Les rapports interethniques entre Roumains et Hongrois se sont envenimés jeudi quand des nationalistes roumains ont tenté de pénétrer dans un cimetière pour inaugurer des croix orthodoxes installées illégalement.
La tension couvait depuis la fin du mois d’avril et que le maire de la commune de Dărmănești (en hongrois, Dormánfalva) avait fait ériger dans l’illégalité plusieurs dizaines de croix en béton et une grande croix orthodoxe dans le cimetière de Valea Uzului (en hongrois, Úzvölgy). Ce cimetière, un site commémoratif de la Première Guerre mondiale se trouve au cœur du Pays Sicule, une région montagneuse au centre de la Roumanie, dont la population majoritairement magyarophone revendique son appartenance à la nation hongroise.
Cet acte a constitué un outrage pour la communauté magyarophone de Transylvanie car ce cimetière militaire a été créé dans la vallée de la rivière Uz lors de la Première Guerre mondiale pour y enterrer les soldats essentiellement hongrois décédés en 1916, à une époque où c’est la Hongrie au sein de l’Empire austro-hongrois qui administrait la Transylvanie. Plus d’un millier de soldats qui ont péri dans la région lors des deux guerres mondiales y reposent, principalement hongrois dont les tombes sont signalées par des croix en bois, mais aussi roumains, allemands et russes.
Des organisations de la société civile roumaine planifiaient d’inaugurer les croix en béton ce jeudi, lors du jour des Héros qui rend hommage aux soldats de la Première Guerre mondiale, et, plus généralement, à « tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour la Patrie et la Nation roumaine », selon un communiqué du premier ministre roumain Viorica Dăncilă. Cette fête nationale rend hommage au « sacrifice des héros […] de la Première Guerre mondiale qui a rendu la Grande Union de 1918 possible », toujours selon Viorica Dăncilă. La question est donc sensible puisque, pour les Hongrois, cela signifie la perte de la Transylvanie, entérinée le 4 juin 1920 par le traité de Trianon.
Jeudi, des militants de la cause sicule (qui souhaitent obtenir de Bucarest une autonomie territoriale) et des représentants de la minorité hongroise de Roumanie ont formé une chaîne humaine autour du cimetière pour symboliser la défense de leur patrimoine culturel et de leur identité menacés. Face à eux, des nationalistes roumains brandissant le drapeau national et diffusant par haut-parleur des chants nationalistes, ainsi que des prêtres orthodoxes brandissant des icônes, ont réussi à forcer le passage. Des échauffourées ont éclaté avec les forces de l’ordre qui tentaient de séparer les protagonistes des deux camps.
Budapest appelle les Roumains à cesser les « provocations »
L’Alliance démocratique des Hongrois en Roumanie (UDMR/RMDSZ), le principal parti hongrois en Roumanie, a demandé aux autorités d’agir contre ceux qui sont entrés dans le cimetière « de façon barbare », en recourant à « la violence » et « en détruisant la porte et quelques croix ». Son chef, le député et ancien ministre Kelemen Hunor, a exigé la démission du ministre de l’Intérieur qui s’est, selon lui, révélé incapable de maintenir l’ordre. Il a également demandé aux chaînes de télévision roumaines de mettre fin à la « désinformation qui ne fait qu’intensifier le conflit ».
Budapest a aussi réagi. Le ministre des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, a demandé aux autorités roumaines de mettre fins aux « provocations ». Son secrétaire d’État, Levente Magyar, a estimé que la municipalité de Dărmănești avait pris cette initiative en dépit du fait qu’il n’existe pas de preuve que des restes de soldats roumains sont enterrés dans le cimetière. Il a ajouté que les autorités roumaines ont reconnu qu’il n’existait aucune base légale pour cette décision contrevenant au droit international. Les ministères roumains de la Culture et de la Défense ont de leur côté confirmé l’illégalité de ces stèles commémoratives. De son côté, le ministère roumain des affaires étrangères a appelé le gouvernement hongrois à « envoyer un message très clair à la communauté hongroise afin d’éviter une confrontation et une montée des tensions ».
Ce regain de tensions intervient quelques jours seulement après la visite du Pape François en Transylvanie, samedi dernier, lors de laquelle il a fait l’apologie de la diversité multiculturelle de la région, devant des dizaines de milliers de pèlerins catholiques hongrois, et exhorté à la coexistence pacifique entre Roumains et Hongrois.
En Roumanie, le pape François en mission de reconnaissance pour les minorités du pays
Photo : Attila Pinti / szekelyhon.ro