Valentin Desmarais : « Pour un musicien, Paris c’est l’anti-Budapest »

Saxophoniste et leader du groupe de jazz manouche Hét Hat Club, le Français Valentin Desmarais a commencé sa carrière dans les 6 et 7e arrondissements de Budapest. Rencontre avec un musicien qui a assez de proximité avec la ville pour en faire son nouveau conservatoire, et assez de distance pour casser les codes du jazz traditionnel.

Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017.
Dimanche 14 mai 2017, c’est la première fois que Valentin jouait au If Jazz Café. © Juliane Rolland
Vous avez étudié au conservatoire d’Aix en Provence. Comment vous êtes-vous retrouvé ici à Budapest ?

Je suis arrivé il y a trois ans pour étudier l’architecture, après un an d’Erasmus au Danemark. Je jouais de la musique depuis l’enfance mais cela ne m’a jamais rapporté d’argent. Par hasard, j’ai rencontré des musiciens et j’ai vite été intégré dans leurs cercles. Au bout de six mois, j’ai arrêté mon école d’architecture. J’ai eu plein de groupes, puis j’ai décidé il y a un an d’avoir un projet sérieux, plutôt que trois ou quatre. Je suis leader du groupe, avec mon guitariste d’origine italienne.

Votre groupe s’appelle Hét Hat Club, littéralement Sept Six Club, car c’est dans ces arrondissements que vous avez commencé à jouer. Est-ce difficile de se lancer ?

On a commencé là car c’est le quartier des bars et des scènes live. Avec les trois autres membres du groupe, on jouait pour presque rien : on descendait dans la rue avec nos instruments, on les sortait dans un bar et on jouait jusqu’à pas d’heure. En échange, le patron nous payait en bières. Mais je n’ai plus envie de jouer comme cela. Aujourd’hui, nous voulons faire davantage de la musique et moins la fête.

Est-ce plus facile d’être musicien ici qu’en France ?

Oui, je n’ai quasiment aucune pression financière. Ce n’est pas comme si j’habitais Paris et que j’avais un loyer de 600€ à payer. J’aurais été obligé de me trouver un autre travail ou de faire de la musique pour l’argent. À Budapest, on ne se dit pas «On n’a pas de concert cette semaine, comment est-ce qu’on va faire ?». De toute façon, la Hongrie n’est toujours pas un endroit où on fait de l’argent. Dimanche 14 mai, on a joué deux heures pour 100€, pour nous quatre. Ces concerts me payent la nourriture, et la tournée que nous avons faite aux Etats-Unis en janvier et février derniers me paye le loyer.

Et en tant que musicien français ?

En tant qu’étranger, j’ai une liberté de fou furieux. Je m’en fous des codes. Ici, il y a de grosses écoles de jazz, des espèces d’institutions qui n’apprennent que le bibop avec des vieux qui sont là depuis des années et qui ne veulent pas se renouveler. Moi j’expérimente, je suis plus libre que les musiciens Hongrois. Quand nous jouons, personne ne vient nous dire «vous détruisez le jazz manouche». Mes maîtres, avec qui j’apprends la musique, je les trouve sur Youtube. Je regarde leurs vidéos, j’essaye de faire pareil, puis en live je fais comme je le sens.

Budapest bouge beaucoup pour ses boîtes de nuit et ses Ruin bars. La scène musicale live de Budapest est-elle développée ?

Il faut savoir que l’entrée des concerts est très rarement payante à Budapest. Il y a donc beaucoup de concerts de petite taille, des publics en mouchoir de poche. J’adore la dynamique de cette ville. Si tu installes ce système à Paris, tu vas avoir une queue jusqu’au bout de la rue. Ici, tu rates un concert, tant pis, il y en a un autre demain. Mais cela a beaucoup changé en quelques années. La ville devient plus en plus riche. Des bars ont fermé parce que les propriétaires d’appartement ne veulent pas d’un groupe qui joue toute la nuit sous leurs fenêtres.

A quelle fréquence jouez-vous ?

Maintenant on joue deux ou trois fois par semaine. Avant on jouait tous les soirs. Il y a un côté pervers : en jouant gratuitement, nous faisions du mal au marché de la musique sans nous en rendre compte. Les patrons qui nous payaient en bière ne voulaient plus payer des musiciens professionnels qui étaient là depuis cinq ans. Maintenant je m’en rends compte, car nous demandons à être payés, et les patrons nous répondent «Les jeunes là, trois bières ça leur suffit».

La folk hongroise est très présente dans la culture populaire. Le jazz a-t-il autant de succès ?

En Hongrie, c’est effectivement la folk musique qui est très populaire. Ça picole, ça danse, ça chante, tout le monde connaît les paroles. Il y a une vraie cohésion, mais la folk est très figée. C’est aussi le cas chez les gitans, où t’as Dieu, la musique et la famille. C’est cette musique qui sort du cœur, pas académique, qui nous inspire pour la nôtre. Le jazz est arrivé tard en Hongrie mais il est plutôt populaire, même s’il n’est pas aussi fédérateur. A Budapest, le milieu du jazz est cloisonné. Il y a des musiciens incroyables mais qui ne sont connus que par les autres musiciens. On est quinze à faire du jazz manouche sérieusement, soit 3 ou 4 groupes.

Un musicien vous inspire-t-il particulièrement ?

J’adore Mihály Dresch, un saxophoniste originaire de Budapest qui fait de la folk hongroise qu’il mélange avec du jazz. On aime aussi Les doigts de l’Homme.

L’instrumentation du jazz manouche classique, c’est un accordéon, des guitares et une contrebasse. Avec mon saxophone, j’ai le rôle de l’accordéon. Nous, nous prenons cette instrumentation là et nous voyons tout ce que nous pouvons faire avec.

La France ne vous manque pas ?

Cela me manque une fois par an. Je retourne à Marseille, j’y passe une semaine, puis je reviens ici. La France, et surtout Paris, c’est un monde pour les musiciens. Je connais pas vraiment mais j’ai cette vision d’une ville où tout est monnayable. Pour moi, Paris c’est l’anti-Budapest. Il y a trop d’histoires de fric et de réputation. Comme à la Nouvelle Orléans. Une fois, un gars voulait jouer avec nous. Mais un autre nous a dit de ne pas le prendre car il n’était pas reconnu, et que ça allait nous porter préjudice si on nous voyait jouer avec lui. Un Game of Thrones à deux balles, quoi.

Crédits photos : DR.

Juliane Rolland

JOURNALISTE EN FORMATION À L'IJBA,