La romancière polonaise Olga Tokarczuk s’est vu décerner mardi le Prix international Man Booker pour son roman « Bieguni », traduit en anglais par « Flights » et « Les Pérégrins » en français.
Quelques jours après le prix de la mise en scène au Festival de Cannes décroché par le réalisateur polonais Paweł Pawlikowski, c’est dans le domaine de la littérature qu’une artiste polonaise a été distinguée d’un prix international prestigieux, le Booker Prize. C’est un grand honneur pour Olga Tokarczuk et toute la littérature polonaise contemporaine qui connaissait une certaine crise ces dernières années.
Dans une interview pour TVN24, Olga Tokarczuk se félicite de « franchir les frontières » pour la littérature polonaise : « [désormais] l’on observera attentivement ce qui s’écrit en Pologne », se réjouit-elle. Tout ceci grâce à la traduction vers l’anglais effectuée par Jennifer Croft, qu’Olga Tokarczuk ne cesse de considérer comme le véritable artisan du succès de son roman sur la scène internationale.
Il faut pourtant remarquer que le livre couronné n’a pas fait l’unanimité en Pologne dès le moment de sa parution, qui remonte à 2007. Au début, c’était bien ce roman qui allait « témoigner d’une crise profonde de l’écriture ». Les critiques n’étaient pas très favorables pour ce sixième roman de l’auteure et il a fallu attendre un an pour que « Bieguni » rencontre enfin l’approbation du public, pour que Mme Tokarczuk soit finalement récompensée en 2008 par l’un des plus prestigieux prix littéraires polonais, le Prix Nike.
Un roman sur « l’inquiétude de voyager »
Le titre fait référence à une secte orthodoxe datant du 18e siècle qui croyait que l’homme en mouvement perpétuel se soustrait au pouvoir de Satan. Olga Tokarczuk est même allée rencontrer à Moscou quelques-uns de ces « bezhentsy » qui pérégrinent toujours de nos jours, mais en métro.
Le roman est bel et bien centré sur le thème du voyage et se compose de plusieurs courtes histoires de personnes en mouvement. L’auteure décrit tout un univers avec ses propres accessoires, sa propre psychologie, sa propre poésie. Dans une des interviews, Tokarczuk affirme considérer le tourisme contemporain comme une sorte d’atavisme attaché à la période nomadique de l’humanité, qui attire mais nous laisse simultanément dans un état d’inquiétude constante.
Le ministre de la culture « content »
Avec ses huit romans et quelques recueils d’essais, Olga Tokarczuk est une écrivaine qui rentre déjà en Pologne dans une sorte de canon de la littérature. Après ses débuts littéraires en 1993 avec le roman « Podróż ludzi księgi » (« Voyage des gens du livre »), l’auteure a dû attendre cinq ans pour être distinguée du prix Nike. Maintenant, elle en compte deux (pour « Bieguni » en 2007 et pour « Księgi Jakubowe » – « Les Livres de Jacob » en 2014.
Bien sûr, cette liste de récompenses n’est pas complète et son œuvre est appréciée tant par les jurys de divers concours que par d’autres artistes. La réalisatrice Agnieszka Holland a notamment contribué à sa renommé en adaptant son roman « Sur les ossements des morts » (2009) dans le film « Pokot ». Le Prix qui vient de lui être attribué à Londres couronne la carrière de l’auteure et témoigne de l’universalité de son œuvre.
La Chancellerie du Président Duda a publié sur Tweeter de brèves félicitations, tandis que le ministre de la culture, Piotr Gliński, s’est « réjouit d’autant plus que c’est encore un succès d’un artiste polonais ces dernier temps », faisant référence au prix de Paweł Pawlikowski à Cannes. « C’est une preuve que la littérature polonaise est appréciée dans le monde entier », a-t-il affirmé.
Le ministre est-il réellement content ? Pawlikowski et Tokarczuk sont tous deux connus en Pologne comme de sévères critiques du gouvernement Droit et Justice (PiS). Dans une interview pour Newsweek, Olga Tokarczuk a considéré que la politique du Droit et Justice au sujet des femmes, de l’éducation et des organisations nationalistes « repousse la Pologne vers des périphéries auxquelles nous semblons être condamnés à appartenir ».