Dans Krytyka Polityczna, un violent réquisitoire contre la stratégie de Robert Biedroń

Dans une tribune publiée dans Krytyka Polityczna, le journaliste Piotr Czenawski critique le rapprochement de Robert Biedroń avec la Coalition Européenne et affirme que le chef de file de Wiosna est en train de laisser passer sa chance d’insuffler durablement un esprit nouveau dans la vie politique polonaise.

Le récent changement de pied dans la stratégie de Robert Biedroń en faveur d’une large alliance anti-PiS n’en finit pas de créer des remous au sein de l’opposition polonaise. Si la Plateforme civique (PO, centre-droit) a plutôt bien accueilli l’initiative de cette personnalité de la gauche polonaise, ses anciens soutiens semblent moins goûter à ce spectaculaire revirement.

Un gâchis. Dans une tribune publiée le 11 juillet dernier dans la revue de gauche Krytyka Polityczna, c’est ainsi que le journaliste Piotr Czenawski décrit l’évolution de la stratégie de M. Biedroń. Élu maire d’une ville moyenne – Słupsk – en 2014, « Biedroń avait montré qu’il était possible de construire une vision totalement nouvelle [à partir de la position de total outsider] », rappelle M. Czenawski. Pour le journaliste, également membre du bureau national du parti écolo-socialiste Razem, le chef de file de Wiosna a dilapidé tout son capital politique en raison de sa vacuité idéologique et surtout de sa dérive autocratique. « Robert Biedroń est comme un boxeur passé entre les mains d’un mauvais entraineur qui, aurait, certes, pris du muscle et semblerait plus dangereux, mais aurait perdu son agilité et sa coordination », écrit-il notamment.

Pour Piotr Czenawski, le succès de M. Biedroń a longtemps reposé sur sa capacité à « entretenir l’intérêt des médias tout en amenant dans le débat politique des sujets importants ». Comparant l’émergence de Wiosna et la trajectoire d’autres petites formations qui ont tenté d’exister à l’ombre du duopole PiS-PO, M. Czenawski souligne que le parti de Robert Biedroń avait le mérite de rayonner « y compris dans les petites villes, là où il est le plus difficile d’exister pour les nouvelles entités politiques », mais également de disposer « d’embryons de structures territoriales » qui auraient pu participer à la création d’un grand parti de masse.

Un projet politique voué dès l’origine à l’échec ? Ce sont les conditions de la naissance de Wiosna au début du mois de février qui semblent constituer le pêché originel aux yeux de Piotr Czenawski. Dans sa tribune, le journaliste s’interroge de manière rhétorique « si l’on pouvait prévoir à ce moment-là que ce début spectaculaire se révélerait être au fond un chant du cygne ». M. Czenawski relève un changement dans la façon d’être de Robert Biedroń, décrivant un être ayant « perdu son charisme et son charme » avec un tempérament « hybride, tantôt criant de manière menaçante, tantôt faisant preuve d’un enthousiasme infantile, ce qui, allié à une rhétorique pontifiante, a donné un effet parfois grotesque ». 

Comme de nombreux observateurs avant lui, Piotr Czenawski s’en prend au tournant autoritaire du chef de file de Wiosna, de moins en moins prompt à accepter la critique, comme l’illustre une tendance tenace à bloquer sur les réseaux sociaux les journalistes trop taquins à son endroit. Tel « le Messie qui expulserait chaque jour les marchands d’un temple se rétrécissant continuellement », ose l’auteur de la tribune. Et de se faire plus précis et mordant : « Ce n’est pas cet égotisme qui a décidé de la dégringolade foudroyante de Wiosna, mais l’attitude [de Biedroń, ndt] envers les gens ».

« Un des projets politiques les plus secrets et les moins transparents de ces dernières années »

Autre angle d’attaque de la tribune : la façon dont Robert Biedroń a construit Wiosna, un parti dirigé par des seconds couteaux débauchés au sein d’autres partis, à l’instar de Krzysztof Gawkowski (de l’Alliance de la gauche démocratique, SLD) et de son ancien collaborateur à Słupsk Marcin Anaszewicz (qui a toutefois démissionné de sa fonction de vice-président le 28 juin).

Au lieu de s’appuyer sur ses propres militants issus du terrain et de jeter les bases d’un parti de masse, le chef de Wiosna « a créé l’un des projets politiques les plus secrets et les moins transparents de ces dernières années », accuse également Piotr Czenawski. Et d’égrainer les exemples : le maintien de Monika Pawłowska, accusée de harcèlement moral mais contre laquelle aucune sanction n’a été prise, l’élaboration des statuts du parti par un cercle très restreint, et dont les adhérents ont pu prendre connaissance par des copies numérisées circulant sur Facebook…

Ce pouvoir interne, « auquel même [Jarosław] Kaczyński – le président du PiS – n’aurait pas rêvé », s’expliquerait principalement par la hantise de subir le sort de Ryszard Petru, évincé de la direction de sa propre formation. Pour Robert Biedroń, la centralisation extrême de Wiosna est un non-sujet. « Les statuts ont été déposés dans un pays démocratique ; le parti est donc démocratique », avait-il balayé d’un revers de la main.

Pour Piotr Czenawski, le dysfonctionnement du parti porte également sur l’absence total de transparence, bien loin des discours de son leader. Interrogé au sujet de son financement par le site de surveillance citoyenne « Watchdog Polska », Robert Biedroń avait finalement consenti à communiquer le strict minimum sur la vie interne du mouvement.

De volteface en volteface

Le ralliement de Wiosna à la tant décriée Plateforme civique s’inscrit selon Piotr Czenawski, dans une longue série de voltefaces, parmi lesquelles figure également la volonté de Robert Biedroń de siéger à Strasbourg après avoir expliqué ne pas souhaiter honorer son mandat de député européen. Le journaliste questionne la viabilité du rassemblement de toute l’opposition, avec comme pilier « un dirigeant qui ne croit pas dans son propre projet ».

Un gâchis, donc, l’aventure construite autour de Robert Biedroń, incapable de capitaliser sur l’enthousiasme qu’il avait levé, au point même de mettre les meilleurs cadres de son parti au placard. « [Cette tribune] n’est pas une épitaphe pour Wiosna, car quelque chose qui n’est pas vraiment né ne peut pas mourir », conclue cruellement Piotr Czenawski.

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