Déjouant tous les pronostics, le parti d’extrême droite Notre Patrie a récolté presque 6% des voix et fait son entrée au parlement hongrois lors des législatives d’avril 2022. Droitisation du pays, affaiblissement de l’opposition et renforcement du Fidesz, l’ascension de cette jeune formation a de multiples répercussions.
Le 3 avril 2022, le soir des élections, le Fidesz n’était pas le seul à célébrer une victoire. Depuis leurs locaux, le petit parti d’extrême droite Mi Hazánk (« Notre Patrie ») découvrait dans un mélange de bonheur et de stupéfaction leur score de presque 6%, un point au-dessus du seuil d’accession au parlement. « Un miracle s’est produit » se laissait aller László Toroczkai, président du parti, dans son discours post-élections, où il se félicite de l’arrivée de ce qu’il appelle la « troisième voie » au parlement.
Miracle ou non, il est vrai que quasiment personne n’avait anticipé la performance de Mi Hazánk, qui est maintenant représenté par six députés au parlement. Lors de l’inauguration de la première assemblée, ils n’ont d’ailleurs pas manqué de se faire remarquer en débarquant vêtu du costume traditionnel hongrois dit « bocskai », particulièrement en vogue dans les milieux nationalistes.

Certes face à la majorité des deux-tiers du Fidesz (136 députés sur 199), les six représentants de Mi Hazánk pèseront bien peu. Pourtant, la montée en puissance de ce jeune parti d’extrême droite n’a rien d’un détail. Malgré les déclarations de leur président, László Toroczkai, qui martèle que sa formation n’est pas un « partenaire » du Fidesz, Notre Patrie n’en demeure pas moins un parti satellite qui non seulement renforce le parti de Viktor Orbán, mais contribue surtout à affaiblir le front uni de l’opposition.
L’aile radicale du Jobbik
Le parti est fondé à l’été 2018 par d’anciens membres du Jobbik. Malgré sa performance aux élections législatives de 2018, où le Jobbik arrive deuxième derrière le Fidesz et s’impose de loin comme le premier parti d’opposition, la direction du parti est en crise. A la démission du président historique Gábor Vona s’ajoute la fronde des membres les plus radicaux qui s’opposent à la stratégie de « recentrage » en appelant à en revenir aux origines extrémistes du parti. Sous l’égide de László Toroczkai et Előd Novák, des historiques du Jobbik, l’aile radicale du parti fait sécession pour fonder Mi Hazánk, un parti ouvertement d’extrême droite.
Les débuts sont toutefois difficiles. Pendant quatre ans, le poids politique de Notre Patrie reste insignifiant. En 2019, ils rassemblent un peu plus de 3% des voix aux Européennes et échouent à entrer au parlement. Quelques mois plus tard, ils arrivent bons dernier des municipales, remportant seulement deux villages dans tout le pays.
Malgré leur rôle anecdotique sur la scène politique, la jeune formation bénéficie d’une très généreuse exposition médiatique. Le parti est en fait largement maintenu à flot par le Fidesz, qui lui a ouvert les portes des médias progouvernementaux, y compris de la télévision publique, où Toroczkai et consorts sont régulièrement invités. Fort de cette publicité, ils arrivent à attirer l’attention, comme lorsque Előd Novák arrache le drapeau LGBT de la devanture de la mairie de Budapest pour le jeter à la poubelle, ou quand la vice-présidente Dóra Dúró, jette le livre de contes revisités à la sauce LGBT dans un broyeur papier – deux thèmes qui résonnent et même préfigurent la campagne anti-LGBT lancée par le Fidesz à l’été 2021.
En vue des législatives de 2022, le parti a pu mobiliser d’importants moyens. Dans leur programme, ce parti nationaliste reprend le discours originel du Jobbik, vigoureusement anti-tzigane et anti-globaliste – une thématique complotiste dont l’antisémitisme n’est jamais loin. Le président László Toroczkai veut faire de la Hongrie « une île blanche en Europe, qui le restera même si l’Europe disparaît ». Le parti souhaite également conditionner le droit de vote à la capacité à lire et à écrire, réintroduire la peine de mort, supprimer l’immunité parlementaire, ou encore déporter les criminels dans des camps en Sibérie (depuis la guerre, cette dernière promesse a été amendée : plutôt que la Russie, ça sera le Kosovo).
Le parti « antivax »
Avant tout, Mi Hazánk a fait campagne autour d’un thème phare : contre la vaccination et la « dictature du covid ». Fin 2021, quand le pass vaccinal était toujours en vigueur, leurs manifestations anti-vaccination avaient pu mobiliser quelques centaines de personnes à Budapest. En tant que seul parti dit antivax, Mi Hazánk avait alors probablement réussi à toucher des électeurs qui n’étaient pas nécessairement des sympathisants de l’extrême droite, sans que cela ne pousse les commentateurs à anticiper un tel score aux législatives.
D’autant qu’à partir de février, d’abord avec la levée de toutes les restrictions, puis le déclenchement de la guerre, le message « contre la dictature du covid » était devenu totalement anachronique. Les innombrables affiches montrant László Toroczkai lever le bras à la manière du salut nazi agrémenté du message « la dictature covid, ça suffit ! » prêtaient au mieux à sourire dans un pays où la plupart des gens avaient la tête ailleurs.

