Les électeurs tchèques se sont massivement ralliés à l’ex-général Petr Pavel et à l’ex-premier ministre Andrej Babiš lors du premier tour des élections présidentielles qui a pris des allures de second tour, les 13 et 14 janvier. Petr Pavel a de bien meilleures chances de devenir président, dans deux semaines.
Dès l’annonce des premiers résultats, il était clair que les électeurs tchèques avaient à nouveau surpris les sondeurs. La lutte à trois qui devait inclure l’ex-rectrice Danuše Nerudová n’a jamais eu lieu, alors que les électeurs ont dès le premier tour fait un choix entre les deux favoris, Petr Pavel et Andrej Babiš. Les deux finalistes, au coude-à-coude, se sont partagés 70 % des voix, alors que Nerudová a dû se contenter d’un score décevant de quelque 14 %.
Début janvier, les tout derniers sondages janvier indiquaient certes une chute de l’ex-rectrice, qui avait manqué de combativité quand elle avait été confrontée à une histoire de doctorats express à prix d’or pour étudiants étrangers, mais les résultats ont tout de même stupéfié tous les observateurs. Plutôt que de choisir leur candidat de « cœur », les électeurs semblent avoir plutôt anticipé le second tour et directement misé sur le candidat ayant le plus de chances de l’emporter les 27 et 28 janvier.

Les villes avec Pavel, les régions avec Babiš
Petr Pavel était à la traîne derrière Andrej Babiš pendant toute l’après-midi, alors que le décompte plus rapide des voix des villages et régions favorisait l’ex-premier ministre. Finalement, en fin d’après-midi, les décomptes dans les villes ont permis à l’ex-général de coiffer Babiš au poteau : 35,4 % contre 35 %. À Prague, Pavel a même écrasé son concurrent, en récoltant plus de 50 % des voix, contre 20 % pour Babiš, illustrant une fois de plus un certain fossé politique entre villes et régions.
Comme le remarque le sociologue Daniel Prokop, le fossé est plutôt entre municipalités plus développées et municipalités moins développées. Andrej Babiš a surtout fait d’excellents scores dans les municipalités plombées par la pauvreté, le problème de l’endettement et le faible niveau d’éducation. Ainsi, l’ex-premier ministre a pu compter sur l’appui de 43 % des électeurs des municipalités défavorisées, tandis qu’il n’a récolté que 26 % dans les municipalités plus riches. Pour Pavel, l’inverse est vrai.
Présidentielles en Tchéquie : l’oligarque, le général ou la rectrice ?
Mobilisations partisanes
Le ‘Général Pavel’ a rencontré un succès inespéré auprès des électeurs de presque tous les partis, comme le montrent les sondages post-électoraux. En plus de recueillir la majorité des votes des partis de la droite et du centre libéraux qui forment la coalition au pouvoir (SPOLU, PirSTAN), il a aussi attiré beaucoup d’électeurs de plus petits partis ainsi qu’un nombre non négligeable d’électeurs d’ANO, le parti d’Andrej Babiš, même si ceux-ci sont en grande majorité restés fidèles à ce dernier.
En plus de réussir à mobiliser sa base d’électeurs d’ANO, dont les trois quarts se sont déplacés pour le soutenir, Andrej Babiš a réussi à attirer les électeurs d’extrême-droite du SPD. Ceux-ci ont même été bien plus nombreux à se tourner vers lui qu’à voter pour le candidat de leur propre parti, l’ex-social-démocrate Jaroslav Bašta, qui a eu du mal à aligner trois mots au soir de la déroute et semblait rattrapé par ses 75 ans. Finalement, l’impressionnant score de Babiš est dû à une forte mobilisation de ceux qui n’avaient pas voté aux dernières législatives.
Graphique : Les partisans du SPD ont voté plus pour Andrej Babiš que pour Jaroslav Bašta ; Ceux de SPOLU ont majoritairement soutenu Pavel :

Une répétition de 2018 ?
