Péter Magyar, journaliste hongrois, correspondant de l’agence de presse italienne ANSA, nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur la vaste réforme des médias entrée en vigueur le 1er janvier. M. Magyar a aussi travaillé comme journaliste à l’agence de presse hongroise MTI, de 1970 à 1993, puis à l’hebdomadaire HVG.
La réforme des médias modifiera-t-elle, selon vous, la façon de travailler des journalistes ?
Un éditeur ne se risquera pas à heurter le Conseil des médias pour éviter des amendes qui peuvent ruiner une entreprise pour une année. Le directeur de l’édition surveillera les contenus et pourra indiquer au rédacteur en chef de ne pas publier telle ou telle chose. Faut-il publier ou non ? Que risquons-nous ? Il y aura des discussions de ce type dans les rédactions. D’autant que les organes de presse vivent plus difficilement qu’avant en raison d’une baisse généralisée du lectorat.
La nouvelle législation aura donc un véritable impact sur la liberté de la presse en Hongrie…
Je le pense. Mais cela dépendra aussi du courage des journalistes. Si beaucoup d’entre eux prennent des risques, alors les limites de la liberté de la presse seront repoussées et la loi ne pourra pas fonctionner. J’ai travaillé durant 23 ans à l’agence de presse MTI, dont vingt années pendant le régime communiste. MTI était alors le principal organe de contrôle de la presse car c’était la seule source d’information pour les autres journaux et les nouvelles étaient publiées ou non et rédigées selon la volonté du pouvoir.
Je connais donc très bien la façon de travailler dans ces conditions. Chaque fois que nous voulions publier quelque chose mais que nous sentions que cela pouvait déplaire, nous devions choisir de prendre le risque ou pas. Le risque d’un coup de téléphone du gouvernement et de sanctions, parfois très dures. Quelque fois cela passait, alors nous pouvions repousser un peu plus loin les limites. C’était notre lutte quotidienne. Nous étions toujours à la limite. Mais la plupart des journalistes ici en Hongrie n’aiment pas le risque et pratiquent l’autocensure. C’est en renforçant cette autocensure que la nouvelle loi peut nuire.
Pensez-vous que les pressions internationales peuvent contraindre la Hongrie à faire machine arrière ?
C’est la grande question. Un premier test aura lieu vendredi avec la venue de M. Barroso à Budapest. C’est la première fois que Viktor Orbán rencontre une opposition aussi forte et nous ne savons pas comment il va réagir. Je suis très curieux de le voir. Peut-être acceptera-t-il d’apporter des modifications au texte, mais on peut tout aussi bien imaginer une réaction dure de sa part, car c’est dans son caractère.
Est-il envisageable que la Hongrie se contente de suspendre sa loi seulement le temps de sa présidence européenne ?
Je crois que c’est ce qui peut se passer. Peut-être que M. Orbán enverra des gestes d’apaisement à l’intention de Bruxelles. Mais la loi restera. Il pense à plus long terme de toute façon. Dans deux ou trois ans, à l’approche des prochaines élections…Le gouvernement ne prendra pas le risque de sanctionner un média pendant sa présidence. Un seul cas de sanction gouvernementale contre un journal libéral aurait un écho mondial trop important. Ces six mois seront exemplaires pour prouver que les critiques internationales n’étaient pas fondées.
Pourquoi le premier ministre, si solidement installé en Hongrie, ressent le besoin d’une telle loi ?
Avec le temps, la Fidesz va être contrainte de mettre en œuvre des mesures très impopulaires, comme elle l’a déjà fait, par exemple, avec les fonds de pension privés. Les gens vont alors commencer à perdre leurs illusions. La Fidesz a peur de perdre sa majorité, c’est pourquoi elle cherche à influencer et à canaliser l’opinion publique par le contrôle des médias.
Il existe aussi une autre raison. La Fidesz est considérée comme un parti de droite conservatrice, mais au fond, elle est aujourd’hui plus proche des communistes que les socialistes [héritiers du parti unique MSzMP, ndlr] ne le sont. Son système de pensée unique est marqué par cette période communiste et est, je crois, peu tolérant. Le pluralisme des pensées qui existe en Europe n’a aucune tradition en Hongrie.
Ce système de pensée autoritaire est en partie hérité du passé mais a aussi des racines plus profondes. François-Joseph, considéré comme « le bon père du peuple », a été extrêmement populaire en Hongrie, tout comme l’amiral Horthy [Régent du Royaume de Hongrie de 1920 à 1944, ndlr] après lui, puis Kadar [dirigeant communiste de 1956 à 1988, ndlr] jusque dans les années 70. L’opinion publique hongroise exige d’être dirigée par un pouvoir paternaliste et protecteur. Viktor Orbán, qui a du charisme, de l’étoffe, le ressent profondément et veut être ce « bon père du peuple ». Sauf que Kadar avait l’Union soviétique avec lui, alors qu’Orbán a l’Union européenne contre lui. Les années à venir nous diront si cette protection tant espérée s’est avérée.
Propos recueillis par Corentin Léotard_Hulala
D’après cet article, Hongrie : un proche d’Orban mis en cause devant le nouveau Conseil des médias il semblerait que certains journalistes soient toujours prêts à prendre le risque de déclarations incitant à la haine des communistes et à la stigmatisation des juifs. « Le président de la Zöld Baloldal (la Gauche verte, ZB) a déposé une plainte auprès de l’autorité des médias contre le journaliste Zsolt Bayer », indique le parti à l’origine de la procédure, sur son site internet.
La nouvelle loi permettra-t-elle de condamner ce type de propos ?
Excellente initiative… je m’étais fait la même réflexion : les journalistes de droite qui vomiront leur haine de tous les mauvais hongrois « intellos de buda, juifs, homosexuels, gauchistes » seront ils inquiétés par cette nouvelle loi.
Et puisqu’il faut respecter « l’objectivité politique » : faire quotidiennement l’éloge de Don Viktor, si bon si grand si beau et si merveilleux, est-ce objectif? Sinon, est-ce condamnable?
Il faudrait un assaut coordonné de juristes progressistes pour saturer ce conseil de plaintes farfelues, ça pourrait être drôle….