A Berlin, Angela Merkel et Viktor Orbán ont surjoué leurs différences

Les deux pôles supposément opposés de l’Union européenne se sont réunis jeudi à Berlin à l’occasion d’un voyage de trois jours de Viktor Orbán en Allemagne. Et naturellement, cela a fait quelques étincelles…

Dans les mots, le ton et l’image, tout les oppose : Angela Merkel est le visage de l’ouverture et de l’humanité de l’Europe, Viktor Orbán celui du repli et de la xénophobie. Alors que l’Union européenne se déchire sur l’accueil des migrants, qu’elle n’a pu accoucher la semaine dernière que d’une feuille de route très vague qui ne met pas fin aux divisions, la presse étrangère avait les yeux rivés sur leur rencontre, qui serait passée inaperçue en temps normal.

La conférence de presse conjointe qui a suivi la rencontre n’a pas déçu, les deux chefs de gouvernement affichant leur opposition au grand jour.

  • Merkel : « Il y a des points d’accord et de désaccord. Nous avons une vision très différente de la question migratoire ».
  • Orbán n’a pu qu’abonder : « la chancelière et moi-même voyons le monde différemment ».
  • Merkel : « L’Europe ne peut pas détourner le regard de la souffrance de gens qui arrivent à nous ».

Orbán : « Cela nous blesse que l’Allemagne nous accuse de ne pas faire preuve de solidarité », réplique-t-il, ayant peu apprécié cette leçon de morale. Et d’expliquer que la Hongrie fait preuve de sa solidarité avec l’Allemagne et l’Europe en bloquant sa frontière sud.

Ce rôle de gardien de la forteresse Europe qu’il a volontiers endossé et qui lui confère aujourd’hui une stature internationale, son homologue allemande lui avait d’ailleurs reconnu il y a peu, lors d’une interview dimanche sur la chaîne de télévision publique allemande ATD : « La Hongrie a une frontière européenne avec la Serbie, c’est pourquoi, d’une certaine façon, elle fait le travail pour nous ».

Une convergence des positions

C’est bien la vision xénophobe et nationaliste d’Orbán qui a pris le pas en Europe. En effet, les ministres de l’Intérieur italien et allemand (Matteo Salvini et Horst Seehofer), le chancelier autrichien Sebastian Kurz se et la majorité des Etats de l’Europe centrale se réclamant du hongrois.

Et cette franche opposition de style ne masque pas le fait que Angela Merkel elle-même est en train de céder du terrain à ce que l’on nomme désormais la « ligne Orbán », laquelle prône le bouclage des frontières de l’Union, des hot spots à l’extérieur de l’Union et le renvoi des demandeurs d’asile déjà présents sur son sol.

En dépit de ce qu’Angela Merkel veut donner à voir, afin de prévenir l’éclatement de sa coalition avec la CSU bavaroise, celle-ci prépare un durcissement considérable de la politique migratoire allemande, principal pays d’accueil des réfugiés depuis 2015.

L’Allemagne pourrait ainsi se doter de « centres de transit » fermés à la frontière autrichienne pour recevoir les nouveaux arrivants. Quant aux demandeurs d’asile déjà présents sur le sol allemand, ils pourraient être refoulés vers le premier pays d’enregistrement à leur arrivée dans l’Union européenne ou à défaut chez le voisin autrichien.

Plus tôt dans la semaine, cela a donné lieu à un imbroglio européen : la chancelière a affirmé que des accords avaient été trouvés avec la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie pour y renvoyer des demandeurs d’asile, ce qu’ont rapidement démenti les pays concernés.

Lors de sa tournée en Allemagne, plus tôt dans la semaine, le chef du gouvernement hongrois a rencontré le ministre de l‘Intérieur, Horst Seehofer, l’un de ses plus fervents soutiens et artisan du durcissement de la politique migratoire de son pays et de l’Union contre sa chancelière. Orbán lui a fait savoir que la Hongrie refuserait de prendre en charge les déboutés du droit d’asile en Allemagne qui ont été enregistrés en Hongrie lors de l’année 2015, mais qu’il était disposé à l’aider à les renvoyer jusqu’en Grèce, principal pays d’entrée.

C’est la limite de la coopération entre les pays formant le front anti-migrants (Italie, Autriche, Hongrie & Groupe de Visegrád, Bavière) : s’ils sont d’accord pour fermer les frontières de l’Union européenne aux migrants extra-Européens, leurs logiques nationales ne permettent pas de régler la question des demandeurs d’asile déjà présents sur leur territoire européen, chacun voulant s’en débarrasser chez son voisin.

https://test.courrierdeuropecentrale.fr/merkel-la-hongrie-fait-le-travail-pour-nous/

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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