L’ancien président de la République polonaise Lech Wałęsa a « sans aucun doute », collaboré avec la police politique communiste (SB) dans les années 1970, d’après des experts judiciaires.
Cette affirmation arrive après l’étude graphologique de documents fournis à la Justice par l’IPN (l’Institut Polonais de la mémoire Nationale) en février 2016. La confirmation est tombée ce mardi 31 janvier. Actuellement en Colombie, l’ancien Président polonais ne s’est toujours pas exprimé. Malgré avoir intenté plusieurs procès en diffamation contre ses détracteurs, il n’a cette fois pas directement répondu aux graves accusations de mardi, laissant son avocat Jan Widacki parler à sa place. « Ce n’est pas une chose qui puisse se mesurer. Nous aimerions vraiment pouvoir interroger les experts qui ont émis cet avis », a expliqué l’avocat à la chaîne de télévision publique polonaise TVP Info. Le 8 janvier, lorsque l’un de ses fils, Przemysław, s’est suicidé, Lech Wałęsa a attribué ce geste à cette campagne de critiques qu’il subit.
La Justice l’avait pourtant blanchi en 2000, mais c’était sans compter la persévérance de l’IPN, l’Institut polonais de la mémoire nationale. En 2008, ce sont deux historiens qui l’accusent de collaboration, en s’appuyant sur de nouvelles preuves. Enfin, en 2016, l’affaire entre dans la phase critique pour le présumé collaborateur. Les enquêteurs de l’IPN ont saisi le dossier personnel de « Bolek » au domicile du général Czesław Kiszczak, ancien ministre de l’intérieur communiste. Cette perquisition arrive après que la veuve dudit général, décédé en novembre 2015, a souhaité vendre ces documents compromettant à l’IPN contre rémunération. Cette rémunération avait pour objectif de payer un monument funéraire à son mari, c’est donc cette décision qui a déclenché toute cette affaire. En effet, ces documents prouvent que « Bolek » et Wałęsa sont la même personne et qu’il a bien communiqué des données aux services secrets communistes (SB) au début des années 1970, soit avant la création de Solidarnosć.
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Une affaire qui marque toute la Pologne
Dès lors que Lech Wałęsa est considéré comme un héros national, cette affaire prend une ampleur considérable. Tiraillée par le doute, la société polonaise est politiquement partagée depuis les années 1990. D’un coté, il y a ses adversaires, avec les conservateurs qui ont lancé les attaques contre lui. Ils bénéficient d’un soutien fort : l’actuel président polonais Andrzej Duda qui a même appelé Wałęsa à avouer cette collaboration une bonne fois pour toute. Si ses partisans dénoncent une opération des conservateurs au pouvoir (les membres du PiS, le Parti Droit et Justice, avec comme président Jarosław Kaczyński, l’ancien collaborateur de Wałęsa devenu aujourd’hui un de ses fervents opposants) pour salir l’image de leur héros, il admet lui-même avoir signé des documents, mais seulement pour mieux tromper les services secrets. Ce serait la raison pour laquelle le SB a mis fin à la collaboration pour « manque de volonté de coopérer ».
De l’autre coté : ses partisans qui continuent de voir en lui le héros libérateur. Prix Nobel de la Paix en 1983, il avait fortement contribué à l’implantation de la démocratie dans le pays. La chute du régime communiste alors en place, la République Populaire de Pologne, est directement liée aux accords signés lors de la table ronde polonaise en 1989, avec comme protagoniste Lech Wałęsa.
« Des accusations qui ne diminuent en rien son rôle historique«
Malgré de nombreuses critiques, et le risque pour Lech Wałęsa d’être relégué au rang de traître collaborateur par le pouvoir en place, plusieurs historiens soulignent son rôle indéfectible de « libérateur de la Pologne ». Les professeurs Andrzej Paczkowski et Jan Zaryn notamment, ainsi que certains de ses adversaires ont ainsi estimé que ces accusations ne diminuent en rien son rôle historique. Même s’il affirme « ne pas avoir l’intention d’effacer Wałęsa de l’histoire de la Pologne », le président de l’IPN Jarosław Szarek a tout de même remis en question son intégrité et « la façon dont il peut être considéré ». « Dès aujourd’hui, on peut se poser une nouvelle question: dans quelle mesure la collaboration de Lech Wałęsa, au début des années 1970, a-t-elle déterminé ses décisions ultérieures (…) dans les années 1980, et après 1989. La question reste posée », a continué Jarosław Szarek.
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