In memoriam : Mihály Rózsa, l’homme libre

Mihály Rózsa, journaliste hongrois francophone, est décédé à la fin du mois de décembre. Il a été – parmi bien d’autres choses – directeur artistique à l’Institut hongrois de Paris, correspondant à Paris du « Népszabadság »,…et contributeur de Hulala en 2013. Nous avons demandé à une amie et ancienne collaboratrice de Hulala, Claire Hunyadi, qui l’a bien connu, de raconter l’homme qu’il fut.

Misi,

Écrire « in memoriam » devant ton nom est une chose affreuse. Tu nous as quitté la semaine dernière en laissant un grand vide dans nos cœurs. Je voudrais par ces lignes te rendre hommage, à toi, l’homme le plus libre qu’il m’a été donné de rencontrer. Je laisse à nos confrères journalistes, tes amis de la culture hongroise et française le soin de faire le portrait de l’homme professionnel – d’un grand professionnalisme- que tu as été. Je voudrais parler de l’homme formidable que tu as été. Une amie disait de toi à l’annonce de ton décès qu’il y a des gens qu’on oublie, toi on ne t’oubliera jamais. Qu’on ne t’eusses vu qu’un petit moment, tu savais te rendre inoubliable. Ton regard bleu azur captait le regard des autres, ta façon d’écouter les gens parler avec cette attention particulière qu’ont ceux qui sont durs d’oreille (l’étais-tu vraiment ?) donnait à quiconque l’impression que ce qu’ils disaient était extrêmement important.

Tous les sujets t’intéressaient, cela frisait parfois l’indiscrétion mais tu ne voyais pas de mal à cela, « pourquoi ? » ou plutôt « pourquoi pas ? » était souvent ta réponse, ou plutôt ton leitmotiv oui, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas goûter au moins une fois da sa vie un joint, pourquoi ne pas tenter cette chose ou de telle manière ? Pourquoi ne pas goûter ces insectes frits ? Si d’autres en mangent… Tu avais soif de tout, tu voulais toujours tout savoir, être à la page des plus récents potins, des plus récents évenements qui se passaient dans ta ville. Pas un vernissage, pas une exposition ou nouvelle pièce de théâtre ne t’aurait échappé. Dieu que j’aimais aller à l’opéra avec toi ! Tu aimais tant la musique au point qu’il était impensable de t’offrir un CD, non il fallait écouter du « live » ou rien. Du free jazz au rock, d’opéra en concert de musique de chambre, tu étais partout. Souvent quelque part dans un coin, les yeux fermés sur le petit banc derrière dans une loge. Au moins une fois par semaine, tu te nourrissais de notes et d’harmonies et c’était bon de les partager avec toi.

Tu étais libre car tu faisais exactement ce que tu avais envie, et c’est rare. Tu aimais, certes, jusqu’au jour où tu n’aimais plus. Néanmoins, tu es resté intègre et digne en toute occasion. Tu adorais voyager (qui n’aime pas ?) mais tu trouvais toujours ces petits recoins, ces petits cafés qui n’existaient dans aucun guide. Le plus souvent, tu te laissais guider par tes propres pas. Tu marchais sans cesse, à un rythme qu’il était parfois difficile de suivre, je te vois encore avec ton pardessus gris d’où dépassait immanquablement le « és » (le journal littéraire Élet és irodalom), tu voulais tout voir, tout entendre. Ce que j’aimais le plus chez toi était que tu étais toujours à l’écoute des autres, tes cadeaux étaient toujours très personalisés quitte à ramener un presse-ail du dernier cri quand tu me voyais pester contre mes instruments de cuisine. Tout était choisi avec le plus grand raffinement : celui du cœur.

Dieu que tu étais drôle, ton humour « juif d’Europe centrale », tes remarques exacerbées, bien placées faisait de toi un homme qu’on aime ou qu’on redoute, mais nombre de tes amis te choyaient pour cette raison. Tu avais parfois des idées fixes qui te rendaient encore plus drôle, comme par exemple que le cinéma en 3D n’existe pas et que c’est une fumisterie marketing et on riait ! On riait quand tu te fachais « ugyan ugyan » mais enfin ! voyons ! je ne saurais jamais si tu le pensais vraiment.

Tu parlais un français impeccable et c ‘était si bon de partager avec toi ces deux cultures. Tu étais tout aussi à l’aise dans un cercle francophone ou autre, malgré cette grande timidité qui te rendait exubérant pour mieux le cacher. Tu aimais les gens, leurs différences, leurs particularités. Ta générosité d’âme était sans limite. Dieu que nous t’aimions, Dieu que tu me manques. J’ai été ta femme, un peu, juste un peu. Mais l’homme de ma vie, tu resteras.

Claire Hunyadi.