Au plus bas après le scandale de corruption d’Ibiza, le parti d’extrême droite autrichien FPÖ retrouve les sommets à un an des élections nationales, alors que le parti communiste a créé la surprise à Salzbourg.
Jamais deux sans trois : à Salzbourg, lors les troisièmes élections régionales depuis le début de l’année, le parti d’extrême droite FPÖ a signé un retour spectaculaire. Quatre ans après le scandale de corruption « Ibiza » qui avait causé sa chute dans les sondages et son éviction du gouvernement, le FPÖ retrouve son statut de parti majeur – voire de premier parti au niveau national, selon certains sondages – au sein du paysage politique autrichien.
Lire : Crash du FPÖ en Autriche : un séisme pour l’extrême droite européenne
A Salzbourg, quatrième ville d’Autriche et nom de l’état fédéré qui l’entoure, le parti de la Liberté (FPÖ) est arrivé second avec 25,7% des voix, soit près de sept points de plus qu’aux dernières élections. Leur remontée se fait largement au détriment des conservateurs du parti populaire (ÖVP) qui, malgré leur première place avec 30,4%, ont vu leur avance fondre de 7,4 points. Avec un taux de participation plus élevé, qui a en premier lieu bénéficié au FPÖ, le parti d’extrême-droite confirme également sa capacité à rallier une partie de l’électorat traditionnellement fidèle aux conservateurs.
Au soir des élections, le chancelier Karl Nehammer (ÖVP) refusait d’y voir une défaite en venant féliciter le maire de Salzbourg Wilfried Haslauer et leader local des conservateurs. « Le point décisif est que Wilfried Haslauer a atteint son objectif, à savoir être le numéro un. La deuxième chose est que les défis au niveau fédéral (…) assombrissent massivement l’ambiance dans ce pays et que les gens ont de très nombreuses craintes. Or, les radicaux ont toujours la possibilité d’instrumentaliser les peurs avec plus de force que ceux qui assument des responsabilités » déclarait le chancelier.
En Basse-Autriche, les conservateurs s’allient à l’extrême droite
Une situation presque identique a eu lieu fin janvier en Basse-Autriche, où le FPÖ a remporté 24,2% des voix, privant ainsi les conservateurs d’une majorité absolue dans ce qui a toujours été un de leur bastion, et les obligeant à trouver un partenaire pour gouverner en coalition. L’alliance avec les sociaux-démocrates ayant échoué, le parti populaire n’a pas hésité à se tourner vers l’extrême droite, avec qui ils formeront un gouvernement pour les quatre prochaines années en Basse-Autriche.
Depuis la première coalition entre les conservateurs et l’extrême droite au début des années 2000 au Conseil national, et la seconde entre 2017 et 2019, il y a longtemps que s’allier au FPÖ est devenu quasi-normal et une stratégie considérée comme légitime par les conservateurs pour se maintenir au pouvoir.
Les sociaux-démocrates résistent en Carinthie
Début mars, c’est dans l’état fédéré de Carinthie, l’un des rares états tenus par les sociaux-démocrates (SPÖ), qu’avaient lieu des élections. Le SPÖ est parvenu à se maintenir en tête avec 39%, mais le FPÖ y a également confirmé sa remontée en terminant deuxième avec 24,1%. La « grande » coalition entre le SPÖ et les conservateurs, arrivés troisième, n’est toutefois pas menacée, alors que ni les Verts ni les libéraux du parti NEO n’ont franchi le seuil des 5% pour siéger au parlement de ce Land très rural.
Pour les sociaux-démocrates, ce résultat cache toutefois une mauvaise passe. Même si le parti est toujours en course dans les sondages avec le FPÖ et ÖVP en vue des élections national l’an prochain, l’absence d’une figure dominante et populaire prête à mener le parti continue d’être dommageable.
« Le parti de la Liberté progresse toujours (…) lorsqu’il y a un vide thématique et de personnalité dans les deux partis traditionnels » explique Peter Hajek, un sondeur basé à Vienne. De fait, l’actuel chancelier et leader du parti populaire Karl Nehammer est loin de s’être imposé comme une figure charismatique. Sa présence doit bien davantage à la chute de Sebastian Kurz il y a deux ans qu’à son habilité politique.
La remontée en force du parti d’extrême droite s’explique donc aussi par la faiblesse des deux partis traditionnels. A cela se sont également ajoutées la pandémie et la guerre en Ukraine, deux questions au sujet desquelles le FPÖ se distingue, tandis que le retour de la « crise migratoire » dans le débat publique profite, sans surprise, très largement à l’extrême droite.
Lire : Les pays d’Europe centrale décidés à fermer la « Route des Balkans »
La surprise communiste
Toutefois, les élections de Salzbourg ne se résument pas au sempiternel scénario du rebond de l’extrême-droite. Le parti communiste (KPÖ) a pris le pays de court en rassemblant 11,7% des voix, soit 11,3 points de plus qu’aux dernières élections. Pour la première fois depuis 1949, le parti siégera au parlement local. Dans la seule ville de Salzbourg, il se place même deuxième avec 21,5%, seulement trois points derrière les conservateurs, sachant que dans trois arrondissements, le KPÖ arrive en tête.
Ce succès inattendu doit beaucoup à son jeune leader local, Kay-Michael Dankl. Cet historien de 34 ans, conseiller municipal depuis 2019, et médiateur culturel du musée de la ville à mi-temps, jouit d’une très grande popularité, après avoir notamment axé sa campagne sur la crise du logement qui touche plusieurs régions d’Autriche.
L’émergence de l’axe Graz-Salzburg
Kay-Michael Dankl incarne cette jeune génération qui a repris un parti devenu insignifiant depuis de longues décennies déjà. Tout comme la plupart de ses pairs au sein du parti, le jeune élu n’a rejoint le KPÖ qu’après avoir été poussé vers la sortie du mouvement des Jeunes Verts en 2017. Pour sa campagne, il a pu compter sur le soutien actif de Sarah Pansy, l’une des principales leaders du KPÖ qui avait elle aussi déjoué les pronostics en s’emparant de la mairie de Graz, la deuxième ville du pays, en 2021.
« Il y a de la place à gauche » écrit l’éditorialiste Michael Völker dans les colonnes de Der Standard. « Si les communistes peuvent faire 11% dans un état fédéral traditionnellement plutôt conservateur, et 22% à Salzbourg, la ville des festivals, alors le SPÖ et les Verts, qui ont tous deux beaucoup perdu, se sont trompés là où les communistes ont visiblement vu juste » commente-t-il. Il souligne l’erreur de jugement des sociaux-démocrates, qui tablaient sur une droitisation de l’électorat, ainsi que la faute des Verts qui ont délaissé les questions sociales à l’échelle locale pour se concentrer sur la transition écologique au niveau national.
Après ce qui s’apparente à une quasi-résurrection, la jeune garde communiste n’a pas froid aux yeux et fait état de ses ambitions pour les élections nationales prévues l’an prochain. Fort d’un programme insistant sur la « redistribution sociale », le KPÖ pourrait bien faire son retour au Conseil national (parlement), après 65 ans d’absence. Mais avec le retour en force du FPÖ, c’est surtout le spectre d’une nouvelle coalition entre l’extrême droite et les conservateurs qui plane au-dessus du pays à un an des élections nationales.