Au Québec, une communauté polonaise qui cultive ses racines

Les Polonais du Québec sont peut-être fragmentés en raison d’un certain « mur » inter-générationnel, diront certains. Mais ils n’oublient pas pour autant leurs racines. En sont pour preuves les nombreuses organisations culturelles et activités gravitant autour de la communauté polonaise, qui avoisine quelque 65 000 personnes dans la province québécoise. Immersion.

Montréal, correspondance — C’est un rendez-vous radiophonique auquel elle n’a jamais dérogé. Ou presque. Chaque dimanche, depuis maintenant près de vingt ans, Bozena Szara s’installe derrière son micro aux alentours de 18h, dans le petit studio de la station multi-ethnique CFMB 1280 sur la rue Papineau, à Montréal. Pour les deux prochaines heures, c’est de Pologne dont il sera question. Rien d’autre.

« Ma voix, c’est mon pouvoir ! » Bozena, 65 ans, respire la bonne humeur. Arrivée au Québec il y a un peu moins de vingt ans, son amour pour la radio ne l’a jamais quittée. À la barre de Radio Polonia, une nouvelle émission née il y a deux ans à peine, cette animatrice originaire de Pologne carbure grâce à ses auditeurs. Parlez-en à plusieurs Polonais de la métropole, ils connaîtront probablement la fameuse Radio Polonia. C’est qu’elle est bien connue, cette Bozena. Et fort occupée.

« J’ai une forte connexion avec la communauté polonaise. Tout le monde me connait ici ! » Il faut dire que pour réaliser ses entrevues hebdomadaires, cette journaliste au charisme à l’image de sa chevelure rouge pourpre, a bien peu de mal à trouver des intervenants. « Beaucoup de gens veulent participer à mon émission. J’ai une liste d’invités qui déborde jusqu’au mois de juillet ! » Et qui sont-ils ? Principalement des Polonais résidant aujourd’hui à Montréal, qui font rayonner leur culture au Québec.

« Lilia », la fresque consacrée à la Polonia québécoise réalisée par Krzysztof Wilk et inaugurée le 27 octobre 2018 au bâtiment de la Société polonaise de l’Aigle blanc, à l’occasion du centième anniversaire de la reconquête de l’indépendance de la Pologne. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

En ce dimanche de mai, par exemple, c’est Bozena Happach, une artiste-sculptrice de renom en Pologne, qui est l’invitée de l’émission. Pendant la pause publicitaire, l’animatrice pointe fièrement l’affiche promotionnelle de l’émission accrochée sur le babillard du studio, derrière son invitée. « C’est moi lorsque je suis maquillée ! », s’esclaffe-t-elle. Sauf qu’aujourd’hui, elle ne l’est pas. Pas de photo, donc, pour Le Courrier d’Europe centrale.

« J’ai une forte connexion avec la communauté polonaise. Tout le monde me connait ici ! »

Au menu des deux heures en ondes ? Entrevue, musique, politique, nouvelles locales. Tout en polonais, bien sûr. Et c’est sans oublier la revue de presse internationale de son acolyte, Michał Stefański, 70 ans, qui vient aussi y lire quelques nouvelles se rapportant à la Pologne ou à l’Europe centrale. Comme Bozena, ses activités liées à Radio Polonia ne lui rapportent que très peu. « Mais je fais ça par passion, par amour », explique-t-il, rieur.

Michał Stefański. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Radio Polonia n’a pas vraiment de ligne éditoriale. Même si Michał, un ancien activiste de Solidarność, s’affiche critique du pouvoir conservateur en place à Varsovie, leur mission avant tout, c’est d’informer. « Nous voulons rendre les gens heureux », dit Bozena. « Ceux qui nous écoutent n’ont pas nécessairement accès à Internet. Donc, notre radio est un bon média pour leur transmettre de l’information sur la Pologne. Nous parlons de tous les sujets ».

Bozena n’est toutefois pas la seule à continuer d’entretenir des liens avec sa Pologne natale, bien qu’elle se trouve à des milliers de kilomètres de là aujourd’hui. Au sein de la communauté polonaise du Québec rejoignant un peu plus de 65 000 personnes, dont 53 000 à Montréal, il existe bel et bien, ce lien national.

