Bus gratuits affrétés, vote en ligne, aide à l’enregistrement : entre 150 000 et 200 000 résidents des républiques séparatistes du Donbass ont voté aux élections parlementaires russes du 17 au 19 septembre grâce aux nombreux passeports distribués par Moscou.
Dans les rues de Donetsk, des affiches électorales ont envahi l’espace public en cette fin septembre. « La Russie, notre choix », affirme l’une, aux couleurs de la Fédération. Pourtant, aucune élection ne se déroule prochainement dans la République populaire de Donetsk (DNR), autoproclamée en 2014 avec celle de Louhansk. Au début de l’année, la commission électorale russe a annoncé que les détenteurs de passeports de la Fédération de Russie dans les territoires séparatistes pourraient voter sur les listes électorales de la région voisine, celle de Rostov.
Campagne électorale à distance
Depuis quelques années, le Kremlin mène une politique active pour modifier la démographie de ces territoires auxquels il apporte un soutien politique, financier et militaire en sous-main. À mesure que les habitants du Donbass quittent les territoires occupés et meurtris par la guerre – 1,5 millions de déplacés, selon l’ONU – ceux qui restent reçoivent des passeports russes, justifiant un peu plus la guerre pour défendre des populations russophones que Moscou considère comme russes et en danger.
En avril 2019, le président russe Vladimir Poutine a signé un décret permettant aux résidents du Donbass d’obtenir la nationalité russe selon une procédure simplifiée de seulement quelques mois, contre au moins huit ans auparavant. Après une courte pause due à la pandémie, ce phénomène de « passeportisation » reprend depuis début 2021.
Les autorités russes ont déclaré en mai avoir accordé à 527 000 personnes la citoyenneté russe au cours des deux dernières années dans la région, dans un geste « humanitaire », selon Moscou. Le but est double, explique le politologue spécialiste du sujet, Fabian Burkhardt : attirer des travailleurs ukrainiens en Russie, dans un contexte de crise démographique russe, mais surtout c’est un levier de plus dans le conflit avec l’Ukraine. « Il ne s’agit pas vraiment de préparer une intervention militaire ou une annexion. Mais la passeportisation peut être utilisée comme un outil contre l’Ukraine », explique ce chercheur de l’Institut Leibniz d’études de l’Europe de l’Est et du Sud-Est à Ratisbonne. « Aux yeux du droit international, c’est beaucoup plus crédible de défendre un citoyen quand il a un passeport [du pays qui prétend le défendre] ».
Les premières tentatives d’utiliser les votes du Donbass ont eu lieu lors du référendum sur la modification de la Constitution russe l’été dernier. Plusieurs milliers de détenteurs de passeports russes ont ainsi été emmenés en bus dans la région voisine de Rostov pour qu’ils accèdent aux urnes. Mais à l’époque, le nombre d’électeurs était limité en raison de la pandémie de coronavirus et du nombre relativement faible de détenteurs de passeports russes.
Des centaines de bus vers la Russie
Pour la première fois, l’ampleur du phénomène est massive, notamment avec l’avènement du vote électronique. Depuis plusieurs semaines, dans les écoles du Donbass, des centres de consultations et d’aide ont été ouverts, pour favoriser l’enregistrement en ligne des locaux. Aucun isoloir n’a été mis en place sur le territoire des républiques séparatistes autoproclamées pour éviter de nouvelles sanctions occidentales, mais du 17 au 19 septembre, des lignes de transports gratuites et spécialement affrétées aux couleurs russes amenaient les électeurs vers l’oblast voisin de Rostov. En DNR, 825 bus et douze trains étaient mis en place, a déclaré son dirigeant Denis Pouchiline à l’agence Interfax. Les autorités de Louhansk n’ont pas rendu leur dispositif public. Selon le média russe basé à l’étranger Spektr, les votants ont été emmenés dans des centres commerciaux après le vote. Certains se sont même rendus aux urnes quelques heures seulement après avoir reçu leur nouveau passeport, rapporte le média russe indépendant Meduza.
Selon la commission électorale citée par les médias locaux de Rostov, 162 000 électeurs du Donbass ont utilisé le vote électronique. Près de 50 000 personnes supplémentaires ont voté sur place. Kiev, qui a déjà pris des sanctions contre les organisateurs, considère le dispositif comme une attaque de plus contre sa souveraineté.
Mais pourquoi mettre en place un dispositif électoral aussi lourd ? Certains experts y voient une stratégie pour récupérer des votes dans une région plutôt importante qui comptetrois millions d’inscrits. Les candidats de « Russie Unie », le parti de Vladimir Poutine, ont ainsi été élus dans toutes les circonscriptions où les résidents du Donbass pouvaient voter.
Mais le réel but est ailleurs, selon Fabian Burkhardt, car la Russie a d’autres moyens de gagner des élections, même si le chercheur reconnaît que le soutien pour « Russie Unie » augmente dans les urnes avec ces nouveaux votes. « Ce dispositif permet de légitimer le statut de la Russie dans les républiques du Donbass. C’est un signal pour les habitants : qu’ils sont pris au sérieux, qu’ils peuvent voter, comme les citoyens russes ».
Photo d’illustration : Фотобанк Moscow-Live / Creative Commons.