Bataille autour du Pont des Chaînes, emblème de Budapest

La municipalité de gauche de Budapest et le gouvernement de droite de Viktor Orbán s’écharpent autour de la rénovation du pont le plus emblématique de Budapest qui enjambe le Danube.

Le célèbre Széchenyi lánchíd, « Pont aux chaînes Széchenyi », inauguré en 1849 pour relier pour la première fois par un pont permanent Pest et Buda, peut-il tomber à l’eau ? L’œuvre de l’ingénieur écossais Adam Clark, qui est longtemps restée le plus grand pont suspendu par des chaînes au monde, peut-elle finir dans le fleuve comme lorsque l’armée allemande le fit dynamiter le 18 janvier 1945 ?

L’emblématique ouvrage, symbole de la puissance de Budapest, se trouve depuis de longues semaines au centre d’un conflit entre le gouvernement de droite de Viktor Orbán et la municipalité de gauche de Gergely Karácsony. Aucune des deux parties n’acceptent de faire de rallonge pour sa rénovation.  

Le Lánchíd détruit, et au second plan le palais royal, lui aussi ravagé par les combats. Source : Fortepan.
Plus le temps passe, plus le risque devient élevé

Pourtant, le Lánchíd va mal. Sa dernière rénovation remonte à plus de trente ans, c’était en 1986-88. Au cours des 30 dernières années, il s’est considérablement corrodé, y compris les dalles de voie sous la couche d’asphalte de la route, les sections de fer du trottoir, les balustrades, et même les anneaux de chaîne qui maintiennent le pont pourrissent à plusieurs endroits. La nécessité de le rénover est apparue dès 2002, mais priorité a été donnée à la révision complète du pont Marguerite un peu en amont du fleuve. Résultat : plus le temps passe, plus le risque devient élevé pour ses usagers et plus les coûts de rénovation seront importants.

Au début de l’année, la régie des transports de Budapest (BKK) a interdit le trafic sur le pont aux véhicules de plus de cinq tonnes, à l’exception des bus de ville. Puis au mois de juin dernier, la vitesse sur le pont a été limitée à 30 km/h. Gábor Szőke, PDG de Budapest Közút, l’entreprise en charge de la gestion et de l’exploitation des ponts du Danube affirme que l’état du pont ne nécessite pas sa fermeture immédiate. Mais Balázs Fürjes, secrétaire d’État au développement de Budapest et de son aire urbaine, le représentant du gouvernement dans cette affaire, met au contraire en avant des rapports d’experts selon lesquels le pont se trouve dans un « état critique » et selon lesquels des fragments de béton menacent de se détacher et de tomber sur les véhicules, les remblais ou les navires.

Le compte n’y est pas

Jusque-là, la rénovation du Pont des Chaînes n’a été envisagée que couplée à la rénovation du Tunnel qui le prolonge, creusé sous la colline du château. Selon divers appels d’offres émis par la municipalité précédente d’Istvan Tarlós, le coût s’élèverait à 34,5 milliards de forints nets et 40 milliards bruts. Pour la reconstruction du Pont des Chaînes seul, les coûts variaient entre 24,6 et 27,9 milliards de forints nets, et pour le tunnel séparément de 9,9 à 11,2 milliards. Par comparaison, la rénovation du pont Marguerite a coûté 24 milliards (30 milliards bruts).

L’année dernière, la ville a réservé 17,3 milliards de forints pour la rénovation du pont, auxquels l’État doit ajouter 7 milliards. Qui va « allonger » les 17 milliards manquants ?

Théoriquement, le Pont des Chaînes appartient à la ville et c’est donc à la municipalité de Budapest d’assurer son entretien. Cependant, comme le coût d’un chantier ou de la rénovation d’un pont est difficile à assumer pour un conseil local, le gouvernement contribue généralement à ces investissements avec ses propres ressources ou des fonds de l’UE. Par exemple, des fonds européens à hauteur de 6 milliards avaient été engagés dans la rénovation du pont Marguerite.

Le maire de gauche Gergely Karácsony a fait du sort du Lánchíd le symbole de la politique gouvernementale qui consiste à asphyxier financièrement les municipalités pour les tenir en laisse.

Une manifestation sur le Lánchíd en avril 2017. © Le Courrier d’Europe centrale
Le bras de fer Karácsony-Orbán

Avec son budget total de 415 milliards de forints, Budapest a les moyens de mettre sur la table les 17 milliards manquants. Mais ce budget a été élaboré avant la crise du coronavirus. Celle-ci va coûter très cher à la ville en raison de la baisse des recettes fiscales, de la récession économique, et du renflouement nécessaire des transports publics. L’ensemble pourraient facilement s’élever à 100 milliards de forints.

Le maire de gauche Gergely Karácsony a fait du sort du Lánchíd le symbole de la politique gouvernementale qui consiste à asphyxier financièrement les municipalités pour les tenir en laisse. Plusieurs amendements passés sous l’état d’urgence pendant la crise du coronavirus au printemps ont privé les municipalités de recette fiscales. Gergely Karácsony reprochait aussi au gouvernement d’allouer plus d’argent aux célébrations de la fête nationale du 20 août (6,5 milliards de forints) qu’à la rénovation du pont. Karácsony s’est opposé à ce que le traditionnel feu d’artifices soit tiré depuis le pont et le gouvernement a fait annuler les célébrations et notamment, arguant du risque épidémique.

Une réouverture en 2023 ?

La solution passera peut-être par le découplage pont-tunnel. La régie des transports de Budapest a décidé vendredi dernier de lancer un nouvel appel d’offres qui ne concernera que la rénovation du pont et exclura celle du tunnel. Mais un amendement gouvernemental est nécessaire, car la subvention de l’état initiale de 6 milliards était destinée à une rénovation conjointe du pont et du tunnel.

L’appel d’offres pourrait être émis dans les jours qui viennent, a déclaré le directeur de la BKK, László Fendrik. Selon lui, les travaux pourraient débuter après l’hiver prochain, au mois de mars 2021, et durer 30 mois. Cela signifie que le pont sera fermé au trafic pendant un an et demi, pour ne rouvrir qu’en 2023. Il serait, après rénovation, opérationnel pour les 25 années à venir.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.