Dirigée par un gouvernement de transition, l’Autriche se dirige vers de nouvelles élections

L’Autriche est dirigée depuis le 3 juin par un gouvernement de transition composé d’experts qui gère les affaires courantes du pays jusqu’aux prochaines élections législatives qui devraient se tenir le 29 septembre. La conséquence du scandale de « l’Ibiza-Affäre » qui a mis fin à la coalition entre conservateurs et extrême droite. Explications.

Vienne, correspondance – Tout est parti d’une vidéo diffusée le 17 mai dernier par deux journaux allemands Der Spiegel et le Süddeutsche Zeitung. Elle a été tournée en caméra cachée au sein d’une villa sur l’île espagnole d’Ibiza en juillet 2017, soit trois mois avant les élections législatives qui porteront au pouvoir la coalition entre les conservateurs de l’ÖVP et l’extrême droite du FPÖ. On y voit Heinz-Christian Strache, à l’époque chef du FPÖ, s’entretenir au cours d’une soirée arrosée avec une femme qu’il pense être la nièce d’un oligarque russe, mais qui est en réalité un leurre. La discussion tourne notamment autour d’un investissement de la jeune femme dans le Kronen Zeitung, le tabloïd le plus lu d’Autriche, afin de lui donner une orientation plus favorable au FPÖ et porter ainsi le parti vers la victoire. En échange, Heinz-Christian Strache lui promet l’attribution de marchés publics s’il parvient au pouvoir. Il lui décrit également un mécanisme de financement du parti via des associations afin de contourner le contrôle de la Cour des comptes. Un document accablant qui démontre la disposition du chef du parti d’extrême droite à se compromettre avec la Russie pour en tirer un bénéfice politique.

Quelles conséquences a eu cette vidéo sur la vie politique autrichienne ?

Dès le lendemain de la diffusion de cette vidéo, Heinz-Christian Strache, entre-temps devenu vice-chancelier d’Autriche, a présenté, les larmes aux yeux, sa démission et a également renoncé à son poste de chef du FPÖ, parti qu’il dirigeait depuis 2005. Dans la foulée, Sebastian Kurz, chancelier d’Autriche et chef du parti conservateur, a annoncé la fin de la coalition avec l’extrême droite et l’organisation d’élections législatives anticipées. Le jeune chancelier a alors pris la tête d’un gouvernement de transition sans aucun membres du FPÖ, les ministres d’extrême droite ayant démissionné. Sebastian Kurz imaginait ainsi pouvoir continuer à diriger le pays jusqu’aux prochaines élections mais c’était sans compter sur un énième rebondissement dans cette crise gouvernementale. Le 27 mai, le FPÖ se retourne contre son ancien allié et vote au Parlement une motion de censure déposée par les sociaux-démocrates du SPÖ pour renverser le gouvernement de Sebastian Kurz. Le chancelier doit quitter son poste, une première en Autriche depuis 1945. Un nouveau gouvernement de transition composé d’experts est mis en place.

Qui dirige l’Autriche en ce moment ?

Le 3 juin, le nouveau gouvernement de transition est officiellement intronisé par Alexander Van der Bellen, président de la République. Brigitte Bierlein, ancienne présidente de la Cour constitutionnelle, devient la première chancelière d’Autriche. Pour l’épauler, elle nomme au poste de vice-chancelier Clemens Jabloner, ancien président de la Cour administrative suprême qui récupère également le portefeuille de la justice. C’est donc un gouvernement composé de ministres au profil de techniciens qui dirige en ce moment le pays. Car les prérogatives d’un gouvernement de transition sont différentes de celles d’un exécutif traditionnel : il s’agit avant tout de gérer les affaires courantes d’ici les prochaines élections et non de mener des réformes d’ampleur. L’initiative des lois revient donc dans les faits au Parlement où, en l’absence de coalition, les alliances se font de manière ponctuelle sur des textes. Dernier exemple en date avec la proposition des sociaux-démocrates d’interdire totalement le glyphosate, une molécule herbicide suspectée d’être cancérigène. Le SPÖ a reçu sur ce texte le soutien du FPÖ : les deux partis ayant ensemble une majorité, l’interdiction pourrait ainsi être adoptée début juillet.

Quel résultat peut-on attendre aux élections législatives anticipées ?

Les élections devraient se tenir le 29 septembre prochain et les spéculations vont bon train quant au visage de la nouvelle coalition. Dans les sondages les plus récents, l’ÖVP de Sebastian Kurz fait très nettement la course en tête crédité de 36 à 38 % des intentions de vote. L’ex-chancelier semble sortir renforcé de la crise gouvernementale. L’extrême droite de son côté, est loin de s’être effondrée après le scandale. Le FPÖ a été repris en main par Norbert Hofer, candidat du parti à l’élection présidentielle de 2016 où il était parvenu au second tour et ministre des transports sous le gouvernement de Sebastian Kurz. Le parti est actuellement donné en troisième position avec environs 20 % des intentions de vote, à quelques points seulement derrière les sociaux démocrates du SPÖ.

Toutes les options sont donc ouvertes pour la future coalition. Sur Facebook, Herbert Kickl, anciennement ministre de l’Intérieur et figure importante du FPÖ appelle Sebastian Kurz à renouveler la coalition avec l’extrême droite : « c’est ce que souhaite la majorité de la population », déclare ainsi l’ancien ministre. Un nouveau gouvernement droite-extrême droite n’est donc pas à exclure mais s’il est mis en place, ce sera probablement sans Heinz-Christian Strache. L’ancien vice-chancelier s’est temporairement mis en retrait de la vie politique. Il pouvait pourtant prétendre à un mandat de député européen grâce au « vote préférentiel » des électeurs qui ont été 45 000 à voter pour lui personnellement lors des élections européennes. Après avoir laissé planer le doute, il a finalement annoncé qu’il ne prendrait pas ce mandat. Visé par une enquête suite à ses propos tenus dans la vidéo, Heinz-Christian Strache a toutefois laissé entendre qu’une fois blanchi, il pourrait faire son retour en politique.

Vianey Lorin

Journaliste

Correspondant à Vienne pour France 24, AFP TV et Mediapart.

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