Le premier ministre hongrois Viktor Orbán s’est trouvé lundi à Berlin pour s’assurer du soutien de la CDU au PPE au moment même où sa patronne, Annegret Kramp-Karrenbauer, jetait l’éponge. Un épisode qui met en lumière le double-discours de la chancelière Angela Merkel.
Officiellement, il s’agissait de parler de coopération économique, des relations bilatérales germano-hongroises et de questions internationales tel que l’élargissement de l’Union européenne, lundi dans la capitale allemande.
Lors de la conférence de presse qui s’est tenue lundi matin avant leur réunion, Viktor Orbán s’est félicité notamment de ce que « chaque année le commerce germano-hongrois atteint de nouveaux sommets : le chiffre pour 2019 dépassera les 55 milliards d’euros ». Il a de nouveau plaidé la cause de la Serbie pour son adhésion à l’Union européenne, « le pays clé en ce qui concerne l’intégration de l’ensemble des Balkans occidentaux ». En ce qui concerne le budget en préparation de l’Union européenne, le premier ministre hongrois a acté des désaccords avec l’Allemagne, mais s’est dit certain de « trouver au final une solution qui sera bonne pour tout le monde ».
Voilà pour les sujets qui allaient officiellement être abordés lors de leur rencontre. Mais en réalité, des journalistes bien informés et spécialistes de l’Allemagne ont su que c’est Viktor Orbán qui avait sollicité la rencontre avec la chancelière allemande, dans un but bien précis : trouver une issue à l’impasse dans laquelle se trouve le Fidesz au sein du Parti Populaire européen, dont il est suspendu depuis le printemps dernier. Ainsi l’a rapporté par exemple le quotidien Die Welt. Il devait à cet effet rencontrer également la nouvelle dirigeante de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), Annegret Kramp-Karrenbauer dite «AKK».
AKK démissionne !
Patatras ! Le jour même, celle que l’on présentait comme l’héritière d’Angela Merkel a annoncé renoncer à être candidate à la chancellerie allemande en 2021 et, encore plus embêtant pour le visiteur hongrois, elle a annoncé du même coup son départ de la présidence de la CDU, après quatorze mois passés à sa tête.
Lundi à Berlin, Viktor Orbán était donc au mauvais endroit au mauvais moment. D’autant que la crise inhabituelle qui a secoué la politique allemande et conduit au départ d’Annegret Kramp-Karrenbauer a été suscitée par la coopération de la CDU de Merkel avec le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD). Le 5 février dernier, la droite et l’extrême-droite se sont en effet alliées au niveau régional dans le Land de Thuringe pour faire déjouer la gauche au profit d’un candidat libéral-démocrate (FDP). Cette première en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale a provoqué de gros remous dans la classe politique.
L’« hypocrisie » de la CDU
Or, le Fidesz et l’AfD sont aujourd’hui proches idéologiquement et le parti allemand voit en Viktor Orbán un héros contre l’immigration en Europe. De plus, faire sauter la digue entre la droite et l’extrême-droite pour ne faire plus qu’un, c’est exactement ce que propose le dirigeant hongrois au Parti populaire européen, en tentant d’opérer la jonction avec La Lega italienne de Matteo Salvini, le FPÖ autrichien ou encore…l’AfD.
Une poigne de militants hongrois installés en Allemagne ont brandi une banderole « Orbanistan powered by EU » pour dénoncer le soutien de l’Union européenne au gouvernement hongrois et le rôle des fonds européens dans le maintien au pouvoir de Viktor Orbán.
Angela Merkel n’y a pas prêté attention. Elle a au contraire profité de la conférence de presse pour adresser le soutien tacite de la CDU au Fidesz, se félicitant – une seconde fois depuis l’été dernier – des performances de l’économie hongroise, où les entreprises allemandes sont très bien implantées. « Le développement économique hongrois a pris une direction très positive, grâce notamment à l’Union européenne », a déclaré Merkel, qui a vanté les « investissements intelligents » du gouvernement hongrois.
Beaucoup d’observateurs ont noté « l’hypocrisie » de la CDU et d’Angela Merkel qui consiste à rejeter l’AfD tout en coopérant avec le Fidesz, en raison des intérêts économiques allemands en Hongrie.
Irony of #AKK resigning over Thuringia scandal while meeting with CDU’s European partner Viktor Orbán, EU’s main far right autocrat, says so much about fundamental hypocrisies of Merkel’s CDU. https://t.co/8ZCYDEe0z9
— ©️as Ⓜ️udde (@CasMudde) February 10, 2020