Aliaksandr Azaraŭ, chef de Bypol : « les partisans sont prêts à entreprendre d’autres actions contre le régime au Bélarus »

Entretien avec le chef de Bypol, l’organisation bélarussienne en exil ayant revendiqué un sabotage contre un avion russe stationné dans une base en lisière de Minsk.

Le Bélarus d’Alexandre Loukachenko est plus que jamais inféodé à Vladimir Poutine, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. La dissidence y a été muselée, les opposants, jetés en prison ou forcés à l’exil. Et le soulèvement d’août 2020 ayant suivi l’élection présidentielle frauduleuse, lui, n’est plus qu’un vieux souvenir. Le pays est devenu une base arrière de l’armée de Moscou. Mais une résistance souterraine, ces derniers mois, continue d’affaiblir le régime. Dernier épisode en date ? Le 26 février, un aéronef russe A-50 stationné dans la base militaire de Matchoulichtchy, non loin de Minsk, aurait été la cible de deux explosions par l’entremise de drones. Les auteurs ? Deux saboteurs affiliés à Bypol, une organisation constituée d’anciens officiers et membres des forces de l’ordre du Bélarus. À Varsovie, sa terre d’exil, Le Courrier d’Europe centrale s’est entretenu avec le chef de Bypol, Aliaksandr Azaraŭ, également membre du « cabinet de transition » dirigé par Sviatlana Tsikhanoŭskaïa, l’opposante numéro un au despote de Minsk.

Propos rapportés par Patrice Senécal.

Le Courrier d’Europe centrale : Le régime de Minsk a annoncé avoir arrêté dans la foulée un certain Mikolaï Chvets, dépeint comme le suspect « numéro un » d’origine russo-ukrainienne travaillant pour Kyïv…

Aliaksandr Azaraŭ : Nous ne le connaissons pas. Le régime d’Alexandre Loukachenko agit avec les mêmes méthodes staliniennes qu’autrefois. Le KGB a annoncé arrestation de cet individu ukrainien travaillant pour la CIA et le SBU… Ils semble avoir inventé une solution qui les arrangeait. Car cette situation met Loukachenko en difficulté face à Poutine qui, selon moi, doit être furieux. Cet avion de reconnaissance, qui a servi dans la guerre contre l’Ukraine, était d’une grande importance pour les troupes russes. Le fait que ce prétendu espion soit aussi russe, c’est un prétexte pour dire à Poutine : « voyez, c’est un de vos espions aussi qui a détruit votre propre avion ». Or, nous sommes en contact avec les deux véritables saboteurs. Ils se sont réfugiés dans un endroit secret hors du pays dans la foulée. Ils ne s’exprimeront pas pour le moment.

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Et en quoi a consisté leur opération ?

Ils ont piloté des drones commerciaux sur lesquels avait été apposé du matériel explosif. L’avion a été endommagé à deux endroits, dont le radar.

Le KGB bélarussien a confirmé que « Bypol » était impliqué dans l’opération alléguée. Le 7 mars, Alexandre Loukachenko a relativisé l’événement, reconnaissant des « égratignures et un trou dans la carrosserie ». Et ce, après avoir nié tout incident pendant des jours dans les médias d’État… Pourquoi le régime a-t-il tardé à réagir ?

Il s’est entêté à clamer des jours durant que le [sabotage] était inventé, que l’avion n’avait pas été endommagé et qu’il était en mesure de voler. Mais lorsque des médias indépendants bélarussiens ont révélé que cet avion avait été envoyé dans une usine de Taganrog [en Russie] pour réparation, le discours a changé, prétendant avoir « arrêté tous les participants de cette action terroriste », telle que Loukachenko la qualifie.

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Mais l’avion, sérieusement endommagé, n’a pas pu décoller dans les jours ayant suivi l’action de sabotage. Des « spécialistes russes » sont venus sur la base militaire pour permettre à l’engin de se rendre vers le centre de réparations. Nos sources au pays disent que les réparations sur l’avion peuvent prendre jusqu’à six mois.

D’après vos sources internes, comment le régime a-t-il réagi, au-delà de la propagande, au sabotage de l’avion ?

Il était très contrarié, déboussolé, ne savait pas quoi faire. Alexandre Loukachenko a compris que des résistants pouvaient désormais s’en prendre à ses infrastructures. Il a peur du mouvement partisan. C’est pourquoi des centaines de personnes ont été arrêtées depuis, soit des gens vivant près de l’aéroport, d’autres ayant manifesté en 2020 ou possédant des drones, ou jouant à des jeux vidéos guerriers. Certains ont été remis en liberté, d’autres non.

Comment Bypol, une organisation en exil, continue-t-elle de lutter contre le régime de Minsk ?

