Striptease et Pálinka avec les mecs qui enterrent leur vie de garçon à Budapest

Les Budapestois ne peuvent plus mettre les pieds dehors sans croiser des dizaines d’étrangers se soûlant à la santé du marié. En quelques années, le business de la fête express a explosé dans la capitale de la Hongrie. Pour le meilleur…mais surtout pour le pire. Enquête.

Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017.

Une heure du mat’ dans un strip club du centre-ville. La pole danseuse, vêtue d’un body en cuir et d’un masque de chat, verse de la cire de bougie sur le torse nu du futur marié, allongé au sol. Depuis 5 minutes, celui-ci essaye de rester digne malgré les coups de fouet et les talons de 20 cm plantés dans les jambes. «Je suis pas venu ici pour souffrir okay ?», lance-t-il en référence au mème. Ses amis, qui le regardent depuis les canapés, sont morts de rire. «Non mais il y a un malentendu, il n’avait pas demandé un show sado-maso!», s’esclaffe l’un d’eux. Oups. Pour se rattraper, la direction du strip club offre au groupe d’amis un effeuillage privé, bien plus calme.

Axel se marie en juillet prochain. Ses amis l’ont kidnappé le midi même au travail, et il n’a découvert qu’une fois à Budapest où il était. Après la limousine Hummer et la tournée des bars, ils ont atterri dans le club de strip tease. Pour ces jeunes cadres-sup parisiens, c’est surtout l’occasion de vivre l’expérience jusqu’au bout. Paul*, expatrié Français au look de hipster, est l’organisateur de cet enterrement de vie de garçon. Depuis quelques années il a un poste important dans une entreprise spécialisée. Cette semaine, il a 6 ou 7 groupes à Budapest. «Les Français sont généralement plutôt calmes. Eux sont vraiment super sympas mais assez exigeants. » Et Paul de continuer : «Ce sont les Anglais qui sont tarés. C’est leur culture de l’alcool. Ils sont gentils mais pour les guider, c’est du babysitting. Y en a qui pisse sur un autre pendant que leur pote se met en danger au milieu de la route.» Justement, c’est un accident de la route qui a tué un Britannique de 24 ans en mai 2017.

Les amis d’Axel ont choisi de se déguiser en Koh Lanta, la bière à la place du riz. © Juliane Rolland
Du low cost grâce au low cost

Le concept des enterrements de vie de célibataire est très populaire depuis longtemps dans le monde anglo-saxon. Les Français, eux, n’en étaient pas familiers jusqu’à ce qu’une entreprise lance le marché francophone il y a une dizaine d’années. Fraîchement sortis d’HEC, deux Français montent Crazy-EVG en 2009, première boîte française spécialisée dans l’organisation d’enterrements de vie de garçon et de jeune fille. Elle fait de la capitale hongroise son point de départ. Un film écrit par Manu Payet retracera leur histoire : Budapest, dont le tournage commence en juin 2017.

Depuis, Budapest est devenue l’une des principales destinations pour les bachelor parties. Par exemple, la boîte anglaise d’événementiel The Eventa Group existe depuis 14 ans mais propose la Hongrie depuis 7 ans. Les vols low cost qui se sont développés récemment en ont fait un endroit facilement accessible pour le week-end : c’est surtout depuis 4/5 ans que les enterrements de vie de célibataire sont en plein boom ici. L’Europe de l’Est, quasi inconnue, fascine l’Ouest.

L’arrondissement de la soif

Ce nouveau tourisme de la fête en 72 heures est aujourd’hui un business à part entière de la ville. Les sociétés spécialisées et les clients sont attirés par Budapest autant pour son alcool pas cher, idéal pour la tournée des bars, que pour son image sexy, idéal pour la tournée des clubs de strip tease. Qui dit érotique cheap dit 80% d’enterrements de vie de garçon pour 20% de vie de jeune fille. Les filles, elles, préfèrent généralement Barcelone, Amsterdam ou Rome. Ici, la pinte est à 600 forints, soit 2€. «Si vous sortez à Londres et que vous buvez beaucoup, cela peut vous coûter plus cher que de venir ici», remarque Gergely Olt, doctorant en sociologie à l’université Loránd Eötvös et spécialiste du 7e arrondissement et des ruin bars.

Dans le centre-ville, les sex-shops et les clubs de strip-tease cohabitent l’air de rien avec les commerçants. © Juliane Rolland

«Budapest est plus sûr que Belgrade ou Bucarest, et son centre-ville est plus dense que celui de Prague», ajoute-t-il. Ici, il n’y a pas de quartier rouge comme à Amsterdam. Mais le grand nombre de bars dans le 7e arrondissement en font un endroit propice. Il y en a à peu près 400, où se côtoient stag parties, étudiants Erasmus, Hongrois et touristes. La transformation urbaine continue aujourd’hui avec la création de bars de mauvaise qualité dont le chiffre d’affaires repose sur les enterrements de vie de célibataire. «Ces nouveaux bars ne cherchent pas à fidéliser la clientèle, ils veulent juste vendre de l’alcool», note le sociologue. Paul confirme que «certains Hongrois ont la nostalgie de la nuit d’il y a dix ans. Il y avait moins de fêtes mais elles étaient meilleures.»

