« Deux mois de plus et on perdait ce qu’on a passé notre vie à construire », dit Sylwia, restauratrice frondeuse à Katowice

Le mouvement des « Montagnards » des Tatras a fait tâche d’huile en Pologne, où de plus en plus de petits entrepreneurs bravent les interdits du gouvernement. Sylwia ne s’est pas faite prier pour accueillir une clientèle salvatrice pour son restaurant à Katowice.

Sylwia Herbut qui gère le restaurant Bułkęs à Katowice avec son compagnon a décidé d’en rouvrir les portes le 15 janvier. Et ce, malgré les restrictions sanitaires qui ne permettent que la vente à emporter et la livraison. Depuis, des centaines de restaurateurs, de tenanciers de bars, de cafés, de discothèques, mais aussi de salles de sport se sont ralliés à la bannière d’« OtwieraMY » (nous ouvrons), un mouvement informel, en partie impulsé par les « Montagnards » des Tatras et largement relayé par les réseaux sociaux.

Cette somme d’initiatives individuelles, qui exploitent une faille juridique, expliquent peut-être la décision du gouvernement polonais de rouvrir les boutiques des centres commerciaux et des musées au 1er février, suivis par les cinémas et théâtres ce vendredi 12 février. En revanche, bars, restaurants et salles de sport devront encore garder portes closes… Dans le brouhaha de sa salle de restaurant, pleine à craquer avec une cinquantaine de convives en cette soirée de fin janvier, Sylwia nous explique qu’il en allait de sa survie financière.

@Hélène Bienvenu
Des aides insuffisantes, voire inexistantes

« Je n’ai touché aucune aide depuis la deuxième vague de cet automne », affirme la restauratrice, assise avec son compagnon à une table de son restaurant. « Le gouvernement a pris en compte notre chiffre d’affaires de 2019, année où nous ne tenions qu’un établissement de quelques tables » explique-t-elle. En juillet, elle emménage dans l’actuelle salle de restaurant, plus vaste…mais aussi forcément plus coûteuse.

Sylwia est catégorique : le « bouclier » financier de Mateusz Morawiecki, le premier ministre, censé compenser les pertes induites par la Covid-19 chez les commerçants et entrepreneur, « est mal conçu » et « il ne permet pas de couvrir tout le monde ». En octobre dernier, alors qu’on annonçait la fermeture des restaurants, Sylwia s’attendait à « une aide réelle, d’autant plus que le gouvernement parlait depuis longtemps de la deuxième vague ».

@Hélène Bienvenu

Mais rien de tel. En lieu et place, les restaurateurs ont dû mariner, de report en report : « d’abord, on nous a dit qu’on devait rester fermés pour deux semaines, puis la mesure a été prolongée pour deux semaines, etc. ». Résultat, alors qu’elle et son compagnon avaient touché un subside de 5 000 zlotys lors du confinement du printemps 2019 (en plus des exemptions de cotisations pour les salariés), les restaurateurs ont dû se résoudre à prendre des crédits « pour payer le loyer, les salaires et les cotisations de nos employés, car on n’a pas souhaité licencier », rajoute Sylwia.

Depuis, Bułkęs ne cessait d’accumuler les pertes. Mais ce n’est pas faute d’initiatives : confection de produits maison, offres de fête pour la fin d’année… « Nous avons été obligés de réduire le nombre d’heures d’une partie de nos employés. Ceux qui avaient besoin de gagner plus nous ont quittés », raconte la trentenaire aux longs cheveux châtain clair. « Après le premier confinement, nous avons essayé de survivre en ayant recours à des prêts, jusqu’au « bouclier » financier, pensant être inclus. Quand on a su que ça ne nous concernait pas, on a commencé à chercher ailleurs ».

« Le gouvernement n’a pas le droit d’interdire notre activité économique sans avoir instauré un ‘état d’exception‘ ».

Et parmi les solutions, s’impose celle de rouvrir grâce à un subterfuge, imaginé dans un restaurant de Cracovie en octobre : faire signer aux clients un contrat de « testeurs ». « Le gouvernement n’a pas le droit d’interdire notre activité économique sans avoir instauré un « état d’exception ». Mais cela l’obligerait à payer des dédommagements… », note Adam, le compagnon de Sylwia. Le restaurateur, comme tous ceux et celles qui ont forcé l’ouverture en appellent au jugement du tribunal d’Opole. Celui-ci avait donné raison fin janvier à un coiffeur, qui avait sorti ses ciseaux pendant le confinement et refusé de payer les 10 000 zlotys d’amende aux services sanitaires (2 230 €). 

Un contrat de testeur

« La police a bien essayé de nous faire peur, mais de toute façon, en vertu de la collaboration signée avec les clients, elle ne peut entrer dans la salle de restaurant : c’est un lieu de travail ! » sourit Adam (qui a tout de même demandé que son vrai prénom n’apparaisse pas dans note article). « On a eu des contrôles des autorités sanitaires également qui nous ont dit que notre régime sanitaire était meilleur que dans les magasins », continue le restaurateur. Distance entre les tables, prise de température, enquête Covid-19. Comme dans les avions. Et désinfection de mise : tables, espaces communs, poignées de porte, terminal bancaire, tout y passe. Et bien sûr, les serveurs portent le masque.

« C’est fantastique d’avoir quelque part où sortir et de voir des gens ! »

Pour Sylwia, tout cela relève d’un contrat de confiance avec la clientèle. « Si un convive avait quelque chose à cacher, je pense qu’il ne se sentirait pas à l’aise de venir, de la même manière, qu’il n’irait pas au magasin… ». A vrai dire, les amateurs des burgers au « porc effiloché » de Bulkes oscillent entre 18 et 25 ans ce soir-là. Telle Maryia, qui, venue avec une amie, se réjouit de pouvoir passer à table ailleurs que dans son studio. « C’est fantastique d’avoir quelque part où sortir et de voir des gens ! », se réjouit l’étudiante. « On est en ligne et enfermées toute la journée pour suivre nos cours », continue celle qui a déjà eu le Covid-19 alors qu’elle vivait chez ses parents et qui n’a pas peur de l’attraper à nouveau.

Ce retour à la normalité est unanimement salué par les clients. « On nous remercie d’avoir osé franchir le pas et nous on les remercie d’être-là, c’est vraiment beau ! », s’exclame Sylwia. « Il faut dire aussi que ces derniers mois ont été compliqués pour nous psychologiquement. On a eu beaucoup de stress. Encore deux mois comme ça, à rien faire, et on perdait ce qu’on a passé notre vie à construire ».

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.

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