En fin de compte, Mi Hazánk a pourtant bel et bien réussi à bousculer la scène politique hongroise. D’abord, en précipitant la chute du Jobbik, ancien poids lourd de l’opposition que cette élection a relégué à l’arrière-plan, et dont la contre-performance a largement contribué à la débâcle de l’opposition. Le Jobbik a en effet vu ses électeurs radicaux déserter soit pour le Fidesz, soit pour Mi Hazánk, c’est-à-dire pour des partis ouvertement de droite radicale ou d’extrême droite, délaissant un parti au positionnement idéologique devenu confus, de surcroît membre d’une coalition de gauche.
Le journal en ligne G7 confirme cette analyse et souligne une corrélation entre le vote Jobbik de 2018 et le vote Mi Hazánk en 2022 : selon leur étude, Mi Hazánk aurait aspiré au moins un quart des anciens électeurs du Jobbik. Malgré le peu de données disponibles, G7 ne remarque d’ailleurs aucun lien entre le taux de vaccination (ou de non-vaccination en l’occurrence) et le vote Mi Hazánk, rappelant que les populations les moins vaccinées étant généralement issues de la minorité rom, vigoureusement stigmatisée par Mi Hazánk, il n’est pas étonnant que cet argument de campagne n’ait eu que peu d’effet.
Un parti d’opposition ?
Plus qu’un affaiblissement de l’opposition, c’est surtout un renforcement du Fidesz que provoque l’arrivée de Mi Hazánk au parlement. La bande à Toroczkai n’hésitera certainement pas à voter des lois proposées par le Fidesz dans la mesure où elles seraient conformes à leur programme, à la manière du Jobbik qui, rappelons-le, avait voté pour la loi dite anti-LGBT à l’été 2021, tout en étant membre de la coalition d’opposition.
L’apport de Mi Hazánk va toutefois au-delà de leur soutien éventuel au parlement, somme toute anecdotique puisque le Fidesz détient déjà la majorité des deux-tiers à l’Assemblée. Le principal bénéfice pour Viktor Orbán est plutôt d’avoir un parti qui siège à sa droite, lui permettant de renouer avec son plan d’occuper l’espace politique jusqu’au centre. « L’idée d’Orbán, c’est d’être au centre. Il est donc très important pour lui d’avoir un parti encore plus extrême, cela lui permettra de dire que l’extrême droite, ce n’est pas le Fidesz, mais Notre Patrie » explique le juriste Péter Techet.
Cette stratégie ne date pas d’hier. Historiquement, de 2010 à 2018, c’est le Jobbik qui tenait ce rôle et permettait au Fidesz d’apparaître comme un parti conservateur presque modéré aux yeux de ses partenaires européens. Mais cette tactique est désormais moins attrayante pour Viktor Orbán, dont le parti a été exclu du Parti Populaire européen (PPE) l’année dernière. Depuis, il s’affiche ouvertement avec les partis d’extrême droite européens, comme le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen ou Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni.
Un « parti-test »
Si le besoin de modération sur la scène européenne n’est plus vraiment d’actualité, il le reste sur le plan domestique. Pour cela, Mi Hazánk joue le rôle fondamental de « parti-test » selon l’expression du journaliste András Dezső, qui va introduire dans le débat public des idées et des opinions extrêmes, que le Fidesz pourrait ensuite choisir de reprendre à son compte. Dans les colonnes de HVG, le journaliste explique :
« La recette est simple : le parti extrémiste jette une idée déconcertante dans le débat public, reprise par les médias contrôlés par le Fidesz. Ensuite, des sondages d’opinion commandés par le parti au pouvoir à des fins internes révèlent ce qui est accueilli favorablement par les électeurs du Fidesz, voire par la majorité de la société, et ce qui ne l’est pas. Le Fidesz laisse alors l’aspect inacceptable du message au parti extrémiste, mais s’en approprie pleinement les aspects acceptables. C’est un moyen beaucoup plus sûr de produire des narratifs que de tester soi-même des idées radicales. »
Même si le Fidesz est déjà, à bien des égards, un parti d’extrême droite, l’arrivée de Mi Hazánk au parlement va donc lui permettre de tester et de choisir plus efficacement les thèmes de ses futures campagnes de communication, dont le Fidesz s’est fait une spécialité depuis 2010.
À droite toute
Au parlement hongrois, si l’on additionne les députés Fidesz (136), Mi Hazánk (6) et même ceux du Jobbik (9), les représentants de parti de droite occupent 75% de l’assemblée. Même si la faiblesse de la gauche se confirme toujours autant depuis 2010, cette droitisation continue peut encourager l’opposition à assumer plus ouvertement son identité de gauche, comme l’y appellent plusieurs figures de la coalition. En attendant, Mi Hazánk profite déjà des opportunités offertes par leur accession à la chambre, le parti étant notamment en lice pour présider certaines commissions parlementaires. Plus particulièrement, Notre Patrie s’est publiquement manifestée pour obtenir la présidence de la Commission en charge de la sécurité nationale.