Comprendre le rapprochement entre le groupe de Visegrád et Israël

Les dirigeants polonais, hongrois, tchèque et slovaque du Groupe de Visegrád se rassemblent à Jérusalem ce lundi et mardi à l’invitation de Benyamin Nétanyahou. Que peut bien pousser à frayer ensemble un Premier ministre israélien et des dirigeants polonais et hongrois soupçonnés d’attiser l’antisémitisme ? Analyse d’un rapprochement idéologique et pragmatique qui ne date pas d’aujourd’hui.

  • Quand et comment a été décidé ce sommet ?
  • Quel est l’intérêt pour la partie israélienne ?
  • Quelle est la position du « V4 » sur le conflit israélo-palestinien ?
  • Et quid de l’intérêt des centre-Européens ?
  • Assiste-t-on à l’émergence d’un axe V4-Washington-Tel-Aviv ?
  • Orbán-Nétanyahou, des kilomètres au compteur
  • Un ennemi commun : Soros et le « libéralisme globalisé »
Quand et comment a été décidé ce sommet ?

Jamais encore un sommet du groupe de Visegrád ne s’était tenu ailleurs que chez l’un de ses quatre membres, à savoir la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie. Mais ce n’est pas le premier sommet à ce format : le Groupe de Visegrád a par exemple organisé un sommet « V4 + Égypte » avec le président Al-Sissi et Angela Merkel a été invitée plusieurs fois à leurs rencontres. Benyamin Nétanyahou lui-même avait participé à un sommet « Visegrád + Israël » au mois de juillet 2017 à Budapest. C’est à ce moment qu’avait été évoquée l’idée d’une visite des dirigeants d’Europe centrale en Israël. Selon le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, l’affaire a été conclue au début de l’année entre les Premiers ministres hongrois et israéliens, Viktor Orbán et Benyamin Nétanyahou, dans un contexte pour le moins significatif : le 1er janvier à Brasília, en marge de l’investiture du président brésilien d’extrême-droite Jaír Bolsonaro, boycottée par tous les autres dirigeants européens.

Quel est l’intérêt pour la partie israélienne ? 

Benyamin Nétanyahou a commis la maladresse de laisser son micro allumé lors d’une réunion à huis-clos avec les quatre Premiers ministres centre-européens lors du sommet à Budapest en 2017. On a ainsi pu l’entendre inciter ses interlocuteurs à tenter d’infléchir la position diplomatique européenne sur le conflit israélo-palestinien, critiquant vertement l’Union au passage. L’Institut polonais des affaires internationales écrit noir sur blanc ce que tous les observateurs tiennent pour acquis depuis : « Israël tente d’instrumentaliser le V4 et de créer des divisions entre ses membres et le reste de l’UE » (lire le rapport du PISM ici). Il s’agit donc pour Nétanyahou d’affaiblir la position diplomatique européenne, sinon diviser l’Europe, sur des dossiers clés pour Israël : le conflit israélo-palestinien et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, et l’accord nucléaire iranien (défendu par l’UE mais rejeté par les États-Unis et Israël). Organiser le sommet à Jérusalem quelques semaines avant les élections législatives israéliennes, pour lesquelles Nétanyahou, est en mauvaise posture lui permettrait également de sortir d’un relatif isolement international, selon le journal israélien « Haaretz ».

Quelle est la position du « V4 » sur le conflit israélo-palestinien ?

Le « V4 » soutient officiellement la position européenne d’une solution à deux États en règlement du conflit israélo-palestinien. Mais il est tenté de s’aligner sur les États-Unis qui ont reconnu la Ville Sainte de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël l’année dernière, selon la promesse de campagne de Donald Trump. Entre Bruxelles et Washington, les pays d’Europe centrale évoluent sur le fil du rasoir : malgré les pressions venues d’outre-Atlantique, ils se sont associés à la condamnation par les Nations-Unies du transfert de l’ambassade états-unienne au mois de mai 2018. Ce qui n’a pas empêché la République tchèque, la Hongrie (et la Roumanie) de faire capoter ensuite toute résolution européenne dans ce sens ni de participer aux festivités organisées en Israël lors du transfert.

Et quid de l’intérêt des centre-Européens ?

