Anatoliy Sydorenko : « Nous ne sommes pas l’armée soviétique, nous voulons éviter d’être une armée de masse »

Kharkiv vit sous les bombardements et les tirs d’artillerie depuis maintenant plus de cinq mois. Une nouvelle unité militaire a fait son apparition sur ce front, portant le nom d’Azov, célèbre aussi bien par les nombreuses critiques à son égard que par la résistance de Marioupol.

Entretien avec Anatoliy Sydorenko, commandant de l’unité de forces spéciales Azov SSO de Kharkiv. Par Paul Dza, avec l’aide d’Anastasia Koberska et Roman Harbar. 

Le Courrier d’Europe centrale : Quand votre unité a-t-elle été créée, et pourquoi une nouvelle unité portant le nom d’Azov à Kharkiv ?

Anatoliy Sydorenko : Lorsque la Russie a envahi le Donbass en 2014, il y a tout d’abord eu la décision de créer un bataillon de volontaires, nommé Azov. Ce bataillon est venu rejoindre les rangs de la Garde Nationale d’Ukraine quelques mois plus tard, se transformant à cette occasion en régiment. 

Historiquement issus de Marioupol et Kharkiv, nos membres ont combattu héroïquement sur tous les fronts. Lors du déploiement de la contre-offensive face à l’ennemi russe, il a paru logique d’implanter une unité d’Azov dans notre ville. L’unité que je dirige a été officiellement créée le 1er mai dernier. Nous faisons partie des forces armées d’Ukraine, et le groupe est constitué de plusieurs dizaines de commandos d’élite. 

Membres à part entière d’Azov, nous revendiquons notre statut d’organisme à la fois politique, militaire et social. Depuis le 24 février, c’est l’unité militaire qui a pris le dessus, et tous nos efforts vont dans ce sens. 

Comment les commandos sont-ils recrutés au sein des forces spéciales d’Azov ?

La majorité de nos membres faisait déjà partie de l’organisation Azov, plusieurs ayant combattu dans le Donbass depuis 2014. C’est d’ailleurs mon cas, j’ai l’expérience militaire de ce conflit. D’anciens membres du régiment ont également fait leur retour dans notre unité militaire. Nos membres sont majoritairement originaires de la région de Kharkiv.

En ce qui concerne nos plus jeunes recrues, leur entrée dans le corps obéit à certaines règles. Nos cadets, en particulier ceux qui ne font pas encore partie d’Azov, doivent être recommandés par des membres expérimentés de l’unité. Ainsi, les profils sont examinés pour nous permettre de repérer les meilleurs potentiels, ainsi que les spécialistes de domaines recherchés. Nous ne sommes pas l’armée soviétique (sourire), bien au contraire : nous voulons éviter d’être une armée de masse, nous recherchons la précision. Des profils intelligents et lucides sur leurs capacités, leurs points forts.

Sur le front, au nord de Kharkiv, les combats mobilisent aussi bien l’artillerie que l’infanterie. Comment se déroule votre coopération avec les unités régulières de l’armée ukrainienne, quelles spécialités apportez-vous ? 

Précisons tout d’abord que nous dépendons de l’état-major du régiment Azov, lui-même dépendant du commandement des opérations militaires ukrainien. La coopération se fait donc naturellement, les spécialités de chacun étant mises à profit des objectifs communs. 

« Les dirigeants ennemis n’ont même pas besoin que nous agissions pour pouvoir effrayer leurs soldats, ils font eux-mêmes d’Azov le croquemitaine de leur propagande. »

Notre force se situe dans notre très grande mobilité, permettant à nos commandos d’effectuer la reconnaissance de mouvements ennemis, au plus proche des forces russes voire derrière leurs lignes. Nous recueillons du renseignement tactique que nous transmettons à notre artillerie, afin qu’elle puisse détruire des objectifs précis. Nous procédons également nous-mêmes à la neutralisation du matériel russe que nous rencontrons. Ces actions coordonnées entre nos unités permettent de préparer le terrain pour la libération des villages ukrainiens situés sur la zone de combat. 

Vous allez au plus proche des soldats russes, les combattez et les capturez. Quelle est leur réaction à la création d’une unité d’Azov en première ligne face à eux, et ce à quelques kilomètres de la frontière russe ?

Nous n’avons rien à faire de ce que pensent les Russes de nous, nous n’agissons pas en réaction à leur obsession. Nous voyons bien la haine qu’ils ont à notre égard, comme le montre la classification de notre mouvement en “groupe terroriste” par la Cour Suprême russe. Les dirigeants ennemis n’ont même pas besoin que nous agissions pour pouvoir effrayer leurs soldats, ils font eux-mêmes d’Azov le croquemitaine de leur propagande. La haine qui en résulte n’a pas de limite, comme vous avez pu le constater avec le massacre d’Olenivka.

Anatoliy Sydorenko. Photo : Paul Dza.
Accusé de néo-nazisme par la Russie, Azov fait également l’objet de critiques en Europe quant à son usage de la violence. Que dites-vous à ce sujet aux Européens qui nous lisent ? 

Notre unité a pour priorité de capturer les soldats russes et non de les tuer, c’est une évidence rien que sur le plan stratégique : comment espérer la libération de nos camarades de Marioupol si nous n’avons pas de prisonniers à échanger ? Nous avons de la considération pour nos soldats, contrairement à la Russie. Je vous parlais du massacre des prisonniers d’Azov dans la prison d’Olenivka, les Russes ont même tenté de faire croire que c’était l’Ukraine qui avait tué ses propres soldats. Tout est bon pour nous diaboliser, mais nous restons concentrés malgré ces attaques incessantes. La propagande russe est un ballon de baudruche, qui se remplit peu à peu de mensonges : il faudra bien qu’il explose un jour. À ce moment, le monde entier verra qui sont les vrais nazis, ceux qui massacrent et non ceux qui veulent simplement la liberté de leurs frères d’armes.

