De Kiev à Kharkiv, la solidarité citoyenne face au virus en Ukraine

En Ukraine, à Mykolaiv, Kiev, Kharkiv, Dnipro ou Severodonetsk, des initiatives solidaires se mettent en place depuis le mois de mars pour répondre aux dégâts causés par le COVID-19 dans le pays. Au quotidien ils essayent d’apporter du soutien, de maintenir du lien, de prêter main forte et de fournir du matériel de protection pour les personnes précaires et les familles du personnel soignant. Témoignages recueillis par Pauline Maufrais.

À Kharkiv, des juristes dans les dispensaires locaux

Au nord-est du pays, dans la deuxième plus grande ville d’Ukraine, Kharkiv, Maksym Rvyakin est juriste dans un centre des droits de l’Homme local, et volontaire dans une organisation non-gouvernementale, le “Centre de défense stratégique”. Avec ses collègues juristes, ils ont pris l’initiative d’aider les habitants de Kharkiv en distribuant des moyens de protection contre l’épidémie : des masques, des respirateurs, des antiseptiques, des gants et des thermomètres sans contact. “Bien qu’à la base nous ne soyons pas un organisme de bienfaisance en tant que tel, nous avons pris la décision d’organiser des distributions pour les personnes dites vulnérables, et principalement les personnes âgées vivant dans les maisons de retraite”, explique Maksym, conscient du retard de l’État ukrainien dans ce type de distributions.

Cette reconversion improvisée s’organise progressivement et reste très dépendante des financements, mais ils arrivent à organiser des distributions dans des établissements sanitaires publics de la ville. “Notre activité consiste à acheter et distribuer des équipements de protection pour les maisons de retraite, et à l’avenir, nous prévoyons de faire de même pour les dispensaires antituberculeux”, raconte Maksym Rvyakin.

L’équipe de juristes lors d’une distribution de masque à Kharkiv. Avril 2020. Source : Maksym Rvyakin.

L’engagement des juristes est régulier principalement auprès des personnes âgées : “Nous nous occupons des livraisons de ces fonds aux maisons de soins infirmiers de Kharkiv et de la région. Par conséquent, notre initiative est d’aider ces personnes en leur apportant les moyens de protection épidémiologique que l’État ne peut pas leur fournir. Nous prévoyons également de fournir une protection épidémiologique à d’autres groupes vulnérables de la population, ceux souffrant de malades chroniques, les sans-abris, etc.”

Maksym Rvyakin et ses collègues sont juristes dans une organisation locale, et leur travail n’est pas totalement mis de côté pendant la crise du COVID-19. “Nous prévoyons de fournir une assistance juridique en ligne, pour aider à la rédaction de documents de procédure ou pour représenter les personnes au tribunal”.

À Dnipro, les magasins locaux distribuent des jouets aux enfants du personnel soignant

L’Association ukrainienne de l’industrie du jouet a rapidement voulu s’investir dans la crise actuelle en Ukraine. Son directeur Pavel Ovchynnikov basé à Dnipro, explique : “actuellement, les enfants sont chez eux, sans possibilité d’avoir des activités collectives et éducatives dans un cadre scolaire.” Face à cette situation, ils ont lancé le 15 avril “All-Ukrainian challenge”, appelant toutes les entreprises qui le souhaitaient à faire des dons pour fournir des jeux et du matériels éducatifs pour les enfants du personnel hospitalier de la ville de Dnipro. 

Distribution de jouets pour les enfants du personnel hospitalier de Dnipro le 16 avril 2020. Source : Kiddisvit.

Des distributions de jouets lors de la Pâques orthodoxe auprès d’enfants de personnels soignants ont été ainsi organisées grâce à l’implication de magasins locaux, dont celui de Pavel Ovchynnikov. “Nous avons décidé de soutenir le personnel soignant à notre échelle, en sortant de notre production habituelle” explique Pavel Ovchynnikov. Le succès et les relais de cette initiative ont été nombreux sur les réseaux sociaux, et elle a pour objectif d’être étendue dans d’autres villes du pays.

À Mykolaiv, entre fabrication de masques et distribution de nourritures : la Croix rouge ukrainienne s’organise

La quarantaine en Ukraine a mis en valeur des problématiques inhérentes au territoire concernant les circuits de distribution de nourriture, l’isolement de personnes, notamment les seniors, et l’absence de masque ou de matériels de protection. Au niveau de la Croix-Rouge ukrainienne, ce sont via les volontaires de l’escouade d’intervention rapide, qui se sont formés en 2013 lors de la révolution de Maïdan, qu’un plan rapide a pu être mis en place face au COVID-19.

La Croix Rouge ukrainienne s’est rapidement organisée dans le sud du pays, explique Olexandr Kvasov, volontaire à Mykolaiv, notamment dans son travail d’information de la population. Jusqu’à présent ce sont déjà “8600 affiches, 7000 dépliants pour les personnes âgées, 4000 rappels sur les gestes préventifs que nous avons distribués dans la région de Mykolaïv”, ajoute-t-il. Les activités du groupe de volontaires du secteur se sont rapidement adaptées aux nécessités du terrain avec notamment “la mise en place d’un atelier de fabrication de masques et plus de 3 000 masques fabriqués par la Croix rouge ukrainienne à l’heure actuelle dans notre région”, souligne Olexandr Kvasov.

