Dans le petit village de Bordány, au nord-est de Szeged dans le sud de la Hongrie, un groupe de femmes retraitées a décidé de venir en aide aux plus démunis en vendant des objets faits main et en préparant une fabuleuse confiture de prune. Reportage.
Reportage publié le 29 juin 2018 dans Abcúg sous le titre « Nagymamák lekvárja segíti a falusi szegényeket ». Traduit du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi. |
« Les familles viennent souvent nous voir, généralement pour une aide financière expresse, s’il y a besoin de médicaments ou d’un ticket de bus pour aller à Szeged. Mais on nous demande aussi de l’aide pour manger. C’est déjà arrivé que nous achetions des chaussures ou qu’on nous sollicite pour un petit garçon qui n’avait pas de quoi s’habiller pour se rendre à une compétition », raconte Zsuzsanna Nagy, fondatrice et directrice de la section Karitász de Bordány.
Ce groupe composé de dix-sept femmes retraitées se réunit le plus souvent une fois par semaine pour fabriquer des objets manuels ou préparer de la confiture, qu’elles vendront ensuite sur le marché de Noël du village. Elles mettent alors de côté l’argent récolté, afin de pouvoir venir en aide toute l’année aux personnes en difficulté. A côté de ce petit commerce, elles confectionnent chaque année pour trente-cinq familles des paniers de provision d’un montant de 5000 forint, qu’elles vont porter ensemble aux plus démunis. Elles organisent également un centre aéré pour les enfants du coin et rendent désormais visite aux anciens de Bordány qui vivent en maison de retraite.

Zsuzsanna et trois autres femmes nous attendent au siège de la section, qui se situe depuis toujours dans la maison attenante à celle de Zsuzsanna. Elles y ont aménagé une chambre pour tenir leurs réunions et préparer leurs denrées. Il ne faut pas attendre longtemps pour qu’elles nous montrent les affaires qu’elles vendront au marché de Noël. On y trouve plein de choses : des bougies, des décorations de Noël en perles, des couvertures de Bible, des chapelets assemblés à la main, des petits sacs de lavande. Mais ce qui sort vraiment du lot, c’est la confiture de prune maison que le groupe a préparé ensemble.
Les dons parviennent souvent aux grands-mères sous des formes différentes : il y a des producteurs locaux qui proposent des fruits et des pommes de terre, parce qu’ils savent que Zsuzsa – comme on l’appelle dans le village – saura quoi en faire. Le groupe de femmes entretient également les meilleures relations avec les travailleurs sociaux de la municipalité, lesquels consultent régulièrement les mémés pour savoir qui il est important d’aider. A Bordány, tout le monde peut leur demander de l’aide et le plus souvent ceux sont les familles nombreuses, les mères célibataires ou les personnes âgées qui bénéficient de leur coup de pouce financier, qui se situe entre 5 et 10 000 forint à chaque fois.

On doit à Zsuzsa d’avoir créé ce groupe où l’on rit beaucoup et où tout le monde est de bonne humeur. Zsuzsanna n’a jamais aimé rester les bras croisés chez elle et elle a senti qu’il fallait qu’elle soit active au sein d’une communauté. Sa volonté d’aider les autres ne date pas d’hier, car elle a déjà été présidente de la Croix rouge dans sa jeunesse et est sensible à tout ce qui touche aux thématiques sociales. C’est pourquoi elle a décidé de postuler en 2009 à un emploi au sein de la paroisse. Elle pensait alors être affectée à un travail de bureau, mais le vicaire lui a proposé de créer une section de Karitász. Si Zsuzsanna a connu une période de doutes, elle a finalement sollicité ses amies dont aucune n’a refusé de la rejoindre. C’est comme ça que le groupe est né. Il a été rejoint depuis par deux femmes plus jeunes, âgées de 37 ans.

Cela ne fait que cinq ans qu’elles confectionnent leurs objets et préparent la confiture. Le déclic leur est venu lorsqu’elles ont vu que l’on s’arrachait les bougies qu’elles avaient décorées avec des imprimés de serviette. Elles ont alors eu l’idée de tenir un stand pendant le marché de Noël et d’utiliser l’argent récolté pour aider ponctuellement les villageois tout au long de l’année.

