Avec les décès de Rajk et Konrád, la Hongrie perd deux icônes de la dissidence

László Rajk et György Konrád, deux figures de la dissidence contre le régime communiste en Hongrie et deux intellectuels critiques de Viktor Orbán, sont décédés coup sur coup cette semaine.

Triste semaine pour la Hongrie. Mercredi, l’architecte László Rajk a été emporté par un cancer fulgurant à l’âge de 70 ans. Vendredi, c’est l’écrivain György Konrád qui est décédé des suites d’une longue maladie, à 87 ans. Les deux hommes ont été tour à tour dissidents pendant le communisme, puis membre du parti libéral SzDSz, artistes chacun dans leur domaine, et enfin critiques du régime « illibéral » de Viktor Orbán. Une immense perte pour la Hongrie démocratique.

László Rajk, Géza Szõcs et György Konrád, le 11 juin 1994. Photo : Attila Kovács / MTI.
Konrád, l’écrivain de renommée mondiale, auteur de « Le visiteur »

György Konrád, écrivain, essayiste et sociologue récompensé par les prix Kossuth et Herder, est décédé à l’âge de 87 ans, a annoncé la famille de l’écrivain. Né en 1933 au sein d’une famille juive originaire de la région de Debrecen, ses parents et lui-même échappent miraculeusement à la mort dans les camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale. A l’issue du conflit, Konrád poursuit des études littéraires à l’université Eötvös Loránd de Budapest avant de prendre part à l’insurrection d’octobre 1956. Demeuré en Hongrie, il échappe à la répression et cumule les petits emplois. Salarié de la maison d’édition Helikon entre 1960 et 1965, il s’intéresse progressivement à la sociologie et devient urbaniste.

En 1969, il publie son premier roman : A látogató, “Le visiteur”. Traduit dans une dizaine de langues, cet ouvrage contribue à le faire mondialement connaître. Dans ce livre, il rend compte de son expérience comme travailleur social auprès des enfants et se livre, en creux, à une sévère critique du régime et des sociétés industrielles modernes. L’essentiel de son travail concerne les difficultés sociales que posent les nouveaux logements collectifs. Presque systématiquement interdite, c’est par l’intermédiaire de diffusions clandestines – les samizdat – que son œuvre parvient à être diffusée.

Emprisonné quelques jours en 1976, Konrád doit quitter la Hongrie et trouve refuge à Berlin. Il ne retrouve le chemin de son pays qu’à la suite du changement de régime, à la fin des années 1980, où il contribue à la fondation du parti libéral SzDSz. Ardent défenseur des libertés individuelles, il devient très tôt une des principales figures de l’opposition à l’actuel Premier ministre hongrois, Viktor Orbán.

Rajk, le fils du martyr, le filleul du traitre

Beaucoup de ces samizdats, écrits par György Konrád ou d’autres opposants au régime communiste, étaient imprimés clandestinement chez László Rajk, décédé mercredi. Son père, László Rajk lui aussi, avait été la principale victime de la terreur stalinienne et des purges « anti-titistes » orchestrée par Mátyás Rákosi à la fin des années 40. Ministre de l’Intérieur puis des Affaires étrangères après la guerre, il est arrêté le 30 mai 1949, puis exécuté ainsi que 18 autres accusés, le 15 octobre 1949 pour des « crimes » inventés de toutes pièces.

Le jeune László Rajk n’a que sept ans lorsqu’il assiste aux funérailles de son père, célébré par quelques trois cent mille hongrois, le 6 octobre 1956, quelques jours avant le soulèvement du pays contre les Soviétiques. Son parrain n’est autre que János Kádár, l’ami de son père, qu’il avait trahi et conduit à l’échafaud, avant de s’emparer du pouvoir au lendemain de la révolution manquée. Sa mère jetée en prison et lui dans un orphelinat, László Rajk n’a pu retrouver qu’à l’âge de cinq ans sa mère, son nom et son prénom, qui lui avaient été confisqués.

Avec les autres dissidents, il cofonde et devient député en 1990 d’un parti libéral et anticommuniste, le SZDSZ, qui gouverne lors de deux mandats en coalition avec le parti socialiste héritier du parti unique dans les années 2000. Après la politique qu’il quitte dès 1996, il se consacre à son activité d’architecte puis de décorateur au cinéma, travaillant par exemple avec Béla Tarr ou László Nemes pour son film oscarisé Le fils de Saul.

László Rajk n’aimait pas plus le régime de Viktor Orbán que celui de János Kádár. Dans un beau portrait, le journal Libération cite ses mots : « Tout commence par les mots. Et Viktor Orbán l’a bien compris. En grand maître de la communication, il a développé un nouveau langage simple, brutal et arrogant ». Pessimiste, il ajoutait « Ce ne sont pas les Hongrois qui décideront de l’alternance, le régime changera le jour où Orbán décidera lui-même de quitter le pouvoir. »

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