Prenez Alex Magdzinski, par exemple. Fortement impliqué dans les activités de la communauté, ce jeune trentenaire cultive un fort intérêt pour son pays d’origine. Sauf qu’Alex est un peu spécial : il n’a pas grandi en Pologne. Il n’est pas né en Pologne. Et il ne parle le polonais que depuis cinq ans.

Né d’une mère iranienne, d’un père Polonais et descendant d’une grand-mère d’origine ukrainienne, Alex s’intéresse surtout « à construire un lien fort avec [s]es racines ». C’est durant ses études universitaires que cet infirmier de formation entame des cours de polonais — qu’il n’a jamais regrettés. Une façon, justement, de renouer avec cette identité polonaise. Qui était restée enfouie toutes ces années au fond de lui-même.

C’est à l’occasion d’un voyage en Pologne, en 2009, qu’il « a pris le temps de réfléchir ». Il voulait se redécouvrir. Il voulait suivre, surtout, les traces de son grand-père paternel, qui s’était battu aux côtés de l’armée polonaise avant l’invasion allemande. « Je m’étais toujours demandé quelles ont été les influences qui ont formé sa personne. Il avait du caractère, et je vois cette partie-là dans moi aussi. J’ai vu aussi comment j’étais influencé par la culture polonaise. »

Faire rayonner la culture, un livre à la fois

Maciej Domanski, 56 ans, est bien placé pour en parler, de cette identité propre à la Polonia québécoise. Arrivé dans la province il y a trente ans, il est l’auteur d’une thèse de doctorat portant sur l’identité des expatriés polonais, décrochée à l’Université de Montréal au début des années 2000. « Pour bien des Polonais d’ici, explique ce professeur d’anthropologie au collège Dawson à Montréal, c’est impossible de se voir comme Québécois. Ils ne sentent pas qu’ils pourraient adhérer à cette culture. Ils trouvent que le discours nationaliste [en faveur de l’indépendance du Québec vis-à-vis du reste du Canada] est trop fort pour s’y identifier. Mais il y a une ironie. Beaucoup de Polonais sont aussi très nationalistes, ils ont une identité forte. »

Maciej Domanski. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Or, « l’identité pour certains peut être très fortement liée au folklore, mais pour d’autres pas du tout », poursuit M. Domanski. « Il y a beaucoup d’organisations, mais il y a peu de membres. C’est une petite minorité qui participe aux institutions. »

Toujours est-il que sa fille, Agnès, s’implique à sa façon au sein de la communauté. Même si elle ne se qualifie pas de « patriote », cette candidate au doctorat en littérature, née au Québec, conserve un lien fort envers sa langue maternelle, le polonais. « Mes parents attachaient beaucoup d’importance à ce que je parle très bien le polonais. J’ai appris à lire et à écrire avec les manuels scolaires qu’on utilisait à l’époque. Aujourd’hui, je peux même encore réciter les leçons de ces manuels-là ! Quand j’étais plus jeune, mes parents m’envoyaient en Pologne à chaque été, où j’allais rejoindre ma grand-mère. C’est quelque chose à quoi je tiens beaucoup » encore aujourd’hui, raconte-t-elle.

Depuis près de cinq ans, cette jeune érudite oeuvre à titre de bénévole à l’Institut polonais des arts et des sciences au Canada, une organisation culturelle fondée à Montréal en 1943. « Je suis arrivée là un beau jour en demandant « salut, avez-vous besoin d’aide ? » Et c’est une dame qui m’a répondu: « Savez-vous utiliser un ordinateur ? Parfait, vous commencez demain ! » C’est là que j’ai rencontré le président, Stan. Il m’a proposé de faire partie du Conseil d’administration. »

Stan, c’est Stanislaw Latek, le président de l’Institut. Lui aussi reste ancré dans sa culture polonaise. « Notre audience principale est surtout universitaire, explique-t-il. Nous faisons beaucoup de concerts, de colloques, des conférences. Nous cherchons à faire rayonner la culture polonaise. » Leur bibliothèque, constituée d’environ 45 000 ouvrages, est associée à l’Université McGill, où Agnès poursuit d’ailleurs son projet de thèse. « Notre mandat est vraiment d’œuvrer dans le domaine de la culture, de la partager à un public autant polonais que francophone, intéressé par la question polonaise », renchérit-t-elle. Bref, de valoriser sa culture, un bouquin à la fois.

