En Pologne, le gouvernement national-conservateur va-t-il profiter de la crise du coronavirus pour interdire complètement l’avortement ? Mardi, des opposantes ont tenu à manifester, tant bien que mal, à coups de happenings.
Comment manifester quand tout rassemblement de plus de deux personnes est interdit ? Le parti national-conservateur au pouvoir, le Droit et Justice (PiS) a en effet profité de la situation de crise provoquée par l’épidémie pour tenter de réaliser un objectif ancien : l’interdiction totale de l’interruption volontaire de grossesse.
Mardi, des militantes et des militants ont multiplié les manifs-éclair un peu partout dans le pays, un jour avant l’examen d’un nouveau projet de loi par le parlement. En voiture, à vélo et parfois à pied, des Varsoviennes et Varsoviens ont par exemple fait entendre leur voix (et leur klaxons) à midi au niveau du grand rond-point Dmowskiego dans le centre de la capitale. Peu de monde, mais des slogans accrocheurs aux fenêtres des voitures : « L’enfer pour les femmes continue », « Combattez le virus, pas les femmes », « Nous avons un masque mais nous ne nous taisons pas ».
À Wrocław, elles étaient moins nombreuses, mais elles ont quand même fait le tour de la ville en voiture avec leurs drapeaux et manifesté dans le parking d’un supermarché, respectant bien la distance imposée de deux mètres entre chaque personne. Dans d’autres villes, les parkings des supermarchés ont aussi vu ces derniers jours des piquets silencieux de femmes protestant contre le projet de loi.
Deux projets de lois très controversés
La chambre basse du parlement, la Diète, où le PiS détient la majorité avec 235 des 460 députés, doit examiner mercredi le projet de loi intitulé « Stoppons l’avortement ». Si le texte est approuvé, l’IVG sera interdite dans les cas de malformation fœtale. La loi actuelle est pourtant déjà l’une des plus restrictives en Europe. Issue d’un compromis entre tous les partis en 1993, elle autorise l’IVG dans trois cas : risque pour la santé de la mère, grave pathologie de l’embryon et grossesse résultant d’un viol ou d’inceste.
Comme 98 % des avortements légaux ont lieu à cause de malformations du fœtus, l’adoption du projet de loi mènerait de facto à une interdiction quasi-totale de l’avortement. Le projet de loi prévoit même d’interdire les examens prénataux réalisés pour détecter d’éventuels pathologies du fœtus. Dans une interview accordée la semaine dernière à l’hebdomadaire Niedziela, le président Andrezj Duda a assuré qu’il ratifiera la loi, qualifiant l’avortement de « meurtre ». « Je crois que tuer des enfants handicapés est tout simplement un meurtre », a-t-il déclaré.
Un second projet de loi intitulé « Stop à la pédophilie », approuvé en première lecture en octobre dernier, doit aussi être soumis à nouveau aux députés. Il criminalise l’éducation sexuelle, assimilée à de la pédophilie, et prévoit des peines de prison jusqu’à 35 ans pour « toute personne qui encourage ou approuve l’engagement par un mineur de rapports sexuels ou d’autres activités sexuelles ».
Balayer pour de bon le droit à l’IVG est un vieux rêve que caressent les ultra-conservateurs en Pologne, porté par l’association catholique intégriste Ordo Iuris. En 2016, une pétition lancée par le comité « pro-vie » Stop aborcji, signée par 500 000 personnes, avait invité le Parlement polonais à revoir la loi sur l’avortement.
Il avait fallu la mobilisation historique d’une partie de la société polonaise et la fameuse « grève générale des femmes » pour faire échouer un premier assaut du pouvoir. Elle avait culminé avec un « lundi noir » au début du mois d’octobre, quand des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les grandes villes du pays, inspiré par la grève des Islandaises en 1975. Le hashtag #CzarnyProtest et les images de milliers de femmes vêtues de noir dans la rue pour défendre leurs droits avaient fait le tour du monde.
Un peu moins de quatre années plus tard, Jarosław Kaczyński, le chef de file de la droite polonaise, pense tenir sa revanche.