Hongrie : Attila Mong dénonce « la dictature de l’indifférence »

Traduction d’un article d’Attila Mong, publié le 27 mai 2013 sur le site HVG.hu.

En Hongrie, il ne s’agit pas d’une dictature de Viktor Orban ; il s’agit d’une dictature issue de l’indifférence. Une indifférence pour la politique qui submerge les citoyens. Ce n’est pas avec Viktor Orban que tout cela a commencé et cela ne s’achèvera probablement pas avec lui.

« C’est tellement dégoûtant que tout est possible ici » – a posté l’un de mes amis sur Facebook après avoir lu les nouvelles révoltantes du scandale des concessions des bureaux de tabac[1]. En se basant sur les commentaires de mes amis proches, nous pourrions penser qu’une vague d’indignation provoquée par l’affaire va renverser ce « régime dictatorial corrompu ».

Heureusement (ou plutôt malheureusement, je ne souhaiterais pas entrer dans les détails), j’ai beaucoup d’amis sur Facebook. Ainsi cela me donne une vue d’ensemble plus variée de la réalité en Hongrie, sans parler des personnes que je connais dans la vie réelle et non pas via des réseaux sociaux. Certains parmi mes amis sur Facebook ne s’intéressent pas au scandale des concessions des bureaux de tabac et ne cessent soit de poster des photos de leurs gâteaux faits-maison, de leurs petits-enfants qui s’amusent dans la piscine, de leurs femmes dans des positions quelconques, soit de dire « bonjour » chaque matin comme si de rien n’était. Mon préféré est celui qui poste la météo chaque matin sur son mur.

En lisant ces commentaires, d’une part je suis ravi de voir que les Hongrois ont une vie privée (mais quelle vie privée), mais d’autre part, il faut avouer que l’idéologie de la grande majorité, sur le plan culturel, n’a guère changé depuis 1985[2]. A partir de 1956 et même aujourd’hui, cette vie privée s’arrête à la grille de notre résidence secondaire au lac Balaton ; les citoyens du régime de Janos Kadar ont essayé de protéger leur « petit jardin » à tout prix, c’est-à-dire leur droit à la vie privée. Selon l’accord conclu entre le régime et les citoyens, la vie privée de l’individu est plus ou moins respectée à condition qu’il ne s’engage pas en politique. A l’époque une telle indignation provoquée par l’affaire des concessions des bureaux de tabac n’aurait pas eu raison d’être car, toujours selon cet accord, la corruption était monopolisée par le parti unique. C’est une caractéristique inébranlable de ce régime ; personne en dehors du système n’avait accès aux affaires les plus rentables.

Je ne suis donc pas du tout surpris quand je consulte des statistiques portant sur les faits suivants : l’effet négatif du scandale des concessions des bureaux de tabac sur la popularité du parti Fidesz n’est pas significatif ; bien que la majorité de la population souhaite changer de gouvernement, le parti gouvernant est bien en selle et remporterait facilement la victoire en cas d’élections. Parce que depuis des années, je vois les gens qui s’isolent des groupes politiques, ceux qui arrêtent de s’occuper des affaires publiques, voire même de donner leurs avis, ceux qui éteignent la télévision juste avant les nouvelles et ceux qui s’en fichent, comme en 1985. Je vois cette masse de plusieurs millions de personnes (35-40% des votants) qui ne veut élire aucun parti politique, et qui refusent de plus d’être interrogés sur ce sujet. Cette attitude est grandement nourrie par l’opposition actuelle, mais selon moi la situation est encore plus grave.

Car en Hongrie il ne s’agit pas d’une dictature de Viktor Orban; il s’agit d’une dictature issue de l’indifférence. Une indifférence pour la politique qui submerge les citoyens. Ce n’est pas avec Viktor Orban que toute cette histoire a commencé et probablement elle ne s’achèvera pas avec lui. Sous le régime de Janos Kadar, l’indifférence, une manifestation de l’instinct naturel de l’homme, était l’élément essentiel de la survie. Le changement de régime a offert l’opportunité de mettre en pratique des droits démocratiques, et donc de réintroduire la notion de citoyen proprement dit. Rappelons-nous la promesse « irréaliste » de créer une Hongrie démocratique (sic !). On ne peut même pas dire que les gens ne voulaient pas essayer de s’intéresser aux affaires publiques. Dans les années 1990, les fameuses affaires de corruption, le scandale de Marta Tocsik et la révélation des secrets du père du premier ministre étaient parmi les plus importantes nouvelles sur les chaînes commerciales privées, figuraient à la une des journaux. En revanche, petit à petit, l’indifférence a regagné les âmes des citoyens à la suite de nombreuses déceptions.