Au fond de la petite bibliothèque, on retrouve Stefan, attablé à son poste de travail. Convivial, le bibliothécaire de 78 ans tient à nous faire visiter les lieux, où il y travaille depuis vingt ans déjà. Comme ce cartable à photos-souvenirs, posé sur l’une des étagères de livres, qui rappelle les moments marquants de l’Institut.

Stefan Wladysiuk, le convivial bibliothécaire de 78 ans, travaille à l’Institut polonais des arts et des sciences depuis vingt ans déjà. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale
Stefan Wladysiuk. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

« Neuf ans plus tard après sa visite à Montréal, il est devenu pape » : sur l’une des images, on voit le populaire Jean-Paul II avec, à ses côtés, Stefan. À la page suivante, le gentil bonhomme nous montre une autre de ses fiertés… sa rencontre avec Lech Wałęsa en 2005 ! « Il était venu au Québec pour recevoir un diplôme honorifique à l’Université de Trois-Rivières », explique Stefan.

Stefan Wladysiuk nous montre ses clichés de la visite de Lech Wałęsa. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Son admiration pour la figure centrale du mouvement Solidarność ne le met pas pour autant en porte-à-faux avec sa mission première, celle « de montrer la beauté de la culture polonaise », assure-t-il. « Je suis un bibliothécaire, je ne suis pas de tel ou tel côté [partisan]. Notre organisation est apolitique. »

« Danser, c’est un retour à moi-même »

Il ne suffit pas de chercher longtemps pour saisir l’étendue des structures et organisations se rattachant à la communauté polonaise du Québec. Au total, on en compte un peu plus d’une trentaine. Camps de scout, troupes de danse, paroisses polonaises, charcuteries, association de vétérans, écoles polonaises du samedi… « C’est une communauté qui est très diversifiée », affirme Marie-Christine Palczak, présidente du Congrès canadien polonais — district Québec. « Les premier immigrants sont arrivés à la fin du XIXe siècle, et ce sont eux qui nous permettent aujourd’hui d’être ce que l’on est aujourd’hui. Nous sommes les héritiers de ce qu’ils ont bâti. Nous avons de belles traditions que l’on continue de célébrer, un folklore qui est tellement coloré. C’est ce qui nous démarque. »

Marie-Christine Palczak, présidente du Congrès canadien polonais — district Québec – Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

À deux pas de son bureau, décoré de rouge et de blanc, d’un portrait du pape Jean-Paul II, on remarque en biais une grande salle de plancher de bois franc. Sur l’un des mur, tous près de la scène, une tapisserie représentant l’Aigle des Armoiries attire le regard. C’est là où s’exerce chaque jeudi l’Académie de l’Aigle blanc, une troupe de danse polonaise composée d’une vingtaine de membres. À 118 ans d’existence, c’est l’une des plus anciennes Sociétés polonaises du Canada.

« La danse vient mettre de la couleur dans notre culture », explique Daria Lyminski, 23 ans. Depuis qu’elle s’est jointe à l’Académie il y a un an, cette jeune danseuse a « compris qu’est-ce que cela apporte d’être Polonais. J’ai fait beaucoup de spectacles, j’ai rencontré plusieurs personnes, mon entourage s’est agrandi. J’ai fait connaissance avec mes racines, c’est un retour à moi-même », explique Daria, médaillon de l’aigle polonais autour du cou.

Pas le temps de bavarder trop longtemps avec cette jeune passionnée : la pause aussitôt terminée, la leçon de danse doit reprendre, exhorte-t-on. Allez, un peu de discipline ! En ce mardi soir de mai, c’est Mateusz Malacha, le chorégraphe du groupe, qui mène le bal, aux côtés de Daria : nous nous trouvons dans un cours d’initiation à la danse polonaise. (Même Le Courrier a tenté quelques manoeuvres… ne sachant toutefois pas tout le temps sur quel pied danser !)

Mateusz Malacha et Daria Lyminski mènent la leçon de danse. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

« La danse fait partie de l’ADN polonais. La danse polonaise à Montréal, ça existe depuis avant même la deuxième guerre mondiale », nous explique Mateusz, 31 ans. Celui qui se trémousse au son de la musique polonaise depuis une bonne douzaine d’années se plaît à raconter où sa troupe et lui ont voyagé au cours des derniers mois : en Pologne, dans plusieurs villes aux États-Unis… « Et l’an prochain, ce sera au Mexique », détaille-t-il.

