Au Bélarus, les autorités ont accepté de relâcher des manifestants, arbitrairement arrêtés et détenus dès le début du mouvement de contestation. Depuis, le 13 août, une série de témoignages vient accabler le régime : cruauté des geôliers, violences et brutalités à répétition, conditions de détentions inhumaines, torture… Andreï se trouvait en voiture avec des amis, lorsqu’il a été brutalement arrêté et détenu dans des conditions inhumaines. Il a tenu à faire connaître son histoire. Voici son témoignage.
Les noms de personnes et de lieux ont été changés, pour garantir la sécurité du témoin. Il nous a fourni les photographies de ses blessures ainsi que d’autres détails attestant de la véracité des faits relatés et des brutalités subies durant sa détention.
Voici mon histoire, même si je sais qu’elle est difficile à croire, au cœur de l’Europe en 2020.
Le 11 août, un ami et moi avons été brutalement sortis de notre voiture, pour un simple coup de klaxon dans un embouteillage. Les policiers ont crevé toutes les roues de nos pneus. Je n’ai pas résisté lors de l’arrestation, mais malgré cela ils m’ont frappé aux jambes, et au ventre, pour ne que je ne m’enfuie pas. Mon ami, lui, a eu moins de « chance »… On nous a installés dans un fourgon et on nous a emmenés au poste de police. Les gens dans le véhicule étaient méchamment amochés. Peut-être ont-ils résisté…
Pendant la fouille de nos effets personnels, ils nous ont obligés à déverrouiller les téléphones, et ils nous frappaient si nous refusions, jusqu’à ce que nous obtempérions. Ensuite, ils ont regardé dans les messageries Telegram. Ils cherchaient si certains d’entre nous avaient pris en photo leur bulletin de vote, afin de savoir si l’un d’entre nous avait voté pour Tikhanovskaïa. Ils ont également regardé s’ils trouvaient des vidéos des rassemblements, et ils se sont amusés avec les téléphones les plus chers…
« Pendant une bonne partie de notre détention, ils nous ont maintenus à genoux. Ils nous ont d’abord laissés comme ça pendant 8 heures. »
Pendant une bonne partie de notre détention, ils nous ont maintenus à genoux. Ils nous ont d’abord laissés comme ça pendant 8 heures. Puis pour la nuit, ils nous ont couchés sur le ventre dans un gymnase. Il faisait très frais, et nous étions tous en short, en t-shirt ou même sans vêtements.
Le lendemain après-midi, ils nous ont de nouveau mis dans un fourgon où nous étions serrés les uns contre les autres. On se cognait la tête contre les parois du véhicule à chaque bosse ou virage. Ils nous ont emmenés vers le Centre pour l’isolement des délinquants, situé rue B*** à Minsk. J’ai été tout de suite mis à genoux sur le sol, pendant au moins une heure. Ensuite, nous sommes entrés dans la cour intérieure, et nous avons dû passer le long d’une file de policiers anti-émeutes, munis de matraques. On était dans une simple « cour » de 9 mètres sur 6, surmontée d’un grillage, tous entassés les uns contre les autres.
On n’avait pas de nourriture, pas de repas, mais les policiers ont mis, au milieu de la cour, deux assiettes de pain écrasé avec de la graisse. J’ai encore envie de vomir en y repensant, parce que j’ai dû me résoudre à manger cela. Je n’avais rien mangé depuis 24 heures. Mais on devait bien être 100 personnes dans cette cour, donc tout le monde a dû avoir un repas de la taille d’un pouce… On osait à peine aller aux toilettes, tant on était les uns sur les autres.
Nous avons tous bu dans un seau de 10 litres pour tout le monde. Ils le remplissaient à nouveau trois ou quatre fois par jour. J’espère que je n’ai pas attrapé le coronavirus, d’hépatite ou de VIH, car tout le monde était blessé, avait des coupures ou des plaies…
« Les policiers ont mis au milieu de la cour deux assiettes de pain écrasé avec de la graisse. J’ai encore envie de vomir en y repensant, parce que j’ai dû me résoudre à manger cela. »
À la tombée de la nuit, les gens voulaient dormir, et ils ne pouvaient le faire que sur le béton. Certains s’allongeaient par terre. Certains s’asseyaient sur leurs chaussures et s’appuyaient sur un voisin. Malgré la chaleur de l’été, la nuit était très froide. La ventilation tournait à fond. Ceux qui se tenaient debout essayaient de se tenir les uns contre les autres, mais tombaient de fatigue, sans parvenir à dormir debout. Les personnes battues, affamées et déshydratées agonisaient. Plus tard, le chariot a amené des personnes aux corps meurtris, qui ont été très violemment battues. Ils nous ont jeté un type qui était malade. Il a vomi, demandait de l’aide, mais le médecin n’est pas venu le voir, même si nous l’avons appelé.
Un peu plus tard dans la nuit, ils ont jeté dans la cour quelqu’un qu’ils soupçonnaient d’être un organisateur du mouvement. Ils l’avaient déjà brutalisé, sa colonne vertébrale était tordue, il devenait lentement blanc. Ils ont fini par les emmener chez le médecin, probablement pour qu’ils ne meurent pas devant nous…
Plus la nuit avançait, plus de nouveaux détenus arrivaient dans la cour. Les nouveaux arrivants pouvaient à peine entrer dans la pièce, tout le monde était obligé de se tenir debout comme des pingouins. De froid, l’air est devenu étouffant.
« Ils ont jeté dans la cour quelqu’un qu’ils soupçonnaient d’être un organisateur du mouvement. Ils l’avaient déjà brutalisé, sa colonne vertébrale était tordue, il devenait lentement blanc. »
C’est sans doute, finalement, ce qui nous a sauvés, puisqu’un peu plus tard, nous avons été libérés pour être renvoyés chez nous : les prisons ne peuvent pas faire face à un tel nombre de personnes entassées. Mais en même temps, avant de partir, ils ont frappé sur les jambes, les cuisses et les fesses de tout le monde très violemment, pour qu’on ait des difficultés à marcher et à aller aux rassemblements dans les jours à venir. Avant d’être libérées, on a dit aux filles d’enlever leur pantalon et leur culotte et de se baisser…
Le sentiment après ma libération est terrible. Mon compagnon de cellule m’a dit qu’il se sent encore plus mal qu’après 5 années dans une colonie pénitentiaire. À un moment donné, pendant la détention, j’ai pensé au suicide. On ne peut pas rester debout sans dormir, boire 300 ml d’eau par jour, avec un morceau de pain gros comme mon pouce. Mais je ne voulais pas me rendre ni avouer ou supplier.