Viktor Orban est le politicien qui connaît et comprend le mieux le peuple de sa génération. Après son échec électoral de 2002, il s’est rendu compte qu’il est possible (à conditions avantageuses) de bâtir tout un système sur cette indifférence qui apparaissait petit à petit. Depuis, il évoque le citoyen du système de Janos Kadar dans chacun de ses discours ; il s’adresse à lui, il le cajole. De même, il parle du pays de 10 millions de « combattants de la liberté » ; c’est ainsi qu’il informe les petits-bourgeois individualistes du système de Janos Kadar qu’ils demeurent  les rois de leurs petits jardins, à condition qu’ils n’interviennent pas dans le « jeu des adultes ». C’est le régime catastrophique des socialistes qui a grandement contribué à l’accomplissement desdites conditions avantageuses pendant ces 8 ans. Cette ère avec le scandale de Őszödi beszéd, l’affaire D-209[3], le scandale de boîte Nokia[4] a provoqué autant de déceptions que les citoyens ont plutôt renoncé à la démocratie.

Résultat : l’introduction d’un système pareil à celui de Janos Kadar était inévitable.

La plus grande tragédie de ces 20 dernières années : l’élite du changement de régime n’a pas été capable de créer des conditions politiques permettant à la population de se comporter comme des citoyens et d’avoir l’impression que son vote et son opinion comptent.           Jozsef Antal, Gyula Horn, Ferenc Medgyessy, Ferenc Gyurcsany et Viktor Orban ; la responsabilité de ces hommes politiques dans l’apparition de ce phénomène ne fait aucun doute. Viktor Orban, qui  a insisté sur les plus belles idées libérales démocratiques dans sa jeunesse, bâtit pour son cinquantième anniversaire un système qui l’a effrayé à l’époque ; un système dont la seule force cohésion est l’indifférence.

Traduction d’Ádám Fáczán

 


[2]C’est en 1985 que le cadre juridique de futur changement de régime a été établi.

[3] Peter Medgyessy, l’ancien agent secret du système de Janos Kadar, voulait cacher son passé devant le public.

[4] Une histoire de pot-de-vin en 2010

9 Comments
  1. Je ne connais pas cet écrivain, mais étant hongrois, vivant en Hongrie, je trouve cette « analyse » plus qu’erronée de la situation actuelle. Je connais beaucoup d’électeurs de Fidesz, et dire que leur cohésion c’est l’indifférence est soit un énorme mensonge, soit simplement que l’écrivain vit dans son « univers paralélle » et connait rien sur ce qui se passe en Hongire.
    D’ailleurs nommer le régime actuel « dictature » montre bien que l’écrivain ignore complétement les attaques brutales de la police ex-comminste á l’époque de gyurcsány, ou veut-il les ignorer?….

  2. Analyse impeccable…Attila Mong a dresse’ un portrait de l`univers hongrois digne d`un mirroir a 360 degres…et d`ailleurs ca suffit de se ballader en ville comme en province et de voir comment vivent les gens pour constater les 3 grands defauts de la societe’ hongroise actuelle : l`immobilisme, l`indifference et je dirais meme une certaine superficialite’ consumeriste ( la derniere sans doute importee apres la chute du communisme)….

  3. Attila, est hongrois, habite en Hongrie et ne connait pas Attila Mong et c’est ce monsieur qui nous parle d’un monde parallèle, allo, non mais allo quoi ! 😉
    Zs.

  4. Il y a beaucoup d’Attila en Hongrie, je ne connais pas tous, désolé. Pour cet « écrivain » je ne le regrette méme pas. Il doit publier ses « sagesses » dans les média « libres » dont les « révélations » ne m’intéressent pas.

    « En Hongrie, il ne s’agit pas d’une dictature de Viktor Orban ; il s’agit d’une dictature issue de l’indifférence. »
    Suis-je le seul de trouver cette phrase par exemple ridicule?
    La question n’est plus pour ce « savant » s’il y a une dictature en Hongrie, mais seulement quelle est son origine!
    En plus, je n’ai pas lu les déclarations de ce « savant » en 2006, quand la police de gyurcsány a tiré des balles de caouchucs sur les manifestants pacifiques. Lá, ce n’était pas de dictature, parce que ce sont les ex-comminustes…. ils ont le droit á tout. Quelles logique de « démocratie »!

  5. Pauvre Attila!
    Il voit des communistes a tous les coins de rue, peut-etre meme cachés sous son lit, qui sait???
    Quel cauchemar ! Je ne l’envie pas…

  6. Est-ce que M. Mong entend par « indifférence » l’attitude conservatrice qui méprise le prêchi-prêcha marxiste, qui affirme que tout ne se vaut pas, qu’il y a des principes plus hauts, des civilisations supérieures, au-dessus même de la liberté ?

  7. M. Mong étant largement á cóté de la plaque, affirme une dictature d’indifférence en Hongrie. S’il connaissait la société ou aurait un minmum de sens de réalité saurait qu’il est ridicule de parler d’indifférence et de dictature actuellement en Hongrie.
    Une indifférence aurait attiré 400.000 personnes pour manifester leur soutient au gouvernement actuel… bien súr…
    Une dictature quand tous les médias attaquent le gouvernement hongrois pour ses décisions qu’il estime normale dans tous les autres pays d’Europe (changement multiple des directives de la constitution = luxembourg, contróle du comité des médias par le gvt = italie…..).

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