Des nominations à la Cour constitutionnelle suscitent l’indignation en Pologne

La majorité gouvernementale du Droit et Justice (PiS) imprime le rythme depuis sa victoire aux élections d’octobre. Tard jeudi soir, la nomination de trois nouveaux juges à la Cour constitutionnelle a suscité l’indignation générale de l’opposition.

« Hańba! » (« Honte ! »), ont scandé les députés de l’opposition, jeudi soir un peu avant minuit, alors qu’une de leurs collègues du PiS présentait Krystyna Pawłowicz, candidate à la Cour constitutionnelle, dont trois des quinze membres quitteront les bancs début décembre. « À bas la commune ! », ont crié d’autres députés quand ce fut au tour de son futur collègue, Stanisław Piotrowicz, d’être présenté à la Diète. Alors que la première est connue pour ses opinions radicales et ses déclarations grossières, le second a un passé trouble comme procureur sous le régime communiste. Seul le troisième candidat, Jakub Stelina, n’a pas provoqué de forte réaction dans la salle. Le PiS a levé les mains en bloc pour les faire passer tous les trois.

Députée de 2011 à 2019, Krystyna Pawłowicz s’est fait connaître pour ses sorties agressives et grossières autant à la Diète que sur les réseaux sociaux. « Porcherie », « fermez vos gueules », « racaille parlementaire »…, voici un échantillon des déclarations qui ont valu à la députée de nombreuses réprimandes du Comité d’éthique parlementaire… mais qui ont assuré sa popularité auprès du noyau dur du PiS. C’est surtout sa hargne contre les homosexuels qui retient l’attention. Une association luttant contre les discriminations a récemment porté plainte contre elle après une entrevue dans laquelle elle désignait les homosexuels comme des « malades qui doivent se soigner », comme des « groupes agressifs de lesbo-pédales» et « des représentants du diable, du mal, de la haine, de la plus grande bassesse ».

En ce qui concerne le second juge envoyé à la Cour constitutionnelle, Stanisław Piotrowicz, c’est surtout son passé communiste qui a suscité des réactions dans l’opposition. M. Piotrowicz a pris soin au préalable de se poser en victime de l’ancien régime dans les médias pro-gouvernementaux, affirmant avoir rejoint le parti communiste contraint et forcé, mais sans convaincre les opposants au gouvernement. Comme l’a souligné le député du Parti paysan (PSL), Władysław Teofil Bartoszewski, « Sous le régime communiste, les procureurs n’entraient pas dans les rangs pour devenir des Konrad Wallenrod », faisant allusion au héros de l’écrivain Adam Mickiewicz, qui meurt en tentant de détruire l’Ordre teutonique de l’intérieur. Une députée de la Plateforme civique (PO, centre-droit) a aussi rappelé les efforts de M. Piotrowicz au sein du parquet pour bloquer une enquête contre un prêtre pédophile en 2001.

La prise de contrôle de la Justice se poursuit

Au-delà des doutes quant à l’éthique et la probité de ces deux nominés, les députés des rangs des partis de l’opposition se sont aussi étonnés de voir le PiS nommer deux nouveaux juges âgés de 67 ans, dont un ancien communiste, en dépit de ses efforts pour mettre à la retraite tout juge de plus de 65 ans, sous prétexte de « décommunisation » de la Justice. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait rejeté la mesure au nom de l’indépendance judiciaire. Au mois novembre 2017, Krystyna Pawłowicz déclarait elle-même que les juges de plus de 65 ans n’avaient plus les capacités requises pour travailler et invitait l’un d’eux en commission à aller plutôt s’occuper de son potager…

Pour le PiS, ces nominations de personnes connues pour leur loyauté au parti s’inscrivent dans une logique de prise de contrôle sur la justice. La réforme de la Justice, entamée dès le retour du PiS au pouvoir en 2015, a démonté plusieurs mécanismes visant à préserver la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif, au profit de ce dernier.

Une crise s’est cristallisée autour de la Cour constitutionnelle, alors que des nominations illégales de dernière minute par le gouvernement sortant avait été suivies de nominations tout aussi illégales par le nouveau gouvernement, paralysant la Cour. Celle-ci a le pouvoir de bloquer toute loi votée par le parlement si elle la juge anti-constitutionnelle et elle avait été fortement attaquée par le PiS lors de son passage au pouvoir entre 2005 et 2007 comme ‘la troisième chambre du parlement’. Avec trois nouveaux juges acquis à sa cause, le PiS rencontrera moins d’obstacles pour mener ses réformes.

Cette semaine, la Cour européenne a renvoyé à la Cour constitutionnelle polonaise pour étude une autre mesure controversée : la création d’organes disciplinaires visant à surveiller l’indépendance des juges. Ces organes sont vues par plusieurs juges critiques des réformes gouvernementales comme des organes de répression manipulés par le pouvoir. Les innombrables enquêtes disciplinaires entreprises par ces organes contre des juges critiques ont en effet de quoi éveiller les soupçons. Par exemple, en février 2019, la juge Dorota Lutostańska avait été mise en examen pour avoir posé en photo avec un t-shirt sur lequel était inscrit le mot KONSTYTUCJA (Constitution). Selon la CJUE, l’indépendance de ces organes est douteuse, puisque leurs dirigeants sont nommées par un comité nommé par le gouvernement.

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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