Du Royaume-Uni à la Pologne, « Go home, Polish » au pied de la lettre

Habitant depuis dix-sept ans au Royaume-Uni, le photographe polonais Michał Iwanowski a décidé ce printemps de prendre au pied de la lettre un slogan nationaliste « Go home, Polish », gribouillé en 2008 sur un mur de Cardiff. Il est en train de relier à pied les 1800 kilomètres qui séparent la capitale galloise de sa ville d’origine, Świebodzice en Basse-Silésie. Récit de voyage.

« Un matin de 2008, en sortant de chez moi, je suis tombé sur cette inscription « Go home, Polish »! », raconte Michał Iwanowski, un Polonais habitant le quartier huppé de Roath à Cardiff et installé depuis 2001 au Royaume-Uni. S’il a mis un peu de temps avant de s’acheter une bonne paire de chaussures et prendre son bâton de pèlerin, il a pris la décision de partir ce printemps, à pied, en direction de sa Pologne natale.

© Michał Iwanowski

1800 kilomètres séparent Cardiff, fière capitale galloise, de Świebodzice, petite ville de 22 000 habitants nichée au cœur de la Basse-Silésie, non loin de la frontière polono-tchèque. Chaque jour, Michał en parcourt environ vingt-cinq, muni de ses deux passeports britannique et polonais, à travers villes comme à travers champs, via la France, la Belgique, les Pays-Bas et la République tchèque. Au moment où nous le joignons par téléphone, il vient de franchir la frontière germano-tchèque via les routes de campagne à la sortie de Dresde, en ex-RDA.

« A l’époque, c’était la crise économique en Grande-Bretagne. Il n’était pas encore question du Brexit et les Polonais étaient en train d’arriver en masse », nous raconte Michał. Il se remémore le milieu des années 2000 durant lesquelles, contrairement à d’autres pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Irlande avaient largement ouvert leurs portes aux ressortissants des dix nouveaux États membres.

Dans la campagne anglaise. « Cette trace de pesticide est-elle le fait d’un immigré ? » s’interroge Michał sur son compte Instagram © Michał Iwanowski

Près de un million de ces Européens « de l’Est » ont fait le voyage depuis. Des « plombiers polonais » certes, mais aussi des informaticiens, des médecins et des ingénieurs y ont apporté avec eux des compétences et savoir-faire précieux. Une partie d’entre eux, moins formés, n’ont pourtant pas réussi à s’intégrer et ont contribué à alimenter les représentations négatives sur les Polonais. Du point de vue de nombreux Britanniques, le système social aurait été ainsi en partie dévoyé par des migrants, préférant envoyer une partie de leurs allocations familiales aux membres de leurs familles restés au pays.

« Au fil du temps, une question a émergé en moi : où est mon chez-moi ? »

« Les Polonais sont devenus en peu de temps le deuxième groupe ethnique de Grande-Bretagne, juste après les Indiens », témoigne Michał. « Pourtant je n’ai jamais ressenti de haine à mon égard, au contraire ! », souligne-t-il.

« J’avais pris cette photo de ce slogan nationaliste, puis je l’ai enfoui au fond d’un tiroir », raconte-t-il en évoquant le graffiti « Go home, Polish » à l’origine de son périple. « Au fil du temps, une question a émergé en moi : où est mon chez-moi ? où est ma maison ? est-ce en Pologne, où je ne vis plus depuis près de dix-sept ans ? est-ce à Cardiff ? que signifie « my Home » ? que signifie le chez-soi de nos jours ? »

« Quand la vague de haine a déferlé sur les immigrés durant la campagne du Brexit, j’ai compris que c’était le moment de partir », admet Michał. Il n’en tient pas seulement rigueur aux Britanniques et préfère relativiser ces montées de xénophobie : « la vague est partout la même. En Pologne, on lira le slogan « Les Ukrainiens, dehors ! », en Slovaquie « Les Roms, dehors ! », en Allemagne « Les réfugiés, dehors ! »… » Et avertir : « ce langage de haine que l’on trouve sur les murs, dans les médias, chez les hommes politiques, il est avant tout adressé à des êtres humains. Tout le monde sait à quoi il nous a mené il y a trois-quart de siècle. L’Holocauste est né des mots de haine ».