«Budapest est plus sûr que Belgrade ou Bucarest, et son centre-ville est plus dense que celui de Prague»

En dehors des bars aussi

Dans les rues de Budapest, les groupes qui participent aux activités proposées par leur agence de stag parties sont monnaie courante. Il suffit de sortir déjeuner pour les croiser. Après s’être rués dans les toilettes du Burger King, les joyeux Britanniques remontent à bord de leur Beer Bike garé devant le Hello Baby, l’une des plus grosses boîtes de nuit de la ville. Cet engin, un grand vélo où l’on boit de la bière tout en pédalant mollement, est l’une des activités de jour. Déguisés, ils ont environ 25 ans et couvrent de leurs cris de joie la pop américaine en fond sonore. Deux heures plus tard, même endroit, même scène, ce sont cette fois des filles déguisées en fées qui enchaînent les bouteilles de vin. Les automobilistes qui croisent leur chemin ont intérêt à être patients. Les piétons, eux, sont plutôt indifférents.

Le Beer Bike est l’occasion de se muscler aussi les jambes. © Juliane Rolland

Si le gouvernement est permissif par rapport à ce phénomène, c’est parce qu’il rapporte beaucoup d’argent. Les groupes d’étrangers sont bien sûr les bienvenus pour tout dépenser en vodka. Mais ne connaissant ni la langue ni la monnaie, il leur arrive de payer plus cher que prévu. «Les Hongrois voient des gens se miner la tête pour une soirée, chose qu’ils n’ont pas les moyens de faire. Les étrangers ne comprennent pas qu’une serveuse puisse faire la gueule quand ils crient ‘putain mais c’est pas cher !’ alors qu’elle, elle est payée 3€ de l’heure. J’ai même envie de dire : c’est normal de se faire rouler quand t’es étranger», lâche Paul.

«Je slalome entre les vomis»

Barbara Litzlfellner, une Allemande qui habite le centre de Budapest depuis 5 ans, ne les supporte plus. «Une fois, ils m’ont encerclée et ne voulaient plus me laisser sortir. Une autre fois, alors que j’attendais tranquillement une amie dans la rue, un homme m’a demandé combien je prenais», se sentant obligée de préciser qu’elle portait seulement un pantalon. Désormais, elle privilégie les bars qui interdisent l’entrée aux enterrements de vie de célibataire, même «s’ils ne sont pas tous comme ça».

De temps en temps, elle écrit pour Matador Network, un site qui parle de voyages et qui lui paye ses fins de mois de traductrice anglais-allemand. En janvier dernier, elle a posté un article donnant six conseils de bienséance aux hommes qui viennent faire la fête ici. Notamment : «Non, nous ne voulons certainement pas vous aider à enlever le ruban adhésif avec lequel deux énormes pénis en caoutchouc sont fixés à vos mains, peu importe combien de fois vous interrompez notre conversation pour nous demander de le faire.»

Stop aux clichés, tous les mecs bourrés ne sont pas Anglais. Eux sont Ecossais, rien à voir. © Juliane Rolland
Retour à l’ordre

Justement, le plus connu des ruin bars, le Szimpla Kert, envisage de prendre des mesures pour réguler les enterrements de vie de célibataire. La direction réfléchit actuellement à une charte de standards pour son établissement : un autocollant ou un tampon qui montrera qu’il n’y a pas d’arnaques ici et que l’on peut passer une soirée tranquillement. Déjà bondé le week-end, le bar «n’a pas besoin de cette clientèle pour survivre», se réjouit Bence Molnar, manager de la programmation. Pour l’instant, le bar ne souhaite exclure personne, ne pouvant pas savoir à l’avance si ceux-ci seront calmes ou non.

«Le problème ce n’est pas que les gens d’Europe de l’Ouest viennent ici pour s’amuser parce que c’est pas cher, c’est quand ils utilisent l’Europe de l’Est comme des toilettes. Il y a des gens derrière le comptoir, qui nettoient après leur passage. Dans les endroits dédiés, oui tu peux agir comme un animal, mais pas ici», explique-t-il, faisant allusion à l’été dernier, quand un footballeur et ses amis ont crié, jeté des objets et embêté les serveuses. Bence Molnar résume, en montrant des Espagnols assis quelques tables plus loin : «Eux, ils sont tous déguisés pareil, et alors ? Tant qu’ils ne se mettent pas à poil !»

Retour à la sortie du strip club. Paul décide d’emmener ses clients au Hello Baby. Le groupe de dix se scinde en deux : ceux qui rentrent directement en boîte et ceux qui achètent à manger. Le frère du marié, Pierre, fait partie de la deuxième équipe. Faisant le point sur cette première soirée un cheeseburger à la main, il parle avec des étoiles dans les yeux de sa copine. «Les strip teaseuses, elles sont jolies, mais sans plus. Ma copine, ça fait onze ans qu’on est ensemble, alors que j’en ai 29. Onze ans… c’est passé tellement vite, et c’est tellement bien». Leur enterrement de vie de garçon aussi passera tellement vite.

* Le prénom a été modifié. 

Juliane Rolland

JOURNALISTE EN FORMATION À L'IJBA,