Le groupe de Visegrád n’est pas un bloc monolithique en matière de diplomatie extérieure, même si, à l’instar du duo France-Allemagne, ses membres harmonisent de plus en plus souvent leurs positions en amont des grandes rencontres européennes. Pour la Pologne et la Hongrie, Israël représente un nouveau partenaire et allié qui, à l’instar de la Russie et de la Chine, ne leur demandera pas de comptes sur les questions démocratiques. Quand les relations avec l’administration Obama étaient mauvaises voire exécrables, Nétanyahou représentait aussi pour eux un relais vers les États-Unis. C’est un peu moins le cas aujourd’hui. Aussi (et surtout ?), Nétanyahou représente une caution morale pour Viktor Orbán et Mateusz Morawiecki, tous deux accusés de révisionnisme historique et de minimiser le rôle de leur pays dans la Shoah, et in fine d’attiser indirectement l’antisémitisme.

Assiste-t-on à l’émergence d’un axe V4-Washington-Tel-Aviv ?

Ce sommet, qui se tiendra non pas à Tel-Aviv mais à Jérusalem, tient de la bravade diplomatique vis-à-vis de l’Union européenne. D’autant que la Pologne a accueilli la semaine passée une conférence initiée par les États-Unis, officiellement sur le Moyen-Orient, mais vue par ses détracteurs comme un conseil de guerre contre l’Iran et à ce titre boudé par la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. La tournée centre-européenne du secrétaire d’État US Mike Pompeo la semaine dernière en témoigne : les États-Unis de Donald Trump sont bien décidés à reprendre pied en Europe centrale : nous avons été trop longtemps absents d’Europe centrale et nos adversaires chinois et russes en ont profité pour s’y implanter, a expliqué en substance le chef de la diplomatie états-unienne. L’illisibilité actuelle du « projet européen », les désaccords idéologiques et la faiblesse géopolitique de l’UE favorisent les forces centrifuges et incitent ces pays de la périphérie de l’Union à se trouver d’autres alliés. (Lire Les États-Unis cherchent à reprendre la main en Europe centrale)

Orbán-Nétanyahou, des kilomètres au compteur

La relation actuelle du « V4 » avec Israël tient pour bonne part à la grande proximité politique et personnelle de Benyamin Nétanyahou et Viktor Orbán. En dépit des apparences, entre le Hongrois et l’Israélien, ce n’est pas le mariage de la carpe et du lapin. Leurs carrières présentent une symétrie étonnante : les deux hommes cumulent chacun treize années à la tête de leur pays et gouvernent depuis près d’une décennie, après un premier passage au pouvoir suivi d’une longue traversée du désert. Tous deux sont accusés par leurs opposants internes et leur détracteurs étrangers de corruption et de dérive nationaliste et autoritaire. Amnesty International avait dénoncé leur rencontre à Budapest à l’été 2017 (« Orbán et Nétanyahou construisent ensemble les murs de la haine »), arguant que les deux hommes briment la société civile : « les discours publics sont de plus en plus toxiques en Hongrie et en Israël. Cette dégradation est en grande partie imputable à la campagne de stigmatisation et de falsification de la vérité engagée par les gouvernements hongrois et israélien contre les organisations de défense des droits, parmi lesquelles Amnesty International ».

Un ennemi commun : Soros et le « libéralisme globalisé »

Lors de sa visite à Budapest à l’été 2017, Benyamin Nétanyahou n’a pas pu ne pas voir les affiches gouvernementales géantes qui défiguraient alors les murs de la capitale hongroise. Celles présentant George Soros, l’influent milliardaire américain d’origine juive hongroise, sous un jour mauvais, accompagné du message « ne le laissons pas avoir le dernier mot ». « Bibi » y a certainement reconnu la patte de son propre conseiller en communication feu Arthur J. Finkelstein. C’est lui, Nétanyahou qui avait fait l’entremetteur entre le « marchand de venin » et Viktor Orbán. C’est en partie grâce à cet homme de l’ombre que le Likoud israélien et le Fidesz hongrois ont pu reprendre le pouvoir après leur très longue traversée du désert dans les années 2000. « Soros était l’ennemi parfait. C’était le plus simple de tous nos produits. Il suffisait de l’emballer et de le mettre sur le marché », confierait au mois de janvier l’associé de Finkelstein à « Das Magazin ». (Lire Benyamin Netanyahou soutient le gouvernement hongrois contre George Soros et La machine de propagande d’Orbán mise à nue.)

Le Courrier d’Europe centrale recommande aussi ces lectures :

  • Les yeux doux de Benyamin Nétanyahou à l’extrême droite européenne, Par Orient XXI.
  • Les étranges fréquentations antisémites de la droite israélienne, par Médiapart.
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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