Les électeurs du PiS ne sont pas ceux que vous croyez

Les électeurs du PiS ne seraient-ils que les revanchards de la « Pologne B », des perdants de la transition frustrés ? Une vaste étude sociologique qui casse ces idées préconçues a eu un grand retentissement en Pologne.

Article publié en janvier 2018 par Newsweel.pl sous le titre original Wyborcy PiS-u wcale nie są tacy, jak myśleliście. To badanie zupełnie zmienia ich postrzeganie. Article traduit du polonais au français par Klara Orlowska.

Les détracteurs du parti Droit et Justice (PIS) ont souvent présenté son électorat comme un groupe très (et même trop) revendicatif et acheté par Jarosław Kaczyński. Il leur aurait offert 500 zloty pour chaque enfant [ndlr : 125 euros] et une retraire plus précoce en échange du pouvoir en Pologne, oubliant la démocratie et l’Etat de droit. Cependant, une étude de sociologues de l’Université de Varsovie a dépeint une toute autre réalité.

Les auteurs de l’étude – le docteur Maciej Gdula et ses collaborateurs : Katarzyna Dębska et Kamil Trepka – se sont rendus dans une ville de la Mazovie [une région dans le centre et le nord-est de la Pologne, ndlr]. Son nom est un secret, mais elle se distingue par un soutien record pour le PiS lors des élections législatives de 2015. Les chercheurs ont voulu comprendre pourquoi les habitants de la « Miastko » (la ville) avaient voté aussi massivement pour le parti actuellement au pouvoir. Ils avaient également pour but de dresser un portrait de l’électeur moyen du parti de Jarosław Kaczyński. Le résultat ? Le rapport intitulé « Bon changement dans la Ville. Le néo-autoritarisme dans la politique polonaise du point de vue d’une petite ville » [1]« Dobra zmiana w Miastku. Neoautorytaryzm w polskiej polityce z perspektywy małego miasta », qui change à 180° notre perception des sympathisants du parti au gouvernement.

Ce n’est pas du tout une « Pologne B » frustrée [2]Référence à la division entre Polska A et Polska B, un moyen familier de désigner les disparités de développement régionales de la Pologne.

L’opinion publique croit que les votants PIS sont les « perdants » des transformations, habitant dans la « Pologne B », c’est-à-dire les régions de l’est. Non satisfaits de leurs vies, ne parvenant pas à s’adapter aux mutations globales, agités par multiples les ressentiments historiques.

Cependant, l’étude conclut que les électeurs du PIS ne se différencient en rien du reste de la population : on trouve parmi eux des personnes qui gagnent bien leur vie, satisfaites de leurs vies, optimistes quant à leur avenir, tout comme des moins fortunées et plus critiques quant à leur situation.

Les électeurs PiS ne sont pas des détracteurs systématiques de la Troisième République [ndlr : III RP ou Rzeczpospolita, l’actuel régime de la Pologne] ou des transformations politiques. Ils voient que beaucoup de choses dans le pays ont changé pour le meilleur et que la Pologne rattrape à toute allure le niveau de richesse des Etats occidentaux. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont dénués de critiques vis-à-vis des vingt-huit années passées.

Des démocrates à part entière

Les participants aux manifestations anti-gouvernementales aiment accuser les électeurs du PiS d’avoir permis l’installation de la « dictature », du « fascisme », de l’« autoritarisme ». Il découle cependant de l’étude du docteur Gduli et de ses collaborateurs que l’électorat du parti au pouvoir est fortement attaché à la démocratie. PiS a remporté les élections et a le droit de gouverner en réalisant ses promesses électorales. De plus, les manifestations anti-gouvernementales, plutôt que de faire douter les sympathisants du PiS, ne font que renforcer leurs convictions selon lesquelles ceux qu’ils ont élus en 2015 ne font que tenir leurs promesses.

« L’électorat du parti au pouvoir est fortement attaché à la démocratie »

Assez du mépris et des leçons !

Toutefois, la popularité du parti de Kaczyński vient d’ailleurs : de la lutte contre les « élites sociales », à l’encontre desquelles les électeurs du PiS ont de forts préjugés. Au vu des conversations menées dans le cadre de l’étude, il est clair que beaucoup des habitants de la « Miastko » se sont sentis pendant des longues années marginalisées et méprisés par ces élites. Il n’est donc pas étonnant, qu’ils aient eu marre et soutenu le parti qui a pris pour cible cette même élite, promettant une réorganisation de la structure sociale du pays.

PiS a profité de cela, construisant un message cohérent et une identité forte de son électorat, basés sur la désaffection non seulement de l’élite auto-exaltatrice mais également des diverses pathologies sociales ou « ennemis » intérieurs (par exemple, les réfugiés). Les sympathisants du « bon changement » [ndlr : « Dobra zmiana », le slogan électoral du PIS] ont aussi été lassés d’entendre les même slogans répétés chaque année, selon lesquels la Pologne est un pays en rattrapage et que tout ce qui est polonais est moins bon que ce qui est occidental. PIS a mis fin à ce récit, parfois même avec excès – ce qu’on peut clairement voir aujourd’hui. Cette direction a payé car ceux dont on s’est toujours moqué, les « Janusze » et « Grazyny » de la province et des petites villes, ont enfin senti que l’on parlait d’eux et que l’on parlait leur langue. [3]Janusz et Grazyna sont deux noms polonais associés à des caricatures de l’ignorance et de la simplicité dérisoire attribuées à une partie des Polonais.

« Les sympathisants du PiS ont été lassés d’entendre dire que tout ce qui est polonais est moins bon que ce qui est occidental ».

