Matthieu Taponier : « Avec László Nemes, on a construit un système de travail »

Assistant à la réalisation, monteur, coscénariste… À seulement 35 ans, Matthieu Taponier pratique le cinéma dans les grandes largeurs. Fidèle associé de László Nemes depuis ses débuts, il raconte son parcours, et le tournage imminent du prochain film du réalisateur hongrois, Sunset.

Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017.
Comment László Nemes vous a-t-il amené sur le tournage de The Counterpart, en 2008, son second court métrage ?

On était tous les deux étudiants dans la même promotion à la TISCH Academy, à New York. Il y a été un an et ensuite il a décidé d’arrêter l’école. Il est retourné en Hongrie et il a fait son deuxième court. Il m’a demandé de venir sur le tournage en Transylvanie pour lui prêter main forte. À ce moment-là, j’étais troisième assistant réalisateur. J’étais chargé du combo[1]Le moniteur qui permet de visionner les plans shootés, ndlr Je pouvais lui donner des retours directement, ce que je ne me suis pas privé de faire. Deux ans plus tard, il m’a demandé de venir travailler sur son troisième court métrage, The Gentleman Takes His Leave, une adaptation d’un chapitre des Démons de Dostoïevski. Sur ce projet-là, j’étais monteur de plateau, c’est-à-dire que je montais directement sur les vidéos du combo. Je pouvais lui montrer tout de suite un montage de ce qu’on était en train de filmer. Ainsi, on a commencé à mettre en place ensemble un système de travail. Il faut dire que je l’avais aidé à monter ses courts à l’école, donc on avait déjà cette relation-là.

Cinq ans plus tard, vous avez donc été désigné monteur sur son premier long métrage, Le Fils de Saul. Qu’est-ce que cela impliquait ?

László travaille beaucoup avec des plans-séquences, donc la part de montage n’est pas très grande. Ce n’est pas un cinéma de montage. J’étais là pour voir si les plans faisaient sens, si les intentions étaient réalisées à l’écran, si le rendu était beau. On a donc mis en place cette forme un peu atypique de travail sur ses deuxième et troisième courts métrages, si bien que quand il était sur le point de réaliser son premier long métrage, Le Fils de Saul, il m’a demandé de venir le monter. Et on a reconduit un peu ce qu’on avait déjà fait sur ses courts métrages. Quand on travaille avec des plans très longs et des plans-séquences, on peut faire seulement trois choses : on peut couper le début du plan, la fin du plan ou le plan tout court. On n’a pas de marge de manœuvre. Le montage doit être intégré au tournage lui-même. C’est sur le fil du rasoir, il n’y a pas de filet de sécurité.

Pour Sunset, vous avez à nouveau changé de poste. Vous êtes coscénariste avec Clara Royer et László Nemes.

Sur Le Fils de Saul, j’étais également consultant scénario, script editor, on va dire. Je donnais beaucoup de retours sur le scénario et sur Sunset, comme on avait développé le film avant le tournage du Fils de Saul, on a coécrit le film avec László et Clara Royer, qui était déjà la coscénariste du Fils de Saul. On a développé l’histoire ensemble. Moi j’étais plutôt responsable de la structure, de la conception des situations, des séquences, des personnages. Comme Clara et László avaient écrit le premier ensemble, ils étaient plutôt chargés de la rédaction des scènes.

Comment vous est venue l’idée de Sunset ?

László avait eu cette idée d’une jeune femme dans une grande ville européenne, avant la Première Guerre mondiale et cette idée le hantait. Alors on a commencé à développer le scénario avec Clara et moi ; on a beaucoup cherché. Finalement, le film s’est situé à Budapest, en 1910, c’est-à-dire au sein de l’empire austro-hongrois. Je pense qu’il y a chez László le désir de continuellement enquêter sur la question du mal dans l’Histoire. C’est quelque chose qui revient de film en film. L’héroïne est une modiste qui travaille dans un magasin de chapeaux pour dames. Après avoir grandi dans les marges de l’empire, à Trieste, elle arrive à Budapest, au début du film, pour travailler dans ce magasin qui a appartenu à ses parents, décédés quand elle était jeune. Elle finit par découvrir l’existence d’un frère qu’elle ne connaissait pas et qui se révèle être un assassin. C’est l’histoire d’une jeune femme qui est prise entre deux mondes : le monde sophistiqué, raffiné d’un magasin de chapeaux pour dames et un monde nocturne, plus violent, qui est celui de son frère.

Comment se déroule le tournage ?

On tourne en juin, juillet et août, tout l’été. Il y a quelque chose de très différent en Hongrie, par rapport à la France, par exemple : on travaille vraiment en famille. L’équipe, le chef opérateur, Clara, l’ingénieur du son, Tamás Zányi – qui est un maître en la matière – et même le chef décorateur… László travaille avec ces collaborateurs-là depuis son premier court métrage. Ça fait une dizaine d’années qu’on travaille ensemble. C’est très agréable. C’est pas non plus étonnant que les rôles ne soient pas exactement identiques à ceux d’un tournage plus installé, plus ordinaire. C’est une sorte de famille. Pour le décor, on ne tourne pas du tout dans les studios budapestois. Tout est quasiment filmé en décor réel. Le décor principal, le magasin, a été construit – et c’est très impressionnant, d’ailleurs – directement dans les rues de Budapest.

Notes

Notes
1 Le moniteur qui permet de visionner les plans shootés, ndlr
Sacha Rosset

Journaliste en formation à l'IJBA