10 septembre 1989 : « Nous ouvrirons la frontière austro-hongroise ce soir à minuit »

Il y a trente ans, les communistes hongrois portaient un coup fatal à l’ordre bipolaire en ouvrant la frontière entre la Hongrie et l’Autriche pour laisser « passer à l’Ouest » des dizaines de milliers d’Est-Allemands.

« Nous ouvrirons la frontière austro-hongroise ce soir à minuit ». Le dimanche soir du 10 septembre 1989, le ministre hongrois des Affaires étrangères, Gyula Horn, faisait cette annonce fracassante lors du grand programme politique hebdomadaire de la télévision d’Etat. C’est le signal qu’attendaient les citoyens est-allemands stationnés en Hongrie pour « passer à l’Ouest ». A l’été 89, ils étaient des dizaines de milliers, partis en touristes comme chaque été dans le « pays frère » sur les bords du lac Balaton, puis restés sur son sol comme réfugiés, refusant catégoriquement de retourner dans la République démocratique allemande (RDA) qui préparait les festivités de son 40e anniversaire.

Les images diffusées par la télévision ouest-allemande montrant Gyula Horn et son homologue autrichien, Alois Mock, cisailler symboliquement, le 27 juin, le rideau de fer (qui dans les faits avait déjà été démantelé par les communistes hongrois dans les semaines précédentes), les avait encouragés. Dans les heures qui suivaient l’annonce de l’ouverture officielle de la frontière, des milliers d’Allemands de l’Est se ruaient sur les passages frontaliers pour « passer à l’Ouest », certains abandonnant même leur précieuse Trabant le long de la route pour franchir les postes en courant, sous l’œil des caméras ouest-allemandes.

La Hongrie s’est faufilée hors du Pacte de Varsovie

En adhérant à la Convention de 1951 sur les réfugiés au printemps 1989, la Hongrie avait rendu caduque les accords bilatéraux entre la Hongrie et la RDA qui empêchaient leurs citoyens de se rendre dans un pays tiers depuis leur territoire respectif, comme le rappelle l’historien Maximilian Graf dans un entretien avec Le Courrier d’Europe centrale. Miklós Németh, le jeune chef du gouvernement hongrois, joue les équilibristes entre Moscou et Bonn. Mikhaïl Gorbatchev, alors Président du Soviet suprême de l’URSS, lui a fait savoir qu’il considérait la gestion de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie comme une affaire interne dans laquelle il ne s’immiscerait pas.

Une complicité s’est installée entre le Russe et le Hongrois, le premier semblant laisser les mains libres au second pour prendre une décision aux conséquences très lourdes. Miklós Németh se souvient du semblant de clin d’œil que lui avait adressé « Gorbi » lors d’un sommet du Pacte de Varsovie à Bucarest au mois de juillet 89, alors que les deux irréductibles du Bloc, le roumain Nicolae Ceausescu et l’Est-Allemand Erich Honecker, lui intimaient de mettre fin à l’aventurisme de la Hongrie, le maillon faible qui pouvait les condamner tous. Gorbatchev ne prendrait même pas la peine de répondre à la lettre de Ceausescu lui demandant d’intervenir contre la Hongrie, la transmettant au contraire à la diplomatie hongroise. « Tu veux que je fasse quoi Nicolae ? Envoyer les tanks comme en 56 et en 68 ? », lui aurait-il lancé au téléphone.

Le 25 août, soit cinq jours après le pique-nique paneuropéen, une grande manifestation pacifiste organisée à cheval sur le rideau de fer entre la Hongrie et l’Autriche avait été le théâtre d’une première percée de plusieurs centaines d’Allemands de l’Est, Miklós Németh s’envolait pour rencontrer secrètement le chancelier allemand au château de Gymnich. Helmut Kohl versait une larme furtive quand le Hongrois l’informait de sa décision d’ouvrir officiellement la frontière austro-hongroise. Inquiet, il téléphonait le lendemain à Gorbatchev qui l’aurait ainsi rassuré : « les Hongrois sont des gens bien ». Dans l’avion du retour, Németh se souvient de son conseiller se félicitant que cette décision pourrait changer la face de l’Europe et du monde « dans trois, cinq ou dix ans ». En fait…dans quelques semaines à peine. Le 9 novembre 1989, à Berlin, le « mur de la honte » tombait.

Nos sources, et pour aller plus loin…

Lire notre entretien avec l’historien Maximilian Graf, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la guerre froide : Le pique-nique paneuropéen, « une sérieuse fissure de plus dans le Mur de Berlin ».

Litre notre entretien avec l’historien Thomas Angerer : « Pour les Autrichiens, la mémoire de l’ouverture du rideau de fer est très forte et hautement symbolique »

Visionner l’interview vidéo (sous-titrée en anglais) de Miklós Németh, datée de 2009, à l’occasion du 20e anniversaire de la chute du mur.

Lire l’interview de Miklós Németh avec l’AFP datée d’août 2019.

Lire l’article Vie et mort du « rideau de fer » de Jean-François SOULET, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Toulouse-Le Mirail, publiée le 10 avril 2009 sur le site du Diploweb.

Visionner les photos de la collection Fortepan.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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