Le sel de la terre

L’entreprise clé du PiS, le coup de grâce, fut de persuader toute la masse, c’est-à-dire les simples polonais, qu’ils constituent le sel de la terre polonaise, qu’ils symbolisent la normalité et, qu’à ce titre, ils méritent de se sentir supérieurs aux élites corrompues et pourries. C’est sur cette opposition entre la « normalité » et l’« élitisme » que le PiS a bâti sa popularité. C’est pour cette raison que dans la rhétorique du parti il n’y a pas de « milieu » : soit tu es un simple Polonais, soit tu soutiens les élites corrompues ; soit tu supportes la Pologne, soit tu la dénonces à l’étranger.

La dignité restaurée

La conséquence naturelle des deux points précédents fut la restauration de la dignité des électeurs du PiS. Une des plaintes principales des interlocuteurs du docteur Gduli et ses collègues était ce manque de respect, surtout de la part de ces élites haïes. Le PiS a compris ces ressentis et a parfaitement construits ces antagonismes latents, comme le montre le leitmotiv de la politique étrangère, « relever la tête » [ndlr : en polonais, « Wstawanie z kolan », soit littéralement « se lever de ses genoux »].

Les devises de la droite faisant de la Pologne le dernier bastion de la chrétienté en Europe ou « le rempart » protégeant le Vieux Continent de la « crue » des réfugiés-islamistes a eu un impact encore plus grand. Elles ont permis aux pro-PiS de ressentir enfin de la fierté d’être Polonais, de donner un sens à leur vie et à leur participation à la vie politique. Et c’est cela qui constitue un capital gigantesque pour le parti politique.

Les détracteurs du programme « 500+ » se trompent également quand ils clament que les Polonais ont vendu leur liberté en contrepartie du social. Pas du tout ! L’étude prouve que les sympathisants du PiS ne voient pas ce programme comme un cadeau extraordinaire et qui exige leur reconnaissance. Ils considèrent plutôt que les familles polonaises méritent tout simplement cet argent qu’aucun gouvernement n’avait décidé de leur verser jusque-là. Ce programme emblématique du PiS a également un aspect fondamental de l’égalité : les 500 zlotys attribués pour chaque enfant sont versés aussi bien aux « simples » polonais qu’aux représentants des élites éduquées des grandes villes.

L’équipe blanche et rouge

Respectés et appréciés dans la rhétorique du PiS, les électeurs du parti se sont très vite sentis appartenir à une même communauté – « l’équipe blanche et rouge » mentionnée à plusieurs reprises par l’ex-Première ministre Beata Szydło. Ils ont ressenti une relation non seulement avec un parti politique spécifique, mais aussi avec les autres membres de cette communauté. Banalité ? Pas du tout. Chaque psychologue et sociologue dira que le besoin d’acceptation et d’appartenance est l’un des plus forts. La Plateforme civique [ndlr : parti précédent au gouvernement, Platforma Obywatelska, PO] n’a pas su créer un tel sentiment de communauté. Son électorat était uni plus par un objectif spécifique (le développement) ou le pragmatisme (la fameuse « eau chaude dans le robinet »). [4]« L’eau chaude dans le robinet » est l’expression courante en Pologne pour décrire le fait que la Plateforme civique n’a fait que satisfaire les besoins de base : l’Etat devait assurer certaines conditions minimales, sans volonté de développement ou amélioration.

« Le combat imaginaire contre le flot des terroristes est devenu un autre élément qui unit fortement les électeurs du PIS ».

Le réfugié, l’ennemi éternel

Le PiS a également un as dans sa manche, de nature à sauver le parti quand des fissures et des rides apparaissent dans son récit. C’est la figure de l’ennemi, de l’étranger. Pendant des années, la formation de Kaczyński a placé la Plateforme civique et Donald Tusk dans ce rôle. Mais, avant la victoire de 2015, un autre ennemi a été trouvé, beaucoup plus facile à utiliser. Nous nous rappelons tous quand Kaczyński a parlé des réfugiés porteurs de maladies et des zones de certains pays européens où règne la charia. Après la prise du pouvoir, ce message a été perfectionné, en même temps que sa diffusion dans les médias publics.

La figure du réfugié (étranger) remplit en soi parfaitement la figure de l’ennemi, unissant l’électorat du parti au pouvoir. Lorsque le PIS a associé réfugiés et terroristes, l’effet a dépassé toutes les attentes. En quelques mois, d’une société bienveillante à l’égard des étrangers et ouverte aux réfugiés, les Polonais devinrent une société plongée dans la peur, qui refusa sans hésitation l’enseignement de l’Église catholique sur l’aide au prochain.

Cependant, le PiS a offert à ses électeurs non seulement l’ennemi, mais aussi l’absolution de la répression de cet ennemi. Les Chrétiens pourraient être accusés de xénophobie et de racisme envers les migrants, mais comme ces migrants sont des terroristes, le problème se résout de lui-même. Personne n’exige que les terroristes soient aidés. Le combat imaginaire contre le flot des terroristes est devenu un autre élément qui unit fortement les électeurs du PIS.

Notes

Notes
1 « Dobra zmiana w Miastku. Neoautorytaryzm w polskiej polityce z perspektywy małego miasta »
2 Référence à la division entre Polska A et Polska B, un moyen familier de désigner les disparités de développement régionales de la Pologne.
3 Janusz et Grazyna sont deux noms polonais associés à des caricatures de l’ignorance et de la simplicité dérisoire attribuées à une partie des Polonais.
4 « L’eau chaude dans le robinet » est l’expression courante en Pologne pour décrire le fait que la Plateforme civique n’a fait que satisfaire les besoins de base : l’Etat devait assurer certaines conditions minimales, sans volonté de développement ou amélioration.