Clément Beaune n’a pas été « interdit » de visite d’une « zone sans LGBT » en Pologne

Contrairement à ce qu’ont annoncé certains médias français, le secrétaire d’État français chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, n’a pas été « interdit » ou « privé » de visite dans les « zones sans LGBT » à l’occasion de son déplacement officiel de deux jours en Pologne.

De nombreux titres de la presse nationale française se sont fait l’écho de la visite en Pologne, de lundi à mercredi, du secrétaire d’État français chargé des Affaires européennes, Clément Beaune.

Plusieurs médias ont rapporté mardi que le secrétaire d’État s’était vu refusé par les autorités polonaises, et malgré ses demandes, l’accès à une « zone sans LGBT », c’est-à-dire à l’une de ces collectivités territoriales qui, essentiellement dans le Sud-Est du pays, ont adopté des résolutions déclarant leur périmètre « libre de toute idéologie LGBT », en réaction à une charte pro-LGBT adoptée par Varsovie en janvier 2019.

« Juridiquement, le statut de ces zones est uniquement symbolique. Leur création ne s’accompagne pas de mesures concrètes », explique ici Anna C. Zielinska, professeure à l’Université de Lorraine. « Ce qu’elles symbolisent, en revanche, est tout à fait réel : une permission tacite octroyée par les autorités locales de considérer les personnes LGBTQI comme des menaces à l’ordre social, car porteuses de la prétendue « idéologie » », complète-t-elle.

« En Pologne, Clément Beaune interdit de visite dans une ville autoproclamée «libre de l’idéologie LGBT» », titre Libération (ici) ; « Clément Beaune privé d’accès aux zones anti-LGBT en Pologne : « Je ne lâcherai pas ce combat » », titre L’Obs (ici).

Les médias se sont – semble-t-il – engouffrés dans la brèche ouverte par le titre accrocheur, mais faux, de « L’Obs », alors que les propos qu’y tient Clément Beaune, adressés au journaliste qui couvrait son déplacement en Pologne, y sont nettement plus nuancés.

Mais y-a-t-il eu un véritable « combat » mené par la diplomatie française, lors de cette visite, pour apporter son soutien, ne serait-ce que symbolique, à la communauté LGBT malmenée par le gouvernement polonais du Droit et Justice (PiS) ?

Il semble en réalité que le Secrétaire d’État n’a été ni « interdit », ni « privé » de visiter une « zone sans LGBT », ainsi que le révèlent les propos qu’il a lui-même tenus lundi soir, lors d’un point de presse en présence de trois journalistes français basés à Varsovie : « [les autorités polonaises] ne souhaitaient pas, ce que je regrette beaucoup, que j’aille visiter une zone anti-LGBT. Je pense que dans un pays de l’Union européenne, même si je trouve que c’est très regrettable, on ne peut pas se rendre quelque part sans l’avis des autorités, contre l’avis des autorités. On peut avoir un débat, je leur dirai. Je leur dirai que je ne cacherai pas que c’est de leur fait. Mais en revanche, je pense que l’on ne peut pas rompre le dialogue dans l’Union européenne même quand les situations sont difficiles et que l’on a des désaccords ».

« [Les autorités polonaises] ne souhaitaient pas, ce que je regrette beaucoup, que j’aille visiter une zone anti-LGBT ».

Selon les propos de Clément Beaune, les autorités polonaises « n’ont pas souhaité », mais en aucun cas « interdit ». La nuance est de taille.

Sollicité par Le Courrier d’Europe centrale, le service de presse de l’ambassade de France en Pologne nous a renvoyé vers l’attaché de presse du ministre, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Face aux accusations des médias français, la diplomatie polonaise, prompte à considérer que la Pologne fait l’objet d’une cabale de la part de la presse libérale internationale, n’a pas manqué de s’offusquer. Le Secrétaire d’État polonais aux affaires étrangères, Szymon Szynkowski vel Sęk, a répliqué sur Twitter : « Ce n’est bien sûr, pas vrai. Personne au sein du pouvoir en place a retiré la possibilité ou rendu impossible la visite du vice-ministre français à Kraśnik. Ce genre de suggestions dessert l’ambiance de la visite et de notre relation, nous allons éclaircir cette affaire avec l’ambassade de France ». Des médias de la presse pro-gouvernementale, tel que le site très à droite WPolityce, ne se sont pas gênés pour crier à la « fake news » (ici).

Des rencontres avec les ONG féministes et pro-LGBTQ

Clément Beaune, lors de sa visite de deux jours à Varsovie et à Gdańsk, s’est essentiellement entretenu avec de nombreux acteurs de la société civile et membres de l’opposition : Marta Lempart de Strajk Kobiet ; l’activiste LGBTQ+ Bart Staszewski ; la députée et militante pro-choix Barbara Nowacka ; La maire de Gdańsk Aleksandra Dulkiewicz, ancienne assistante de Pawel Adamowicz, le maire assassiné en 2019 dans l’exercice de ses fonctions ; ou encore le médiateurs des droits actuellement sur la sellette, Adam Bodnar.

Clément Beaune lors de sa rencontre avec des membres de l’ONG pour les droits des femmes Centrum Praw Kobiet/ Photo : Hélène Bienvenu.

Photo d’illustration : Bart Staszewski / https://lgbtfreezones.pl/

Matthieu Boisdron

Rédacteur-en-chef adjoint du Courrier d'Europe centrale

Docteur en histoire (Sorbonne Université)