Le 3 mai, l’Académie est allée offrir une prestation à l’Église Très-Saint-Trinité, située à Pointe-Saint Charles, un quartier historiquement modeste de Montréal. À l’honneur : l’anniversaire de la Constitution polonaise, rédigée en 1791. C’est dans le sous-sol de cette petite paroisse centenaire qu’ont lieu les festivités. Scouts, membres d’un orchestre, chanteurs, danseurs se sont joint à la fête. Les costumes folkloriques ont été sortis pour l’occasion, tandis que les spectateurs (ils sont plus d’une centaine), tous bien chics, ont les yeux rivés vers le spectacle. Tout près des tables où l’on déguste café et beignets, les rayons du soleil de l’après-midi percent discrètement l’étoffe couvrant les fenêtres de la pièce. Rayonnant !

Le prêtre Dariusz Szurko. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Gracieuseté du prêtre de l’Église, Dariusz Szurko, à l’origine de cette petite fête. Sa paroisse accueille surtout des Polonais, explique-t-il. « Le lien qui unit les Polonais entre eux, c’est la tradition. La nation polonaise est étroitement liée à l’Église », est d’avis ce Franciscain de 53 ans. Mais avec le rétrécissement de la communauté polonaise depuis quelques années, il perçoit une certaine distanciation des plus jeunes générations vis-à-vis des repères traditionnels. « C’est une communauté qui difficilement dans notre époque actuelle renoue avec ses racines, qui est en train de se disperser. Il y a un vieillissement de la communauté polonaise. Et les nouveaux sont « mangés » par la société », déplore-t-il.

C’est notamment en raison des scandales sexuels qui éclaboussent le Vatican depuis quelques années que les jeunes prennent des « distances » vis-à-vis de la religion, croit-il. « Avant les Polonais d’ici trouvaient important de se retrouver entre eux. Ça m’attriste personnellement. Malgré tous les moyens mis à disposition ne font pas autant de sacrifices que l’ancienne génération », déplore-t-il.

Une jeunesse polonaise à l’écart ?

Une perte de repères, vraiment ? Cette jeunesse polonaise ne le voit pas nécessairement du même œil. Pour Wioletta Woloszyn, 31 ans, la diaspora polonaise telle qu’elle se présente à elle ne reflète pas sa vision de ce qu’est la Pologne. « En Pologne, il y une énorme pression sociale : « Pourquoi tu n’as pas d’enfant, pourquoi tu n’es pas mariée encore ? » Je trouvais ça étouffant », se confie Wioletta, qui est arrivée au Québec il y a trois ans environ. « Je me sentais coincée, je sentais que j’étais toujours en train de me justifier, que [ses choix de vie] représentaient un échec. Cette pression est très forte. »

Wioletta Woloszyn. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Lorsqu’elle s’est installée à Montréal, elle a donc voulu prendre quelques distances. « Au début, je ne voulais pas m’engager [au sein de la communauté polonaise]. Ça me repoussait, j’avais l’impression de ne pas comprendre cette diaspora, ces Polonais qui étaient déjà sur le territoire. C’était difficile de rentrer dans cette bulle-là. », explique cette juriste de formation et amoureuse du théâtre. « Ça ne se traduisait pas pour moi par la vision d’une Pologne développée », de sa Pologne, à elle.

Kasia Skorek en sait quelque chose. Cette Polonaise de 36 ans, qui a quitté avec ses parents sa ville natale, Białystok, alors qu’elle venait de souffler sa première bougie, vit à Montréal. Elle aussi a pendant longtemps exprimé une réticence vis-à-vis de la communauté. « Avant, je n’avais aucun intérêt. Outre le fait que je la trouvais parfois sympathique, je trouvais que la communauté n’était pas représentative de ce que je connaissais de la Pologne. J’étais gênée de la façon dont je parlais polonais, je ne me sentais pas polonaise à cause de ça. Je frappais des murs« , se souvient-elle.

