Une vaste escroquerie organisée par une entreprise proche des conservateurs de l’ÖVP, puis un ministre des Finances dans le viseur du parquet anticorruption. Début d’année difficile pour le chancelier autrichien Sebastian Kurz à la tête d’un gouvernement secoué par les affaires.
Le « made in Austria » si fièrement affiché s’est en fait avéré n’être qu’un banal « made in China ». Voilà l’affaire embarrassante qui entoure l’entreprise Hygiene Austria, dont le gouvernement avait accueilli avec enthousiasme la contribution à la « souveraineté » de l’Autriche. Le 3 mars, le parquet autrichien a mené des perquisitions, affirmant que « des masques FFP2 produits à l’étranger auraient été reconditionnés (…) et vendus comme des marques confectionnées en Autriche à un prix plus élevé ». Hygiene Austria a tout d’abord fermement démenti les accusations du parquet, avant d’admettre avoir effectivement importé des masques produits en Chine.
Lors des perquisitions, la police est même tombée nez à nez avec des travailleurs non-déclarés en train de ré-étiqueter les masques fraichement arrivés de Chine. D’après Die Presse, Hygiene Austria a depuis perdu toutes commandes. Cette entreprise, fruit d’une joint-venture entre deux industriels locaux, Lenzing et Palmers, souffre maintenant de tensions entre ses copropriétaires, qui se renvoient la responsabilité. Lenzing, l’actionnaire majoritaire, a décidé de limoger la direction.
Champion déchu de l’économie nationale autrichienne
Lenzing et Palmers ont fondé ensemble Hygiene Austria en avril 2020 pour se lancer dans le business porteur des masques anti-Covid de type FFP2, une entreprise saluée à l’époque avec enthousiasme par le gouvernement. Le chancelier fédéral Sebastian Kurz et la ministre du Travail de l’époque, Christine Aschbacher, avaient même visité le site de production, situé près de Vienne, imités par la gouverneure de Basse-Autriche, Johanna Mikl-Leitner – tous membres du parti de centre droit ÖVP, le parti populaire d’Autriche. Le quotidien Der Standard indique qu’Hygiene Austria a également bénéficié du soutien de l’État qui lui a fourni « 4 machines de production de masques ».
La presse autrichienne et les partis d’opposition pointent les relations suspectes entretenues par la direction de l’entreprise et le gouvernement. En effet, l’un des trois membres du conseil d’administration de Palmers est marié à la cheffe de cabinet du chancelier Sebastian Kurz. Par ailleurs, le parti libéral NEOS souligne le fait que la holding propriétaire de Hygiene Austria (AE BG BetaEta Holding GmbH) a été créée le 12 mars 2020, soit la veille de l’annonce des premières restrictions sanitaires. En août, lors des questions au gouvernement, le cabinet du chancelier a nié entretenir des liens particuliers avec l’entreprise.
Concurrence déloyale pour des masques certifiés en Hongrie
Au-delà du symbole et du mensonge auprès des consommateurs, le scandale réside dans les contrats décrochés par l’entreprise et les coûts de fabrication de ces masques. Hygiene Austria avait en effet remporté le contrat pour fournir à toutes les chaînes de supermarchés des dizaines de millions de masques FFP2 – à condition qu’ils soient « Made in Austria ». Le marquage CE (conformité européenne) est par ailleurs réalisée par une entreprise hongroise basée à Budapest.
De nombreux médias autrichiens rapportent les doutes de l’industrie de la grande distribution sur le bien-fondé de l’accord dès le départ. Fournir une telle quantité de masques, en un temps limité et à un prix réduit (moins d’un euro) tout en garantissant leur qualité, paraissait de fait impossible. Qui plus est, Hygiene Austria a également fourni des masques au parlement, aux hôpitaux régionaux ou à ÖBB. « Nous produisons à Graz, en calculant honnêtement nos prix, n’avons pas obtenu une seule commande fédérale », explique Dominik Holzner, fondateur d’un fabricant de masques concurrent, dans le quotidien Kurier.
Perquisitions chez le ministre des Finances
Cette affaire intervient alors que le gouvernement lui-même est déjà dans le viseur du parquet anti-corruption (WKStA), qui n’a pas hésité à faire perquisitionner le domicile de Gernot Blümel, le ministre des Finances, le 11 février dernier. Ces perquisitions se sont déroulées dans le cadre d’une autre affaire : le scandale d’Ibiza qui avait impliqué l’extrême-droite FPÖ et entraîné la chute du premier gouvernement Kurz en 2019.
Le parquet soupçonne des membres du gouvernement de s’être entendu avec la direction de l’entreprise Novomatic, spécialisée dans les jeux de casino, pour nommer un ancien membre du parti FPÖ à la tête de Casinos Austria, une entreprise codétenue par Novomatic et la République fédérale d’Autriche. En échange, Novomatic aurait obtenu de nombreuses faveurs, comme des licences ou des avantages fiscaux.
Dans cette affaire, Blümel – qui a annoncé ne pas vouloir démissionner – est quant à lui soupçonné de faits de corruption. Le parquet le soupçonne d’avoir fait pression auprès du gouvernement italien pour lever une taxe de 40 millions d’euros pesant sur Novomatic, en échange d’un soutien de l’entreprise à ÖVP. Des SMS échangés avec le PDG de Novomatic, Harald Neumann (qui a démissionné fin février) incriminent Blümel, et remettent notamment en cause certaines de ses déclarations passées.
S’il n’est pas la seule personne visée par le bureau du procureur (une douzaine de personnes liées au gouvernement ainsi qu’à Novomatic sont concernées), Blümel est de loin le protagoniste le plus important. En cours depuis plus de 18 mois, cette enquête a déjà mis en cause d’autres hommes politiques, comme l’ancien ministre des Finances, Hartwig Löger, qui réfute lui aussi toutes les accusations.
Le parquet anticorruption dans le viseur du gouvernement
D’autres affaires fragilisent le gouvernement. L’ancienne ministre du Travail, Christine Aschbacher, a démissionné début janvier suite à des accusations de plagiat dans ses travaux universitaires. Fin janvier, l’expulsion de trois jeunes et de leurs familles a ému une partie de l’opinion, et a fragilisé la coalition gouvernementale en relançant le débat sur la place des Verts dans l’actuelle coalition. Début février, une enquête officielle accablante a révélé les failles des services de renseignement autrichiens avant l’attaque terroriste de novembre dernier.
Malgré tout, le parti populaire d’Autriche caracole toujours en tête des sondages, avec près de 40% d’opinion favorable, loin devant ses concurrents. Aussi, le chancelier Kurz n’hésite pas à se montrer offensif, en s’en prenant directement au parquet anticorruption, qu’il accuse de propager des fausses informations dans la presse. En privée, il évoque même une véritable « chasse aux sorcières » à son encontre, et a exprimé le souhait de remplacer le bureau WKStA – pour l’instant sous l’autorité du ministère de la Justice – par une nouvelle agence anticorruption dans le giron fédéral. Une telle réforme avait été bloquée il y a quelques années par …son propre parti.
Photo d’illustration : Sebastian Kurz en novembre 2018 au congrès du Parti populaire européen (PPE) à Helsinki – Crédits : PPE/Wikimedia Commons