La grève de la cocarde

La cocarde tricolore ne fait plus l’unanimité en Hongrie le jour de la fête nationale. Peut-être parce que le pouvoir a dévoyé le patriotisme en nationalisme ?

Mais où sont donc passées les cocardes ? Il y a dix ans, se promener dans les rues de la capitale hongroise sans arborer sur la poitrine les couleurs nationales piros-fehér-zöld un 15 mars, était quelque chose d’un peu inconfortable. Dans les rues et dans les transports publics, peu de gens sortaient sans la kokárda.

Le 15 mars dernier aussi il ne fallait pas chercher beaucoup pour croiser des personnes portant la cocarde. Mais l’évidence sautait aux yeux : ceux ne l’arborant pas était considérablement plus nombreux. Et la fréquence allait décroissant à mesure que l’on s’éloignait de l’épicentre du tremblement patriotique, le Musée national où Viktor Orbán tenait discours.

« La nation hongroise se renforce et se dresse », proclamait-il devant une assemblée de peut-être trois mille personnes, réduite à peau de chagrin au regard de l’affluence lors des fêtes nationales il y a quelques années. Des personnes âgées dans leur très grande majorité, que l’on imagine avoir été acheminées depuis les campagnes du pays, au vu de la rangée de dizaines de bus garés le long de l’avenue Rákoczy. « Grâce à son talent et à son travail acharné, elle recevra à juste titre la reconnaissance de la communauté des nations européennes. Le nom de la Hongrie sera à nouveau digne de sa grande renommée passée ».

En extrapolant un peu ces observations, peut-on aller jusqu’à dire qu’il ne se trouve guère plus que les gens de droite (Fidesz et Jobbik) pour revêtir ce symbole patriotique ? Cette évolution ne serait pas illogique : depuis des années, le Fidesz a accaparé l’Etat et les symboles de la nation, dévoyé la patriotisme en nationalisme et nié l’existence d’un peuple de gauche, pourtant tout aussi hongrois et patriote que lui. Après tout, il n’est pas besoin d’aller bien loin pour trouver d’autres exemples de pays empêtrés dans pareille impasse…

Dans un registre similaire, il est tout aussi frappant de noter que les autocollants représentant la Grande Hongrie historique accolés à l’arrière des voitures sont bien moins nombreux aujourd’hui qu’au milieu des années 2000, au moment où le Jobbik et des mouvements irrédentistes tels que le HVIM ont commencé leur ascension fulgurante.

Photo prise le 15 mars 2017 à Budapest par hulala.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).