Le premier tour ressemble en de nombreux aspects au duel entre le président Miloš Zeman et son concurrent Jiří Drahoš lors du second tour de la présidentielle 2018. À l’époque, le président sortant avait fortement mobilisé les électeurs des régions défavorisées pour remporter une victoire aussi serrée que surprenante. Entre les deux tours, il avait joué la carte de l’immigration pour discréditer son opposant et pour pousser les indécis et les abstentionnistes à se déplacer en nombre. Ce sont ces électeurs qui avaient été décisifs pour Zeman lors d’un second tour qui avait vu le taux de participation grimper de plus de 4 %.
Pour Babiš, il s’agit de réaliser le même exploit dans deux semaines, même si cela devrait s’avérer beaucoup plus difficile pour lui. « Babiš a précisément atteint le maximum de son potentiel électoral, selon les sondages. C’est un bon résultat, mais il n’a plus vraiment de voix à aller chercher », analyse le politologue Vít Hloušek de l’Université Masaryk (Brno). En effet, Babiš semble avoir déjà réussi à maximiser le soutien de ses électeurs potentiels, contrairement à son opposant.
En effet, Petr Pavel peut sans doute compter sur une bonne partie des électeurs anti-Babiš de Nerudová (13,9 %), Pavel Fischer (6,7 %) et Marek Hilšer (2,6 %). Du côté de Babiš, il ne peut qu’espérer attirer le reste des électeurs du SPD (Jaroslav Bašta, 4,5 %) et peut-être ceux de Karel Diviš (1,3 %) et Tomáš Zima (0,5 %). Nerudová, Fischer, Hilšer et Diviš ont apporté leur soutien à Pavel dès l’annonce des résultats.
« Un chef d’État-major suffit, nous n’en avons pas besoin de deux. »
Andrej Babiš
Un autre élément qui joue contre les chances d’Andrej Babiš au second tour est le taux de participation impressionnant de 68 % enregistré vendredi et samedi, un record depuis 1998. Cette haute participation semble indiquer que les candidats ont déjà fait près du maximum pour mobiliser les abstentionnistes et qu’il sera dur de percer ce plafond. Pour Babiš, il s’agira entre les deux tours de faire le maximum pour démobiliser les électeurs du camp adverse et pour mobiliser les siens, mais la tâche semble titanesque.
Babiš à l’attaque
« Je félicite le candidate progouvernemental Petr Pavel d’avoir gagné », a déclaré Babiš en conférence de presse à l’annonce des résultats, donnant ainsi le ton pour le duel à venir. « Monsieur Pavel est un militaire et je ne comprends même pas pourquoi il est candidat », « un chef d’État-major suffit, nous n’en avons pas besoin de deux », a-t-il lancé à l’adresse de son rival. Il semble clair qu’Andrej Babiš fera tout dans les deux prochaines semaines pour dépeindre Pavel comme l’homme d’un gouvernement relativement impopulaire.
Pavel a certes déclaré avoir voté pour la coalition de droite SPOLU aux dernières législatives, mais il n’est pas associé de près aux partis qui la composent et il a toujours gardé ses distances. Pour sa candidature, il a préféré récolter les 50 000 signatures nécessaires auprès du public plutôt que de choisir le chemin alternatif, qui est de se porter candidat grâce au soutien de parlementaires, comme l’a fait Babiš. En tentant de transformer le second tour en referendum contre le gouvernement de Petr Fiala, Babiš joue sans doute la seule carte qui puisse le faire gagner.
Du côté du gagnant du premier tour, les commentaires ont été plus réservés. « J’aime les défis et d’une certaine façon je me réjouissais d’avoir Andrej Babiš comme rival au second tour, parce que c’est un rival qui motive. » Pendant toute sa campagne, Petr Pavel s’est présenté comme l’homme capable de battre Babiš et il se peut bien qu’il tente de faire du second tour un referendum sur l’ex-premier ministre. Nous verrons dans les prochains jours lequel de ces deux « referendums » s’imposera aux électeurs comme l’enjeu principal dans la dernière ligne droite.