Enquête de Direkt36 : Budapest, nid d’espions chinois ?

Dans une nouvelle enquête, le site d’investigation hongrois Direkt36 révèle les dessous de la politique « d’ouverture à l’Est » du gouvernement Orbán. Alors que les investissements chinois tant attendus par Budapest se font encore attendre, les espions chinois eux, n’ont pas perdu de temps pour investir la Hongrie.

Après les relations incestueuses entre les patrons allemands de l’automobile et le gouvernement hongrois, c’est à une relation non moins sulfureuse que s’est attaqué le site d’investigation hongrois Direkt36 et son journaliste vedette Szabolcs Panyi. Grâce à de nombreux contacts au sein ou proche du renseignement hongrois, l’enquête donne à voir la montée en puissance des services secrets chinois en Hongrie.

Qu’y apprend-on dans les grandes lignes ? D’abord, que la doctrine « d’ouverture à l’est » mise en œuvre par le Fidesz depuis 2010 n’a pas produit, à ce jour, les résultats escomptés en matière d’investissements chinois, comme l’analysait déjà dans nos colonnes la chercheuse Ivana Karaskova ; mais surtout qu’elle a créé pour Pékin un environnement propice au développement de ses réseaux d’influence et d’espionnage.

Quand la radio hongroise joue la partition de Pékin

Pourtant, les hommes du Fidesz avaient bon espoir de trouver en Pékin des sources de financement providentielles. Selon Direkt36, avant même son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orbán et ses conseillers avaient développé la conviction que le déclin de l’Occident et la montée en puissance de l’Asie devaient conduire la Hongrie à se tourner davantage vers l’Est. Mais dans un premier temps, le dirigeant hongrois n’aurait pas été très enthousiaste à l’idée de coopérer avec la Chine et son régime communiste, l’autoritarisme de Singapour lui plaisant davantage. Las, c’est la crise économique de 2008, et l’austérité promue par le FMI et la Commission européenne qui ont finalement convaincu l’équipe dirigeante de croire en les opportunités financières promises par Pékin.

Direkt36 illustre son propos en reconstituant un épisode saisissant : le 24 juin 2011, la station de radio « Klasszik » a subitement mis en sourdine sa musique occidentale habituelle pour faire retentir de la musique traditionnelle chinoise aux oreilles du Premier ministre Wen Jiabao. Ce dernier, confortablement installé à l’arrière de sa limousine qui le reconduisait à l’aéroport après une rencontre avec son homologue hongrois, a pu constater que son pays dispose indéniablement d’une marge de manœuvre en Hongrie.

Selon le service de renseignements magyar, la Hongrie est déjà devenue un terrain de jeu mettant aux prises espions américains et chinois.

Des citoyens « lambda » au service du renseignement chinois

Au-delà de la sinophilie de certains membres du gouvernement, l’enquête souligne la capacité de Pékin à utiliser de « simples citoyens » dans son entreprise d’espionnage. Direkt36 a par exemple réussi à identifier une jeune femme chinoise qui, en avril 2019, avait pris des centaines de photos lors d’une soirée huppée organisée par l’OTAN sur les collines de Buda. Il s’agit d’une étudiante chinoise qui, d’après sa professeure, a fini par être contrainte de rejoindre le Parti communiste chinois. Un ancien membre des services secrets hongrois confie à Direkt36 que Pékin n’hésite pas à employer (quitte à les forcer) ses ressortissants basés à l’étranger à des fins d’espionnage.

Or, un programme très controversé de « visas en or » a largement profité aux ressortissants chinois. Durant plusieurs années, le gouvernement hongrois a vendu la résidence en Hongrie et l’accès à l’espace Schengen qui en découle pour toute une famille et à vie, contre seulement 300 000 euros investis dans des bons du Trésor hongrois sur cinq années. Selon Direkt36, près de 80 % des 20 000 visas ont été à des familles chinoises. Qui plus est, le gouvernement hongrois n’avait alors accordé que 30 jours aux services de contre-espionnage pour vérifier le profil des candidats. Mission impossible, dit une source interne, qui soupçonne les services secrets chinois d’être à l’origine des nombreuses acquisitions de biens immobiliers à des prix anormalement élevés dans le centre-ville de Budapest.

Le nombre d’étudiants chinois a lui aussi drastiquement augmenté durant ces dix dernières années. Ils étaient 446 en 2013, et 2776 en 2019, soit la deuxième nationalité la plus représentée derrière les Allemands. Avec l’arrivée annoncée de l’Université Fudan à Budapest en 2024, des milliers d’étudiants, professeurs et employés vont venir gonfler ce contingent dans la capitale hongroise. Et c’est sans compter le réseau bien fourni d’Instituts Confucius qui s’est développé en province au cours de la dernière décennie.

L’Europe centrale, zone d’affrontement sino-américaine

Selon le service de renseignements magyar, la Hongrie est déjà devenue un terrain de jeu mettant aux prises espions américains et chinois. Direkt36 renvoie par exemple à l’histoire d’un expert américain, un lobbyist envoyé par Washington en Europe pour convaincre les gouvernement de dénoncer les crimes du régime communiste chinois. Dans tous les restaurants ou cafés où il s’attablait, une personne asiatique s’asseyait à côté de lui pour le photographier. Dans la rue, il était constamment pris en filature. Après s’en être plaint au FBI, le bureau fédéral américain lui a confirmé qu’il ne s’agissait pas de touristes chinois curieux, mais bien d’espions.

Pierre d’achoppement entre Pékin et Washington : le développement du réseau 5G par le géant chinois des télécommunications Huawei. Dans cette guerre commerciale, la Hongrie penche en faveur de la Chine, refusant de céder aux très fortes pressions de Washington. En décembre 2018, la Chine a fait arrêter deux ressortissants canadiens par mesure de rétorsion après l’arrestation de la fille du fondateur d’Huawei par la police canadienne, à la demande des États-Unis. Il s’est avéré que l’un de ces deux Canadiens, Michael Kovrig, possède également la citoyenneté magyare. Au début de l’affaire, M. Szijjártó, ministre hongrois des Affaires étrangères, avait déclaré suivre l’affaire de très près, mais le voici désormais qui rétorque à Direkt36 que « les autorités chinoises considèrent Kovrig comme étant exclusivement canadien », rendant impossible toute action de la part de Budapest. En février 2021, le Canada, suivi par 58 pays, a émis une condamnation officielle à l’encontre des pratiques de prise d’otages diplomatiques, comme dans le cas de Kovrig. De tous les États membres de l’UE, seule la Hongrie n’a pas signé le communiqué.

L’intégralité de l’enquête de Direkt36 est accessible ici.

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