Kasia Skorek. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Mais aujourd’hui, Kasia se sent Polonaise, et plus que jamais. Le déclic ? À l’instar d’Alex Magdzinski, c’est un séjour en Pologne en 2015 qui lui a ouvert les yeux. Cela faisait bientôt treize ans qu’elle n’y avait pas mis les pieds. « À ce moment là, j’ai compris qu’est-ce que c’était d’être patriote, d’avoir ce sentiment nationaliste. Lorsque j’y suis retournée, une petite voix intérieure m’a dit : « bienvenue à la maison ». »

Aujourd’hui, derrière ses grandes lunettes rondes, les yeux verts de Kasia se mettent à briller, lorsqu’elle se met à parler de son pays d’origine. Ce pied avec sa Pologne , elle l’a conservé. Ce passé trouble, où « je mettais de côté mes racines », elle l’a délaissé. Pour de bon. « J’ai vraiment reconnecté avec une partie de moi-même. Je me permet d’être qui je suis, dans toutes les sphères. »

« Ce projet est mon bébé »

Après son voyage, Kasia s’est lancée dans un projet de maîtrise universitaire portant sur la communauté polonaise du Québec. C’est là qu’elle a compris à quel point elle était fragmentée autour d’un certain « mur » inter-générationnel : « c’est un mur de besoins », qui oppose principalement les « jeunes » et les « vieux » — des termes souvent évoqués au sein de la communauté polonaise du Québec « pour mieux se comprendre », soutient Kasia.

« En Pologne, il y a une structure hiérarchique qu’il faut respecter, poursuit-elle. Il y a une vision propre à la plus vieille génération qui ne correspond pas aux besoins des plus jeunes », qui cherchent surtout à s’accomplir », explique Kasia. Chez les plus « vieux », on vise davantage à « protéger et à conserver ce qu’ils ont bâti. » Mais, pour autant, la communauté polonaise du Québec « n’est pas divisée, parce qu’on est capable de s’unir dans cette fragmentation-là », nuance Kasia.

Pour ainsi pallier à cette fracture générationnelle, un groupe de jeunes s’emploie sans relâche depuis des mois à organiser un festival de musique polonais, le Polski Piknik, qui s’est tenu le 22 juin dernier au Pied-du-Courant, à Montréal. Kasia, Alex et Wioletta sont de ceux-là. « Le Polski Piknik, c’est la promotion de la culture polonaise contemporaine ici à Montréal », explique d’emblée Kasia, avec au programme artistes d’origine polonaise, ateliers de danse folklorique, jeux pour enfants, dégustation de vodka, saucisses polonaises…. « Nous voulons représenter ceux qui tiennent à une vision plus moderne et diversifié de la Pologne. Nous répondons à un besoin. »

L’initiative enthousiasme même le Consul Général de la République de la Pologne à Montréal, Dariusz Wiśniewski. « C’est une idée lancée par de jeunes membres de la communauté que nous, ici [au Consulat], soutenons », vante-t-il. « C’est quelque chose qui, je l’espère, va ajouter une certaine valeur. Il y a beaucoup de potentiel de cette communauté qui est en dormance. »

Le consul général de la République de Pologne à Montréal, Dariusz Wiśniewski. Photographie : Patrice Senécal / Le Courrier d’Europe centrale

Alex abonde dans le même sens : l’objectif, « c’est de montrer ce qu’est la culture polonaise et montrer l’impact de la Pologne sur la culture québécoise », détaille-il. « Au cours des dernières années, j’ai découvert tous les accomplissements de cette communauté, et il n’y a pas nécessairement de plateforme pour les partager avec tous les Montréalais et Québécois. On a souvent une image négative de la Pologne, comme quoi on est des racistes, ultraconservateurs, religieux… mais il y a aussi des bonnes choses qui en ressortent : on a énormément de talents au sein de la communauté. »

Pour sa part, Wioletta n’a d’ailleurs pas tardé à s’y impliquer, lorsqu’elle a eu vent du Polski Piknik . « C’est un projet qui devient mon propre bébé », image-t-elle. « Je me suis dit que c’était la meilleure manière de montrer la culture polonaise d’ici d’aujourd’hui. C’est un projet qui devient le mien. J’aime l’énergie de notre groupe, on vient de plusieurs milieux différents. » Pour elle, c’est une façon « de monter qu’est-ce qu’est que la Pologne d’aujourd’hui, pour donner une autre image que celle projetée par la diaspora polonaise. » Pour connecter à nouveau avec sa Pologne.

Car au fond, être Polonais, pour Wioletta, « c’est de se rappeler de ses origines, de promouvoir la conservation des idées, des symboles de l’histoire de notre pays, qui n’a pas été facile. » Des propos qui ont un écho tout particulier à la devise « Je me souviens », propre au Québec. « Être Polonais, c’est ne pas oublier », de conclure Wioletta.

À Montréal dans la boutique polonaise de Jadwiga : pierogi et cinéma, même combat

Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.

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