A Budapest, une « marche des fiertés » très politique

La vingt-quatrième Budapest Pride s’est déroulée sans incident majeur samedi après-midi dans la capitale hongroise. Les organisateurs s’en sont vertement pris au Fidesz au pouvoir, accusé d’entretenir un climat homophobe dans le pays.

Une dizaine de milliers de personnes ont pris part samedi après-midi à la « marche des fiertés » à Budapest. Les participants de cette vingt-quatrième « Budapest Pride » ont pu déambuler en dehors de tout cordon policier pour la troisième année consécutive, alors qu’une poignée de militants d’extrême droite ont cherché à troubler le bon déroulement du défilé. De nombreuses personnalités d’opposition étaient présentes dans le cortège.

« Montrons que s’aimer librement, en toute sécurité et sans crainte est un droit fondamental, qu’aucun pouvoir ne peut remettre en cause. Montrons-le en par la plus belle des expressions de l’amour, en nous embrassant ». C’est dans une ambiance œcuménique, avec un mini-marathon d’embrassades, que la Pride a commencé samedi après-midi sur Kossuth Lajos tér pour célébrer également la « journée internationale du baiser ».

Sur une estrade devant le parlement hongrois, la chanteuse et poète Orsolya Karafiáth a inauguré la marche placée sous le signe de la « dignité » et de la « diversité », en cherchant à donner aux festivités une dimension éminemment politique, « au nom de l’égalité ». La jeune femme s’en est vertement pris au patron des députés hongrois, le très Fidesz László Kövér, auteur ces derniers mois de plusieurs déclarations homophobes, assimilant par exemple en mai dernier les parents homosexuels à des pédophiles. « Il a cherché par ces propos à attiser l’hostilité contre la Pride », a-t-elle notamment accusé.

« Nous avons des choses en commun dans notre histoire », a lancé à la foule Dezső Máté, reprenant le slogan de cette vingt-quatrième édition. Ce militant homosexuel d’origine rom a appelé l’ensemble du personnel politique à ouvrir les yeux sur les agressions à caractère homophobe en Hongrie, à s’engager en faveur de la reconnaissance des personnes transgenres et à ouvrir le débat sur l’homoparentalité.

Troisième à intervenir, l’organisatrice de la marche Kama Peksa a également attaqué frontalement la droite nationale-conservatrice au pouvoir. « Le Fidesz a fait de la Hongrie un pays écœurant », s’est-elle indignée, n’hésitant pas à critiquer le gouvernement sur d’autres terrains que les seuls droits homosexuels. Emboîtant le pas à Orsolya Karafiáth, elle a reconnu que « la Pride ne peut pas être une simple fête, car nous ne pouvons pas laisser [les dirigeants] nous traiter de citoyens de seconde zone ». « Plus ils chercheront à nous écraser, plus nous donnerons de la voix », a-t-elle promis.

« Ce qui me pénalise, ça n’est pas d’être Rom, c’est d’être homosexuel »

« Interdisez ça ! » « Aberrations ! »

Les différents cortèges ont ensuite quitté la grande esplanade pour défiler dans les rues de Budapest, renforcés par d’importantes délégations de partis d’opposition, au premier rang desquels le Parti socialiste hongrois (MSzP), la Coalition démocratique (DK) et Momentum. De nombreuses figures politiques nationales étaient également présentes, à l’instar de Gergely Karácsony, récemment désigné par toute l’opposition pour défier le très homophobe István Tarlós aux municipales d’octobre à Budapest, de la vice-présidente du parlement européen Klára Dobrev, de la députée socialiste Ágnes Kunhalmi ou encore de l’écologiste Péter Ungár, lequel a récemment rendu public son homosexualité.

Le défilé a été accueilli par quelques pancartes hostiles aux abords d’Erzsébet tér, peu avant la fin du parcours. Quelques dizaines de militants d’extrême droite emmenés par György Budaházy ont cherché à perturber la marche sans grand succès. Un groupe plus modeste de quinze-vingt contre-manifestants est quant à lui parvenu à donner plus de voix quelques centaines de mètres plus loin, devant le lycée piariste, scandant bruyamment « Interdisez ça ! » « Sales pédés ! » « Aberrations [de la nature] ! », avant d’être exfiltrés par la police.

Vingt-quatre ans de défilé pour les « fiertés homosexuelles »

C’est en 1992 que la communauté LGBTQI+ budapestoise a organisé sa première manifestation publique dans la capitale hongroise. Environ 300 personnes s’étaient alors réunis sur les pentes du Hármashatár-hegy pour un grand « Pink piknik », organisé notamment par le comité d’action homosexuelle de l’université Loránd Eötvös, la fédération Homeros et la rédaction de la revue Mások.

Le « Piknik » devient la Budapest Pride en 1997 et défile chaque année en même temps que le festival du film gay et lesbien. La marche des fiertés hongroise reçoit à partir de 1999 le soutien de nombreuses personnalités politiques de l’Alliance des démocrates libres (SzDSz, centre-gauche), qui administre alors la municipalité de Budapest. En 2002, c’est le maire de la ville en personne Gábor Demszky qui ouvre la marche.

Dans la foulée des manifestations antigouvernementales de 2006, durant lesquelles l’extrême droite hongroise avait bruyamment pris la rue, plusieurs participants de la Budapest Pride ont été molestés et pris à partie lors de la onzième édition, ce sans l’intervention de la police. Les tensions sont montés d’un cran en 2008 lorsque des militants homophobes avaient lancé des œufs, des pétards et quelques cocktails Molotov sur le cortège.

« Ce qui me pénalise, ça n’est pas d’être Rom, c’est d’être homosexuel »

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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