À Budapest, il y a plus d’animaux statufiés que de personnalités historiques féminines

Les statues édifiées à Budapest représentent plus souvent des animaux que des personnalités historiques féminines. Et non seulement il y a peu de sculptures de femmes dans la capitale, mais la plupart n’ont qu’une fonction décorative, mettant en scène une femme dénudée le plus souvent.

À Budapest, la mairie est en charge d’exactement 1173 statues. Parmi elles, 150 représentent des personnages féminins, dont seulement 35 renvoient à des personnalités historiques. Autrement dit, il n’y a que 35 statues de femmes qui portent un nom. Le reste se compose essentiellement d’allégories (la liberté, la paix, ou encore les saisons…), et sont la plupart du temps dénudées. On trouve plus de sculptures d’animaux (45) que de personnalités historiques féminines.

Le « plafond de bronze » de la politique mémorielle

C’est tout l’objet de l’étude du média d’investigation Átlátszó : montrer que l’écrasante majorité des statues budapestoises sont des hommes, mais que, par-dessus le marché, l’écrasante majorité des statues de femmes ne servent pas à commémorer des personnalités historiques, mais sont purement décoratives. Sur le modèle du concept du « plafond de verre », le « plafond de bronze » renvoie donc à une situation dans laquelle les femmes ont beaucoup moins de chance d’être célébrées et commémorées par la société.

Par contraste, 785 statues représentent des hommes ou des personnages masculins, et 618 d’entre elles sont des personnalités historiques (des hommes d’État, des rois, des hommes politiques, scientifiques ou hommes de lettres). Parmi les 35 statues de femmes, on trouve des saintes et des reines, de nombreuses actrices (comme Róza Széppataki Déryné ou Zita Szeleczky), des écrivaines (Cécile Tormay ou Margit Kaffka), des femmes politiques (Anna Kéthly, Ottília Solt…) ou encore des défenseures des droits des femmes, comme Veres Palné.

Statue de l’actrice Éva Ruttkai, en face du théâtre national. Photo : Szakál Szebáld / Átlátszó.
Des érections récentes de statues

La plupart des statues de femmes ont été érigées après le changement de régime. Pendant le communisme, cela était évidemment étroitement contrôlé et instrumentalisé à des fins politiques. Aussi, si le nombre de statues féminines a augmenté durant cette période, il s’agissait principalement de statues d’allégories – pour le dire plus clairement : de femmes dénudées.

« Une société érige la statue d’une personne qu’elle connaît, le problème est que durant le XXe siècle, les femmes ont joué un rôle moindre dans les événements historiques, par conséquent, on comprend qu’elles aient moins de statues. (…) Évidemment, beaucoup de statues ont été érigées pour des hommes qu’on a déjà oubliés, parce qu’ils n’étaient pas vraiment des personnalités importantes » explique László Prohászka, historien de l’art.

Les statues de femmes sont représentées par des triangles roses. 22 statues de femmes (sur 109) ont été érigées pendant l’ère Horthy contre 73 (sur 194) pendant le kadarisme.

Sensibiliser les Budapestois à l’absence des femmes dans leur espace public

Tout le monde ne se satisfait pas pour autant de cet état de fait. C’est le cas de la société Hosszúlépés, qui organise des visites guidées à travers la ville pour les habitants, afin de leur faire (re)découvrir des espaces singuliers et l’héritage historique de la ville. Quand, il y a quelques années, ils ont voulu décorer les principales statues de la ville, ils se sont rendu compte du nombre infime de statues féminines. À l’occasion de la journée des femmes en 2019, l’entreprise s’est installée sur trois places centrales très fréquentées de Budapest (les places Széll Kálmán, Móricz Zsigmond et Ferenciek), avec des statues de femmes construites en papiers pour l’occasion. Dans le but de sensibiliser les Budapestois à l’absence des femmes dans leur espace public.

« Les retours qu’on a reçus étaient incroyablement positifs, les gens étaient contents de voir des statues de femmes, même si elles étaient faites de papier » explique Bori Koniorczyk, une des fondatrices de Hosszúlépés, à 24.hu. Cette année, avec les restrictions qui empêchent les manifestations en plein air, la société a décidé d’envoyer une liste de statue de femmes à ériger à la mairie de chacun des arrondissements de la capitale.

Statue d’Anna Kéthly, dans le 5e arrondissement de Budapest, à Széchenyi rakpart. Source : Wiki Commons.

Les initiatives de la part des mairies se font d’ailleurs de plus en plus nombreuses, même si pour l’instant elles semblent se cantonner à la toponymie. L’an passé par exemple, le 8e arrondissement a renommé une place d’après Vilma Hugonnai, la première femme médecin hongroise. Cette année, le 2e arrondissement annonce renommer 4 espaces publics avec des noms de femmes.

Comme le souligne Átlátszó, cette situation n’a rien de spécifique à Budapest : l’écrasante majorité des pays dans le monde sur-représente les hommes au détriment des femmes dans leurs espaces publics. Le Fidesz s’est montré sensible à la question à sa façon, faisant exemption aux fleuristes qui pourront garder leurs portes ouvertes ce 8 mars, en dépit des restrictions. Signe qu »il y a encore du chemin à parcourir…

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.