Nous sommes une unité comme une autre de l’armée ukrainienne, nous revendiquons simplement notre patriotisme et l’amour de notre patrie. Les critiques ne devraient pas oublier que ce n’est pas Azov qui a envahi un pays. Ce n’est pas la nation ukrainienne qui est venue détruire des villes russes. La Russie est la seule à avoir franchi une frontière, à être venue sur un territoire pour tenter de le vassaliser. Nous nous battrons pour notre terre jusqu’à ce qu’elle soit apaisée. 

Qu’est-ce que le régiment Azov, ce bataillon ultra-nationaliste devenu symbole du martyre de Marioupol ?

Dans un rapport publié il y a quelques jours, l’ONG Amnesty International a dénoncé “des tactiques militaires ukrainiennes qui mettent en danger la population civile”, pointant notamment du doigt le positionnement d’unités militaires dans des zones civiles, ainsi que l’absence de communication avec la population. Quel regard portez-vous sur cette enquête qui fait polémique ?

Ce rapport est si éloigné de la réalité du terrain que je ne peux que le qualifier de propagande pure et simple. Regardez la situation à Kharkiv, notre ville qui vit sous les bombes russes depuis des mois. Tout observateur pourra le constater, l’ennemi vise massivement les civils afin de maintenir un climat d’angoisse. Des quartiers entiers ont été anéantis, et ce sans que notre armée y ait installé ses unités. Nous nous battons pour protéger notre peuple, pourquoi le mettrions-nous volontairement en danger ? 

Ces destructions de zones civiles ne sont pas assumées par la Russie, mais le rapport d’Amnesty International permet précisément au pouvoir russe de justifier ses actes de terreur. Ce rapport contribue à la désinformation russe, là où le champ de bataille informationnel constitue une part décisive de la guerre. 

Quant aux accusations de dissimulation d’informations à la population, elles sont absurdes. L’armée ukrainienne communique beaucoup, preuve en est le grand soutien qui nous est fourni par la population civile depuis le début de la guerre. L’ennemi ne pourra pas nous diviser avec des accusations infondées.

Un commandant appelle à l’aide depuis l’usine Azovstal à Marioupol

L’aspect tactique de cette guerre est particulièrement suivi, et les armées du monde entier observent son évolution. De par votre expérience, quelles leçons pensez-vous que l’armée française pourrait tirer du conflit ? 

Dans le formidable élan de volontaires que cette guerre a amené, j’ai pu rencontrer plusieurs anciens soldats français, notamment des anciens de la Légion Étrangère. Leurs talents guerriers ainsi que leur rigueur sont à la hauteur de leur réputation. Il est donc très intéressant de se pencher sur leur ressenti au bout de ces quelques mois de guerre. Ils m’ont ainsi confié ressentir une sorte d’inversion des rôles : ayant l’expérience des opérations extérieures en Afrique contre des groupes terroristes, ils se retrouvent à leur tour face à un ennemi qui les dépasse en nombre, attaque par les airs, contrôle des régions entières. 

« Dans le formidable élan de volontaires que cette guerre a amené, j’ai pu rencontrer plusieurs anciens soldats français, notamment des anciens de la Légion Étrangère. Leurs talents guerriers ainsi que leur rigueur sont à la hauteur de leur réputation. »

J’aimerais que les soldats français, les officiers, les décideurs, se mettent à notre place. Lorsque l’on n’est plus dans la position du plus fort, nombre de choix tactiques sont reconsidérés, croyez-moi. Face à l’armée russe, nous paraissons si petits devant cette machine dévastatrice. Il faut donc user de ruse, faire preuve d’adaptabilité et être très mobiles.

Il ne faut pas non plus oublier que nous ne nous battons pas contre n’importe quel pays. Allez donc parler du droit de la guerre aux soldats russes : avec leur invasion, les Russes ont amené une guerre sans règle ni limite en Europe. Je ne souhaite à personne de se retrouver face à des soldats dont la seule volonté est de vous anéantir, et pour qui tout n’est que terreur et génocide.

De nombreux observateurs se penchent déjà sur les issues possibles de la guerre, ainsi que sur les enjeux post-conflit. Quel regard portez-vous sur la suite, quel rôle futur pour le groupe que vous commandez ? 

Il est trop tôt pour parler de la fin de la guerre. Je n’aime pas ceux qui font des prédictions. Ils vivent au conditionnel, dans leurs contes de fées. Si je peux m’exprimer ainsi : la guerre est un art terrible, qui même si on le déteste, doit être maîtrisé. Car l’ennemi ne nous laisse pas d’autre choix. Ma seule certitude est celle de notre victoire, car nous défendons notre terre que nous aimons par-dessus tout.

En ce qui me concerne personnellement, je ne pense pas encore à la suite. Pour l’instant je reste concentré sur nos objectifs tactiques, chaque chose en son temps. Lorsque l’ennemi sera vaincu, et si l’État ukrainien souhaite que je reste en place, je me tiendrai à sa disposition. Au contraire, si la situation post-conflit n’exige plus le maintien de notre unité, nous quitterons nos positions. Comme tous nos soldats je n’ai qu’une envie, une fois ce conflit terminé, c’est d’être auprès mes proches.

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.

Paul Dza

Journaliste indépendant.