionnel et le déclin de l’importance des professions traditionnellement masculines, les hommes se sentent de plus en plus perdus et moins nécessaires. » Par ailleurs, l’objet de la rébellion se cristallise contre l’individualisme capitaliste et le culte du libéralisme économique incarnés par le centre-droit et le centre-gauche, et qui dont la critique est un marqueur traditionnel des partis nationalistes.
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La Konfederacja rassemble pourtant des forces politiques très composites, allant au-delà de la famille nationaliste. Si le Mouvement national de Robert Winnicki veut « construire un État démocratique national en lieu et place de la démocratie libérale », « fondé sur les fondements éthiques et moraux de la foi chrétienne », les partisans de Janusz Korwin-Mikke représentent au contraire une tradition libertarienne du laisser-faire et du minimum d’État.
Les deux autres personnalités de ce rassemblement, Grzegorz Braun et l’ancien rappeur Liroy, montrent également des parcours assez dissemblables, si ce n’est antagonistes. Le premier ne cache pas ses liens avec l’Organisation des monarchistes polonais, un groupuscule nostalgique de la République fédérale aristocratique des Deux Nations, tandis que le second a longtemps circulé entre la gauche anticléricale incarnée autrefois par Janusz Palikot et les populistes de Kukiz’15, sur une ligne en faveur de la légalisation du cannabis et contre les campagnes de vaccination.
« Le programme de la Konfederacja, c’est une Pologne sans Juifs, sans homosexuels, sans avortement, sans impôt et sans Union européenne ! »
Située à la droite du parti au pouvoir Droit et justice (PiS) et reprochant à ce dernier son manque d’allant conservateur et patriotique, la Konfederacja s’est considérablement renforcée durant la campagne électorales des européennes comme un parti radical, eurosceptique et surtout attrape-tout. Lors du meeting de campagne du 8 avril dernier, les différents orateurs avaient d’ailleurs toutes les difficultés du monde à produire un discours cohérent, articulé et concret sur leur feuille de route au Parlement européen.
Janusz Korwin-Mikke s’est contenté de renvoyer le PiS et son concurrent de centre-droit la Plateforme civique (PO) dos à dos, comme représentant « le même diable ». « Le PiS nous attirés vers l’UE (…) C’est à cause de la signature du défunt Lech Kaczyński – l’ancien président polonais, ndlr – que la Pologne a perdu son indépendance et que le droit de l’UE prime sur le polonais », a-t-il par exemple tonné. Son comparse Grzegorz Braun a également tapé sur l’Europe, avec des accents antigermaniques et antisémites : « Les Allemands et les Juifs ne nous apprendront pas l’histoire ». Quant à Robert Winnicki, il s’en est pris à l’immigration asiatique et ukrainienne, contre laquelle l’Union européenne ne ferait rien.
Selon l’universitaire et poète Przemysław Witkowski, spécialiste des milieux d’extrême droite cité par OKO.press, « la Konfederacja est une plateforme reliant les nationalistes, les paléoconservateurs, les pseudolibertariens, les anti-basaltistes et les populistes de droite. Tous ceux qui, d’une part, partagent l’aversion pour la démocratie libérale, l’émancipation des femmes et des minorités sexuelles, les migrants et l’Allemagne, l’Ukraine, les Juifs et l’Union européenne. »
Forte en Pologne, isolée au sein de l’extrême droite européenne
Moscou est considérée comme une capitale internationale du conservatisme fondamentaliste depuis au moins le troisième mandat de Poutine depuis 2012. Si les ultra-conservateurs américains, brésiliens, italiens et allemands expriment leur admiration pour Vladimir Poutine, cette russophilie est difficilement compatible avec l’hostilité d’une grande partie des Polonais envers la Russie.
Pourtant, comme l’analyse OKO.press, la recomposition de l’extrême droite européenne autour d’une ligne de défense des valeurs chrétiennes promue et subventionnée par le Kremlin fait discrètement bouger les lignes au sein des cadres de la Konfederacja. « On remarque que de plus en plus souvent, la xénophobie issue de ses rangs est dirigée surtout vers les Ukrainiens, en contournant d’une certain façon la Russie », écrit ainsi Klementyna Suchanow dans un article daté du 22 mai et consacré au mouvement.
Cette porosité croissante entre les milieux ultra-nationalistes polonais et la Russie, si elle reste très peu documentée, a en tout cas fait l’objet d’une critique publique de Marian Kowalski, vice-président du Mouvement national entre 2014 et 2015. « En Pologne, l’option pro-russe est constituée. J’ai le regret de dire qu’un grand nombre de mes anciens collègues du Mouvement national ont rejoint Grzegorz Braun et d’autres. C’est une association si moderne d’amitié polono-soviétique », avait-il déclaré sur TVP Info. Grzegorz Braun avait rendu visite à Moscou à un « correspondant », Leonid Swiridow, soupçonné d’espionnage par la Pologne et la Tchéquie et s’était adjoint l’aide d’Agnieszka Piwar, une journaliste du site d’information pro-Kremlin Sputnik, lors de sa campagne municipale de mars dernier à Gdańsk.