Notre but premier, c’est de restaurer l’ordre et la loi au Bélarus. Bypol est constitué d’environ 600 membres, soit d’anciens et d’actuels agents du maintien de l’ordre. Le plan Pieramoha (« plan de la Victoire ») que nous avons préparé en mai 2021 vise à déloger le régime [autocrate] et instaurer un État de droit au Bélarus. Alexandre Loukachenko est un criminel qui se maintient au pouvoir de manière illégale.

En tant qu’anciens policiers, nous continuons de collecter des preuves de crimes commis par le régime de Loukachenko. Nous avons une grande base de données à cet effet. Ces informations pourront être utilisées à l’avenir, lorsque le régime sera tombé, pour que ses membres rendent des comptes devant une justice indépendante.

Les manifestations pacifiques en 2020 n’ont pas permis de déloger le régime. C’est pourquoi nous devons changer nos méthodes.

Bypol recèle des sources dans tous les organes de sécurité du régime. Leur collaboration est importante. De l’intérieur, ils nous transmettent des informations secrètes. Et cela nous permet ensuite de partager des informations avec nos collègues d’autres services de renseignement, à l’extérieur du Bélarus. Nous avons par exemple partagé aux autorités polonaises ou lituaniennes beaucoup de documents sur la guerre hybride migratoire orchestrée [depuis 2021] par le régime bélarussien.

Quelle est l’ampleur de la résistance souterraine au Bélarus ?

Environ 200 000 Bélarussiens ont rejoint notre plan Pieramoha. Mais tous ne sont pas en mesure ou prêts à entreprendre des actions de sabotage, qui implique une grosse prise de risque. On communique avec eux, on vérifie leurs intentions… Le régime punit jusqu’à dix ans de prison la mention « vive le Bélarus » écrite sur les murs. C’est pourquoi les gens attendent et se préparent à des actions plus conséquentes. Il n’y a personne dans la rue et les rassemblements n’existent plus. C’est trop dangereux actuellement. Les manifestations pacifiques en 2020 n’ont pas permis de déloger le régime. C’est pourquoi nous devons changer nos méthodes.
Nous sommes en contact avec des partisans bélarussiens qui sont prêts à entreprendre d’autres actions prochainement.

C’est-à-dire ?

Vous le verrez dans le futur.

Et quid de la guerre en Ukraine ?

En février 2022, avec des partisans bélarussiens affiliés à Bypol, nous avons annoncé une guerre du rail. Des partisans affiliés à Bypol ont mené des sabotages contre le réseau de chemins de fer bélarussiens servant à acheminer du matériel de l’armée russe. Une quinzaine d’actions a été menée, jusqu’en avril 2022. Des partisans ont été arrêtés par le régime, certains se font fait tirer dessus à balles réelles. Depuis, nous avons cessé ce genre d’opérations pour nous concentrer sur d’autres actions, à commencer par celle contre l’engin de l’aérodrome de Matchoulichtchy. Nous reconnaissons le Bélarus comme un pays occupé par les troupes de la Russie. Nous avons deux ennemis contre qui lutter jusqu’à la victoire : la Russie et le régime d’Alexandre Loukachenko.

Nous avons également mis en place ces derniers mois des camps d’entrainement militaire pour des Bélarussiens à l’extérieur des frontières du pays [en Pologne et Lituanie]. Des centaines ont déjà rejoint ces formations. Ils iront au Bélarus le moment venu, avec ces compétences qui leur seront utiles. Nous avons un plan sur la manière de changer le régime de Loukachenko. Mais nous attendons de le mettre en œuvre. Soit lorsque les gens seront prêts à sortir de nouveau dans la rue comme à l’été 2020. Des membres de Bypol sont aussi bénévoles dans le régiment Kalinoŭski, luttant aux côtés de l’armée ukrainienne.

Faire advenir la démocratie au Bélarus se fera-t-il par des moyens pacifiques ?

J’en doute. Mais le cabinet de [Sviatlana Tsikhanoŭskaïa] estime que le changement de régime devra se faire le plus pacifiquement possible. Nous le souhaitons réellement. Mais nous devons être préparés également à d’autres genres de méthodes. Les sanctions, la pression internationale… Ces moyens ont été utilisés. Les autres, non pacifiques, c’est notre dernière chance. Loukachenko veut être président jusqu’à mort, il ne comprend que le langage de la force.

Pourquoi avez-vous décidé de tourner le dos au régime, en tant qu’ancien lieutenant-colonel au ministère de l’intérieur ?

J’ai travaillé pour la police pendant 21 ans, et en août 2020, j’ai vu de mes propres yeux la falsification des résultats électoraux. Loukachenko s’est révélé comme un criminel, réprimant avec violence le soulèvement pacifique. J’ai ainsi démissionné, puis rejoint Bypol en octobre 2020, après avoir fui en Pologne comme la répression s’étendait aux officiels ayant fait volte-face. Le régime me reconnait comme un ennemi sérieux. Mais mon devoir est de continuer, jusqu’à la victoire.

Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.

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