Par ras-le-bol des contraintes et d’une vie au ralenti, de plus en plus de Polonais, simples citoyens ou entrepreneurs, défient le gouvernement et ses mesures anti-Covid-19. « L’État a-t-il les moyens de venir en aide à des millions de chômeurs supplémentaires ? », questionne le président de la chambre de commerce.
Pourtant peu inhabituels dans l’histoire des hivers du pays, ces phénomènes n’avaient néanmoins pas été observés depuis plusieurs années. C’est peut-être ce signe d’un retour à la « normalité », ou plus simplement la difficulté pratique de respirer dans une atmosphère gelée, qui encourage en ce moment de nombreux Polonais à tomber les masques et braver les restrictions édictées en réponse à la pandémie de Covid-19.
Si l’on ne dispose encore de données fiables qui attesteraient d’un mouvement généralisé d’abandon du masque dans l’ensemble du pays, une autre vague semble quant à elle connaître un incontestable succès : le soulèvement de restaurateurs, hôteliers et autres chefs d’entreprise qui, théoriquement toujours soumis depuis fin octobre à une interdiction générale d’accueillir la clientèle, réouvrent malgré cela leurs portes.
Le #otwieraMY polonais (« nous ouvrons »), décliné localement en « vetos » de la Baltique et des montagnes – deux régions très dépendantes du tourisme et donc plus lourdement affectées par l’interdiction – connaîtra-t-il un sort différent du « flop » de son équivalent italien #IoApro (« j’ouvre ») ?
Sebastian Pitoń, porte-parole haut en couleur du mouvement du « veto des montagnes », qui incite de plus en plus d’établissements à réouvrir leurs portes sans rester dans la clandestinité, affirme : « nous avons le droit de vivre normalement et nous avons l’intention de travailler normalement ».
Un précédent qui a enhardi les entrepreneurs
Plusieurs facteurs invitent à ne pas sous-estimer le potentiel de révolte des commerçants en Pologne. Tout d’abord, ils ont, plus encore que leurs confrères italiens, véritablement le couteau sous la gorge en termes économiques. Bien que les secteurs du tourisme et de l’hospitalité représentent beaucoup moins d’emplois et de pourcentage du PIB en Pologne qu’en Italie[1]Ernst & Young, The Hospitality Sector in Europe, An assessment of the economic contribution of the hospitality sector across 31 countries, 2013., les entreprises et les travailleurs italiens sont en cette période de crise relativement plus aidés par les pouvoirs publics. En outre, les indicateurs économiques globaux masquent la forte dépendance de certaines régions et villes polonaises au tourisme et à la vie étudiante, également à l’arrêt depuis la fermeture des campus en octobre.
Une deuxième cause d’enhardissement des chefs d’entreprise polonais découle de la possible illégalité des restrictions adoptées par le gouvernement. Dans un jugement retentissant rendu au début du mois de janvier, le tribunal administratif d’Opole, en Silésie, a annulé une amende infligée à un coiffeur qui avait travaillé en avril dans son salon en dépit de la fermeture générale de tels établissements. Sans remettre en cause le bien-fondé des restrictions, le juge a estimé qu’elles ne pouvaient pas être adoptées par simple décret en dehors du cadre d’un régime d’exception prévu par la Constitution.
Or, les autorités polonaises se sont jusqu’ici toujours gardées d’activer un régime de ce type afin notamment de pouvoir garder la maîtrise du calendrier électoral – aucune élection ne peut légalement se tenir tant que dure l’état d’exception. En plus d’inciter les commerçants et artisans à réouvrir leurs portes, le jugement du tribunal administratif d’Opole pourrait déblayer la voie aux demandes d’indemnisation adressées à l’État pour compenser les pertes provoquées par ses décisions potentiellement illégales.
« Nous commençons à vivre dans un monde illusoire créé par des règles juridiques non respectées par leurs destinataires et non appliquées par les autorités, et à côté de cela existe la vie réelle, marquée par la lutte quotidienne pour la survie d’une entreprise souvent construite pendant toute une vie. » – Andrzej Arendarski, président de la Chambre de commerce et d’industrie.
Enfin, la population polonaise dans son ensemble perd d’autant plus vite patience vis-à-vis des restrictions que celles-ci ne sont pas justifiées par les autorités données fiables et transparentes à l’appui. Dans une lettre ouverte publiée le 14 janvier et destinée au Premier ministre Mateusz Morawiecki, Andrzej Arendarski, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Pologne (KIG), expliquait :
« En observant les actions de l’administration depuis l’été 2020, il est impossible de ne pas avoir l’impression que nous courons à l’aveugle dans une direction inconnue. Les interdictions et restrictions successives sont prises sur la base du nombre d’infections, sans tenir compte du nombre de tests réalisés, de leur type et du degré de gravité de la maladie. La confiance dans cet indicateur n’a en rien été améliorée par la monopolisation de l’accès aux données sur les infections [depuis novembre, le gouvernement interdit aux autres autorités publiques de publier des données relatives à la pandémie après qu’un étudiant de 19 ans a mis en lumière des divergences entre les chiffres fournis par le ministère de la Santé et ceux de l’inspection sanitaire]. La question de la logistique et du déroulement des vaccinations soulève également chez nous de sérieuses craintes.
Il est nécessaire de se poser la question : pouvons-nous nous permettre de continuer à agir de façon chaotique ? Pouvons-nous nous permettre de menacer deux millions d’emplois dans les micro-entreprises à cause d’un confinement général mais théorique ? L’État a-t-il les moyens de venir en aide dans un avenir proche à des millions de chômeurs supplémentaires ? Les secteurs de la banque et du crédit-bail sont-ils préparés à la vague de faillites des entreprises ? Le budget de l’État a-t-il les moyens de couvrir les coûts supplémentaires causés par l’absentéisme au travail des Polonais ? Le système de santé est-il préparé aux coûts supplémentaires liées aux maladies de civilisation (diabète, surpoids, athérosclérose, hypertension) que cause le manque d’activité physique ? Nous commençons à vivre dans un monde illusoire créé par des règles juridiques non respectées par leurs destinataires et non appliquées par les autorités, et à côté de cela existe la vie réelle, marquée par la lutte quotidienne pour la survie d’une entreprise souvent construite pendant toute une vie. […]
J’appelle le Premier ministre et l’ensemble du Conseil des ministres à adopter des critères fiables et transparents sur la base desquels seront prises les mesures administratives : que le degré de menace et de nécessité des restrictions soit le nombre de lits libres dans les hôpitaux ; que la confiance dans les entreprises se traduise par le droit de fonctionner selon un protocole sanitaire, et non en créant des règles obscures de plus en plus souvent ignorées au nom de la désobéissance citoyenne ; que la solidarité s’incarne dans la vaccination la plus rapide possible des enseignants pour que les élèves puissent retourner à l’école au plus tard dans un mois, et non à l’automne. »[2] Andrzej Arendarski, « List otwarty prezesa KIG do Prezesa Rady Ministrów », KIG, 14 janvier 2021, https://kig.pl/list-otwarty-prezesa-kig-do-prezesa-rady-ministrow/.
Notes
↑1 | Ernst & Young, The Hospitality Sector in Europe, An assessment of the economic contribution of the hospitality sector across 31 countries, 2013. |
---|---|
↑2 | Andrzej Arendarski, « List otwarty prezesa KIG do Prezesa Rady Ministrów », KIG, 14 janvier 2021, https://kig.pl/list-otwarty-prezesa-kig-do-prezesa-rady-ministrow/. |