Le 27 avril, Michał quitte donc Cardiff en toute discrétion, sans banderole pour expliquer sa longue pérégrination. Il ne rechigne pourtant pas à en parler à ceux qui veulent l’écouter. « Les Britanniques se sont montrés compréhensifs, certains étaient gênés et ont tenté de justifier la montée nationaliste anti-immigrés par la crise économique. Personne ne m’a dit « alors casse-toi, rentre là d’où tu viens ! ». Une dame âgée a tout juste cherché à expliquer cette haine en me racontant à quel point les temps sont durs, que son fils avait du mal à trouver du boulot ».

Aux environs de Calais © Michał Iwanowski

De Douvres, son ferry « Spirit of Britain » le dépose en France, à Calais. Un choix loin d’être anodin. Là-bas, il a vu des murs, des fils de fer barbelé, des gendarmes, mais plus un seul migrant : la jungle avait déjà été démantelée. Par un jour de fin mai, il a vu des gendarmes ratisser un champ de blé déjà haut, à proximité d’un « hôtel à insectes » installé là pour favoriser la pollinisation et la biodiversité. La scène de chasse à l’homme lui laisse la gorge serrée, se souvient-il. Car elle lui rappelle ces images tirés de films de guerre où l’on voit les Nazis chercher les Juifs.

« Sur le chemin de mon logement à Louvain ce soir, j’ai vu un graffiti au-dessus des voies ferrées qui disait « tous les flics sont des bâtard »». La minute suivante, j’ai trouvé ça sur la porte de ma chambre. © Michał Iwanowski

Alors qu’il marche, Michał Iwanowski prend de nombreux clichés, lui qui enseignait la photographie à la Ffotogallery de Cardiff. Il en prend des fois deux ou trois par jours, parfois aucune. Ces photographies alimenteront un projet artistique sur lequel il travaille, et pour lequel il a obtenu un financement du ministère de la Culture des Pays de Galles. « Juste de quoi vivre pendant la marche et préparer une exposition », se justifie-t-il. Chaque cliché sera légendé et accompagné d’un air de musique composé pour l’occasion.

« Eux, contrairement à moi, n’avaient aucun doute où était leur maison. Elle était en Pologne. »

Michał n’en est pas à son premier coup d’essai. En 2013, il avait ainsi suivi les traces de son grand-père polonais déporté dans un goulag soviétique. Via son projet « Clear of people », il avait ainsi parcouru à pied le trajet emprunté par son grand-père et son grand-oncle pour fuir le camp situé dans la région de Kalouga à l’ouest de Moscou. Il s’était ainsi rendu jusqu’à Wrocław, dans le sud-ouest de la Pologne, en traversant la Russie, la Biélorussie et la Lituanie sur un total de 2000 kilomètres. Un album avait d’ailleurs été édité pour l’occasion.

« Eux, contrairement à moi, n’avaient aucun doute où était leur maison. Elle était en Pologne. Et ils voulaient à tout prix y retourner, même si les frontières avaient évolué en cours de route », développe Michał.

Vers Olpe. Sous le Biggesee, le village coulé d’Ursula. © Michał Iwanowski

La question du chez-soi revient souvent dans les conversations qu’il engage avec celles et ceux qu’il rencontre en chemin. À Olpe, dans le Land allemand de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il fait notamment la connaissance d’Ursula, qui lui raconte avoir perdu son village, coulé lors de la construction d’un barrage après la guerre. Ses enfants l’y emmènent tous les ans et y observent ensemble le même rituel : elle leur montre là où se trouvait sa maison, et elle les regarde depuis le rivage aller nager jusqu’à son ancien emplacement.

Les doutes de Michał ne se sont pas évanouis. Il les partage d’ailleurs au public du Teatr Powszechny à Varsovie. « Je rentre chez moi, mais où est ce chez-moi ? à Cardiff ? à Świebodzice ? où ? ». La metteuse en scène polono-britannique Agnieszka Błońska l’a déjà fait intervenir, via une connexion live, lors d’une des représentations de sa pièce intitulée « Polish Vermine ». Le propos de cette tragi-comédie, au titre directement tiré d’un slogan pro-Brexit, est également de montrer la façon dont la politique bouleverse parfois la vie des êtres humains.

Au Royaume-Uni, le post-Brexit attise la haine anti-polonaise

Le 21 septembre, l’exposition photographique de Michał Iwanowski (gohomePolish) sera inaugurée simultanément à Varsovie et à Caernarfon, une ville portuaire dans l’ouest du Pays de Galles. Pour suivre son travail sur Instagram : https://www.instagram.com/michaliwanowski/.

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