Les rôles sont bien répartis au sein du groupe : certaines s’y connaissent davantage en administration, tandis que d’autres sont plus à l’aise dans la confection manuelle. Mais la plupart sont polyvalentes et participent à toutes les tâches, qu’il s’agisse de rendre visite aux familles ou d’aider à distribuer les colis de denrées à Noël. La plupart des idées d’objets à vendre viennent de Zsuzsanna, qui les trouve sur Internet.
Le point d’orgue de la vie du groupe reste la préparation des confitures, durant laquelle tous les membres – mais aussi quelques amis – se réunissent dans la cour de Zsuzsanna et cuisinent ensemble les 270 kilos de prunes. Cette confiture est tellement réputée dans le village, que les habitants cherchent désormais à pouvoir en acheter toute l’année à Zsuzsanna. Celle-ci fait naturellement don du produit de ses ventes à l’association.
Une des membres du groupe, madame Gyula Tari, a longtemps travaillé comme assistante psychiatrique, ce qui fait qu’elle a spontanément accepté de rejoindre Zsuzsanna quand celle-ci lui en a fait la demande. C’est elle qui raconte que, au-delà d’aider financièrement les plus démunis, les membres du groupe leur donnent aussi des conseils pour, par exemple, cultiver des légumes pour leur consommation personnelle. Il y a même des personnes qui ont retrouvé une vie normale grâce à ce coup de pouce.
C’est par exemple le cas d’Erzsébet Bamberger, qui doit élever seule avec 52 000 forint par mois son fils de 17 ans, polyhandicapé, mais aussi ses deux filles et son fils aîné, qui vivent tous encore chez elle. Sans même faire attention à notre présence, Erzsébet fait irruption dans la salle de réunion pour demander à Zsuzsanna si elle a réussi à récupérer des vieilles portes auprès de la mairie pour sa maison.
Il y a huit ans, le groupe Karitász a pris la tête d’une grande campagne de mobilisation dans le village pour pouvoir aider cette femme avant que sa maison ne finisse de s’écrouler. Elles ont réussi à réunir 1 300 000 forint avec l’aide de plusieurs entrepreneurs et de la mairie pour rénover sa masure branlante.

C’est en empruntant une route boueuse et difficile d’accès que nous nous rendons avec Erzsébet et Zsuzsanna à la ferme restaurée. Nous restons dehors pour discuter, car le fils handicapé d’Erzsébet est en train de dormir. Zsuzsanna nous montre une photo sur laquelle on voit bien dans quel état était la maison avant les travaux. Le mur avait tellement pris l’eau qu’il s’était effondré sur lui-même, tandis que les poutres étaient pourries, qu’il ne restait que quelques tuiles sur le toit et que la famille devait se laver dans une petite piscine gonflable en forme de tortue, car il n’y avait plus de baignoire dans la salle de bain.
Quand Erzsébet jette de nouveau un œil sur ce vieux cliché, elle soupire profondément et confie avoir honte d’avoir vécu dans ces conditions. La femme raconte que tout a commencé quand un artisan du village recommandé par Judit Tajti, est venu réparer le puits du jardin et qu’il a vu dans quel état était la ferme.
« Ça craignait. Mes filles étaient bonnes à l’école, d’ailleurs l’une d’elles est coiffeuse et l’autre infirmière. Quand Judit a vu la maison, elle s’est demandée comment – grand Dieu – elles faisaient pour vivre ici ? », se remémore Erzsébet.
Erzsébet n’aime pas demander de l’aide et déteste être prise en pitié, c’est pourquoi l’artisan a commencé à récolter de l’argent sans lui en parler. Il a bien essayé de convaincre ses clients de participer à la collecte, mais la somme qu’il a réunie ne suffisait pas. C’est alors qu’il s’est tourné vers Zsuzsanna et son groupe, qui ont tout de suite accepté de l’aider, alors qu’elles n’avaient jamais fait ce genre de chose avant. Elles se sont réparties les noms des artisans à solliciter pour savoir quel type de coup de main ils pourraient apporter. Il a fallu trois ans pour rassembler l’argent nécessaire au démarrage des travaux. Le toit et les poutres ont entièrement été changés et le mur écroulé a été reconstruit.

« Ca s’est passé comme dans un conte de fée. Nous sommes vraiment contents, nous apprécions beaucoup », nous dit Erzsébet. Selon elle, s’il n’y avait pas eu le groupe Karitász, elle n’aurait jamais pu faire rénover sa maison, et celle-ci se serait probablement écroulée s’il y avait eu une tempête de neige l’hiver suivant. L’autre partie de la maison attend aussi d’être réhabilitée et si les briques sont déjà là, il manque encore les portes que Zsuzsanna cherche à se procurer.
Le groupe se prépare désormais à un programme de bourse de sacs d’école. Elles récupèrent les sacs dont plus personne ne se sert et les distribuent aux nouveaux écoliers, qu’ils soient dans le besoin ou non.