Des Tchèques réclament à l’Autriche le « retour » des joyaux de la Couronne de Bohême

L’initiative de plusieurs hommes politiques tchèques visant à exiger de l’Autriche la restitution des insignes de couronnement dites de Charles IV va au-delà de la simple question symbolique.

Au mois d’octobre 2018, un petit groupe d’hommes politiques tchèques rassemblés autour du juriste et ancien député (ČSSD) de Brno Zdeněk Koudelka et du sénateur et hommes d’affaires Ivo Valenta ont écrit au président de la République tchèque Miloš Zeman afin que le pays engage des actions pour la restitution d’un sceptre et d’un orbe conservés au palais de la Hofburg à Vienne. Ces deux objets, dont la réalisation est généralement attribuée à l’initiative de Charles IV (1316-1378), roi de Bohême et roi des Romains dès 1346 et empereur du Saint Empire Romain Germanique à partir de 1355, datent du troisième quart du XIVème siècle et sont habituellement considérés comme faisant partie des insignes de couronnement originels du royaume de Bohême.

Le sceptre et l’orbe des insignes de couronnement du Royaume de Bohême conservés à Vienne.

Ainsi que le soulignent les partisans de cette initiative mais aussi les historiens, comme par exemple le médiéviste de Brno Lukáš Reitinger, qui dénonce le caractère « ahistorique » de l’entreprise de Koudelka, le sceptre et l’orbe de couronnement conservés dans la cathédrale Saint Guy de Prague datent de la Renaissance. En effet, ces deux pièces d’orfèvrerie ont été fabriquées pour Ferdinand Ier de Habsbourg (1503-1564), qui fut roi de Bohême de 1526 à sa mort.

Le sceptre et l’orbe conservés à Prague avec la Couronne de Saint Wenceslas lors d’une exposition en mai 2016

La datation plus récente du sceptre et de l’orbe conservés dans la Cathédrale Saint Guy, leur fabrication à la demande d’un souverain Habsbourg et l’existence d’insignes plus anciens conservés à Vienne ont ainsi amené Zdeněk Koudelka à déclarer au début du mois que le sceptre et l’orbe praguois ne sont que « des substituts ». Les partisans de la restitution semblent d’ailleurs apprécier les phrases chocs, puisqu’ils avaient également déclaré que les Tchèques avaient « une dette envers Charles IV ».

Symbolique historique et intérêts politiques

Si un ton aussi solennel peut faire sourire, il serait erroné de voir dans cette initiative l’effort romantique d’un groupe de patriotes tchèques engagés par pur idéal dans un combat d’arrière-garde pour rétablir la justice. Ainsi que le rappelle Lukáš Reitinger, l’entreprise de Koudelka fin 2018 n’était pas la première irruption des insignes de couronnement dans le débat public l’année dernière, puisque le président Miloš Zeman, avait demandé à ce que les insignes soit exposées du 16 au 23 janvier 2018, et donc entre les deux tours de l’élection présidentielle à laquelle il participait, pour célébrer les 100 ans de la République tchécosolovaque, qui fut officiellement proclamée… le 28 octobre 1918.

Il s’agissait d’ailleurs de la troisième exposition des insignes instaurée par le président Zeman, les deux précédentes ayant eu lieu en mai 2013 (95 ans de la République Tchécoslovaque et 20 ans de la République Tchèque) et en mai 2016 (700 ans de la naissance de Charles IV). Par ailleurs, il n’est pas superflu de rappeler que Zdeněk Koudelka entretient plutôt de bons rapports avec Miloš Zeman, comme le prouve le fait que le président tchèque ait proposé la candidature de Koudelka au poste d’ombudsman devant le parlement en Janvier 2019 (cette candidature fut d’ailleurs un échec, puisque Koudelka n’a recueilli que 14 voix sur 175 au premier tour).

Ces différents éléments amènent donc à remarquer que l’initiative du groupe Koudelka-Valenta pour récupérer les insignes médiévaux de couronnement du royaume de Bohême s’accorde assez bien avec l’importance accordée par le président Zeman aux insignes de couronnement dans sa communication politique. Si rien ne permet d’affirmer une implication directe de la présidence dans l’initiative des deux politiciens moraves, force est de constater que, comme le fait observer Lukáš Reitinger, « l’Europe Centrale n’a plus d’empereurs ni de rois depuis cent ans, mais les symboles de leur pouvoir servent toujours bien les intérêts politiques ».

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