Dix ans après la violente confrontation entre le cortège de la Budapest Pride et des militants d’extrême-droite, des milliers de participants ont défilé pour la première fois sans cordon policier dans les rues de la capitale hongroise pour l’égalité des orientations sexuelles.
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Tribune publiée le 8 juillet 2017 dans Kettős Mérce. Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi. |
Chaque année, la Pride permet de rompre un peu avec la réalité ambiante. Ça fait pas mal de temps que j’ai remarqué à quel point ça faisait bizarre, après chaque marche, de retrouver la Hongrie de Viktor Orbán. Nous défilons par milliers, personne n’attaque personne, aucun de nous ne ressent le poids de cette pression, de cette mise à l’écart, de cette idée selon laquelle l’on n’est pas respecté dans son propre pays ; et il y a même quelque chose dans l’air qui fait que pour quelques heures au moins, l’on peut se sentir soi-même.
C’est pour cette raison précise que le cordon de sécurité ne m’a jamais vraiment dérangé, car tout ceci est quelque part assez étranger à la réalité que l’on vit au quotidien. L’isolement n’était pas nécessaire car il s’agissait finalement d’un monde à part. Enfin, c’est du moins ce que je ressens. Cette impression de quelque chose d’étranger n’est pas liée aux homos, mais au fait qu’être homo ou pas ne compte pas vraiment au milieu de cette foule. Dans le défilé, pendant quelques heures, cette question ne présente plus vraiment d’intérêt, pas plus d’ailleurs que toutes ces autres questions éminemment importantes qui remplissent notre quotidien.
Mais c’était quand même mieux cette fois-ci, sans cordon de sécurité (même si ça n’est pas tout à fait vrai, on en reparlera). Même dans la réalité de Viktor Orbán, la situation était devenue comique : le fait de devoir exclure plusieurs milliers de personnes de la Pride en raison de cinquante à soixante contre-manifestants. Et c’est vrai qu’il y a une signification politique au fait de faire « défiler les pédés derrière un cordon de sécurité » comme s’il s’agissait d’animaux dans un zoo.
Aujourd’hui, l’affirmation de la police selon laquelle il est nécessaire d’établir un cordon de sécurité, a été réduite à néant. Ajoutons à cela le final de la Pride, cette série d’actions élaborées avec tactique, finesse et sens politique par les organisateurs, avec plus de cent participants. On avait là un concentré de plusieurs années de travail consciencieux et stratégique. Ça fait d’ailleurs longtemps qu’on n’avait pas assisté à une action politique organisée avec tant de maestria et de succès par un acteur politique autre que le Fidesz ou le gouvernement.
Aujourd’hui, l’on a désormais la confirmation que le cordon de sécurité n’est pas nécessaire. L’extrême-droite se tenait pourtant prête avec une présence sensiblement plus importante que les années passées, forte de 50 à 100 contre-manifestants à un endroit où il n’y avait en plus vraiment pas de dispositif de sécurité : sur le pont de chaînes (Lánchíd). La police a géré la situation avec professionnalisme. Le problème a été réglé sans cordon de sécurité. La Budapest Pride de 2017 s’est tenue jusqu’à la fin sans cordon ni agitation.
Il n’y avait donc pas de cordon de sécurité alors que la contre-manifestation était plus imposante que ces dernières années, et l’on n’a constaté aucun problème. La question de la nécessité d’un cordon de sécurité reste néanmoins posée.
Après les effroyables agressions perpétrées en 2007 et 2008 par l’extrême-droite, le mouvement LGBT hongrois et les militants d’associations partenaires ont estimé qu’ils n’avaient plus besoin de cordon de sécurité car ils étaient plus nombreux, parce que nous sommes plus nombreux. En l’espace de plusieurs années, le défilé a pris beaucoup d’ampleur : aujourd’hui, plus de 10 000, voire 20 000 participants ont défilé jusqu’à la fin pendant le Pride, alors qu’une centaine seulement contre-manifestait. Dans pareil cas, qui doivent être ceux que l’on met derrière un dispositif de sécurité ? Les dizaines de milliers de personnes ou les quelques cents ? La réponse est évidente, même du point de vue des professionnels du maintien de l’ordre.
Il y a bien sûr eu quelques imperfections durant cette Pride organisée pour la première fois depuis dix ans sans cordon de sécurité. Les policiers n’ont par exemple pas voulu laisser les passants rejoindre spontanément le cortège par les côtés et même si à plusieurs reprises les organisateurs ont pu réglé le problème, certaines personnes sont restées à l’écart. C’est un point qu’il faudra résoudre afin que la Pride puisse réellement évoluer en totale liberté sans cordon policier.
L’action que les organisateurs de la Pride ont réussi à mener à bout aujourd’hui est une action qui a permis de conjurer l’agression commise il y a dix ans par l’extrême-droite contre la Pride. En Hongrie, ce combat a été assurément remportée par les partisans de la liberté !