Mais les activités de la Croix rouge demeurent variées, allant de la mise en place de formations en ligne pour les volontaires sur les droits de l’Homme, le droit international humanitaire, à des campagnes d’information sur la lutte contre le COVID-19 sur tous les réseaux sociaux et sur les gestes barrières à adopter pour limiter la propagation de la pandémie.

Volontaire de la Croix rouge ukrainienne à Mykolaiv. Source : Croix rouge ukrainienne

Concernant les groupes à risque, Olexandr Kvasov revient sur leur action, “l’une des problématiques majeures reste l’isolement de certaines personnes et l’accès à des produits de premières nécessités […] Pour ça, plusieurs activités ont été mises en place en collaboration avec le City Territorial Social Service Centre, et environ 300 colis de nourriture ont déjà été remis à des personnes âgées, de même que nous organisons des collectes de produits d’hygiènes et nettoyants”. Tout ce travail nécessite une mobilisation à plusieurs échelles pour mener à bien ces activités et Olexandr Kvasov précise : “nous travaillons aussi avec les médias locaux, pour diffuser des messages de protection de la population et partager nos actions. Dans nos dernières actions en date, nos volontaires ont cousu 500 masques de protection dans la ville de Yushnoukrain [région de Mykolaïv].”

La Croix rouge ukrainienne est présente sur tout le territoire et fait régulièrement des appels pour accueillir de nouveaux volontaires. Alors que le coronavirus fait rage, la Croix Rouge ukrainienne n’en délaisse pas son idéal d’implication des citoyens, tout au contraire. À l’approche de la Pâques orthodoxe le 19 avril dernier, les bénévoles ont mis en avant l’isolement possible des personnes à risque qui ne peuvent se rendre dans des magasins afin de faire des courses. Ainsi, à Kiev, une distribution de repas et de gâteaux a été organisée pour plus de 900 bénéficiaires, en collaboration avec des restaurants locaux.

À l’Est, des numéros d’urgence pour soutenir les personnes isolées

Dans la région de Louhansk et de Donetsk, il y a eu une adaptation de fait à la pandémie car “la distribution de colis humanitaires s’est complexifiée avec la mise en place de la quarantaine à l’échelle du pays”, commente Milan Zaitsev, coordinateur de l’aide humanitaire à l’Est dans l’ONG VOSTOK-SOS. En effet, dès la fin du mois de mars, “les échanges entre les régions se sont arrêtés et nous travaillons depuis chez nous. Alors nous avons travaillé pour proposer une autre forme de soutien”. 

“La distribution de colis humanitaires s’est complexifiée avec la mise en place de la quarantaine à l’échelle du pays”

Une aide dématérialisée s’est dès lors mise en place avec la création par l’organisation de deux numéros d’urgence. Un à destination du personnel soignant, “il s’agit d’une hotline anonyme, qui soutient le personnel soignant dans la région de Donetsk et de Louhansk, répertorie leurs besoins, les menaces qu’ils subissent dans la région et les accompagne aussi dans la crise du COVID-19” indique Milan Zaitsev.

Puis consécutivement, “nous avons créé une deuxième une ligne de téléphone d’urgence pour apporter un soutien psychologique aux personnes à l’Est, dans le cadre exceptionnel du COVID-19”, ajoute-t-il, faisant écho aux problèmes rencontrées par la population des territoires fragilisés par la guerre et la faiblesse des infrastructures de prise en charge sanitaires.

Néanmoins, ces numéros d’urgence manquent de visibilité, nuance Milan Zaitsev. En effet, “pour le moment nous n’avons pas reçu beaucoup d’appels, il nous faut davantage communiquer dessus, car c’est une nouvelle ligne [l’organisation propose déjà des numéros d’urgence], un nouveau numéro et il y a eu de nombreuses initiatives similaires à l’échelle du pays.” À cela, s’ajoute parfois des problèmes matériels : “Nous poursuivons notre travail bien sûr. Toutes nos formations pour les enseignants, les activistes, s’organisent en ligne. Mais il y a un problème majeur, c’est qu’une partie des personnes n’a pas accès à un ordinateur ou à internet. Même si cela reste une minorité, nous en sommes conscients et cela limite des activités de soutien”. Dans des régions où l’accès aux infrastructures et à la connexion reste très inégal et plusieurs personnes isolées et vulnérables restent encore dans l’angle mort de ces initiatives et de ces volontaires, tous mobilisés qu’ils soient.

L’ombre du coronavirus plane au-dessus d’un Donbass démuni

Pauline Maufrais

Diplômée de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en Relations internationales et affaires étrangères avec une spécialisation sur l’espace russophone. Volontaire en service civique en Ukraine dans deux ONG spécialisées dans les droits de l’Homme.

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