Petite typologie des restaurants et cafés de Budapest sous Kádár

Un jour que je m’extasiais devant la longueur de la carte d’un modeste restaurant dans un petit village de la province hongroise, l’ami qui m’accompagnait me dit: « Ne t’affole pas, c’est le serveur qui va décider pour toi ! » Car quiconque a fait l’expérience d’aller au restaurant dans la Hongrie d’avant 1990 se devait de maîtriser le terme magique « Elfogyott », littéralement « il n’y en a plus ».

Il ne faudrait pas pour autant croire que l’on mourrait de faim à cette époque. Bien au contraire. Ce qui était le plus intéressant, c’était la variété des endroits où l’on pouvait manger.

Il y avait d’abord le Büfé mot emprunté du français qui de votre lieu de travail à l’Opéra en passant par les établissements scolaires permettait d’assouvir une petite faim avec une épaisse tranche de pain blanc tartiné de körözött (un délicieux mélange de fromage de brebis, d’oignon et de paprika en poudre) couvert d’une ou deux rondelles de salami.




On trouvait ensuite l’Ételbár, petite échoppe de quelques mètres carrés ouverte sur la rue qui offrait quelques plats chauds essentiellement à base de viande panée accompagnée de riz blanc qu’on avalait debout ou perché sur de hauts tabourets.

Puis se déclinait toute la gamme des restaurants où on déjeunait assis à une table qui offraient souvent à peu près tous la même cuisine traditionnelle hongroise roborative et goûteuse à la fois, ragoûts en sauce (pörkölt) ou volailles sous toutes ses formes que l’on accompagnait de savanyúság des légumes en saumure, du cornichon au poivron farci de choucroute dont la douce aigreur permettait de mieux digérer.

Il ne faut pas oublier non plus les cafés où le temps semblait avoir suspendu son vol. Mes deux préférés étaient le Lukács situés sur Népkő non loin de l’institut français de Szegfű utca et le Müvész en face de l’Opéra, un des rares à avoir survécu à la bêtise des promoteurs immobiliers.

Très vite, j’eus mes lieux de prédilection qui remplissaient des fonctions différentes :

– l’ételbár de János, un Hongrois de Transylvanie qui vendait un caviar d’aubergine et des crêpes fourrées au fromage blanc à se damner nous accueillait presque chaque midi dans ce qui est devenu aujourd’hui l’un des plus beaux hôtels de Budapest, le Gresham ;

– Kádár qui existe toujours était le passage obligé du samedi au retour du marché aux puces d’Ecseri. Situé Klauzál tér, en plein milieu du ghetto, on y mange toujours le samedi un délicieux sólet, plat traditionnel du shabbat dont une version se mange même avec du jambon fumé, comme quoi la cuisine hongroise a su composer avec les interdits religieux ;

– le Kispipa en hiver et le Fészek en été étaient les restaurants du soir. La carte identique était riche de ces spécialités hongroises qu’on ne mange malheureusement plus qu’à la maison et qu’on dégustait au son de la musique d’un piano ;

– pour boire une bière accompagnée de délicieuses pogácsa (un genre de brioche salée dont la pâte est faite avec du saindoux et du paprika) le Bierkatakomba était l’adresse idéale. Avec le Postakocsi, il s’agissait à l’époque des deux seuls restaurants de Ráday utca qui est devenue aujourd’hui une des rues les plus achalandée de Pest.

Car en effet, l’offre gastronomique de Budapest est sans commune mesure aujourd’hui avec ce qu’elle était il y a près de trente ans. Budapest fut la première capitale d’un pays de l’Est à accueillir un McDo avant la chute du mur. Les franchisés ont désormais envahi la ville tout comme heureusement des restaurants de qualité offrant une cuisine sophistiquée dont les chefs sont reconnus.

Il n’en demeure pas moins que je préfère encore aujourd’hui retrouver l’authenticité de cette cuisine hongroise traditionnelle que servent encore des petits restaurants souvent en dehors des sentiers battus touristiques.

Philippe Gustin

Haut-fonctionnaire

Ancien ambassadeur de France en Roumanie.