Loïc « Lajos » Nego, le pied de nez à Viktor Orbán

Jeudi soir, il s’est passé une chose sensationnelle, quasi incroyable. Un Français, un franco-hongrois, a permis à la Hongrie de se qualifier pour le championnat d’Europe de football.

Le franco-hongrois Loïc Nego, à gauche, célèbre son but égalisateur contre l’Islande. Capture d’écran de la chaîne M4

Les choses étaient mal engagées. Une toile du gardien hongrois dès les premières minutes du match…des Islandais faisant la muraille de Chine dans leur surface pour défendre leur but d’avance…les minutes qui s’égrenaient rapprochant les Hongrois d’une cruelle désillusion…la crainte d’un contre assassin dont les Islandais ont le secret qui viendrait clouer le cercueil du onze magyar.

Et puis à la 88e, Loïc Négo. Profitant d’un cafouillage dans la surface, il propulsait le ballon dans les filets islandais et sauvait la patrie, deux petites minutes avant la fin du temps règlementaire. Sa nouvelle patrie, car le joueur de 29 ans né à Paris et formé au FC Nantes a été naturalisé magyar l’an dernier, après quelques saisons dans le championnat hongrois, d’abord avec le Újpest FC puis avec le MOL Fehérvár FC.

L’étincelante Puskás Aréna est restée de marbre, ses gradins déserts, personne n’a pu exulter non plus dans les bars, fermés. Mais des centaines de milliers de Hongrois ont forcément hurlé leur joie à chacun des deux buts (l’étoile montante du football magyar Dominik Szoboszlai doublant la mise quelques secondes plus tard) qui ont propulsé la Hongrie vers l’Euro, où elle retrouvera en juin l’Allemagne, le Portugal et… la France. A commencer par Viktor Orbán, qui a placé tant d’espoirs dans l’équipe nationale de son sport fétiche.

Nego, lui, n’a pas pensé à tout cela, trop heureux d’inscrire son premier but, dès sa troisième sélection, se précipitant vers la caméra pour embrasser les armoiries du maillot magyar.

Difficile de s’empêcher de se demander ce qui a alors pu passer par la tête de celui qui a fait vœu de maintenir une Hongrie « ethniquement homogène » et voudrait convaincre son peuple que tout ce qui lui est étranger est forcément mauvais. Difficile aussi de ne pas repenser au torrent raciste qui s’est déversé jusque dans la presse pro-Fidesz quand l’équipe de France a remporté la Coupe du Monde il y a deux ans contre la Croatie, la « petite nation blanche et chrétienne » ainsi soutenue par les caciques du parti.

Nego, lui, n’a pas pensé à tout cela, trop heureux d’inscrire son premier but, dès sa troisième sélection, se précipitant vers la caméra pour embrasser les armoiries du maillot magyar. « Je vis ici avec ma famille depuis de nombreuses années et je me sens vraiment chez moi ici. Je ne peux pas vraiment décrire ce que je ressens, mais j’ai beaucoup de respect pour les armoiries hongroises », a-t-il déclaré à la chaîne de publique de sport, après le match.

Pour ses coéquipiers et ses fans à Székesfehérvár, qui est aussi la ville de naissance de Viktor Orbán, il est Lajos, raconte le grand journal sportif Nemzeti Sport, qui lui consacre un portrait, le jour d’après. « Depuis le début, tout le monde a été très gentil et amical avec moi en Hongrie, ils ne m’ont jamais traité comme un étranger », complète-t-il. Il ne faut jamais réduire un pays à son dirigeant…

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).