En Pologne, avorter en temps de pandémie, un parcours du combattant

Les Polonaises désirant avorter ont été mises à la double peine ces derniers mois par la décision du tribunal constitutionnel interdisant l’avortement en cas de malformation du fœtus mais aussi (et surtout) par la pandémie. Les voyages à l’étranger pour mettre un terme aux grossesses non désirées alors que de nombreuses restrictions sont toujours en place relèvent plus que jamais du défi.

Les recherches pour cet article ont été en partie financées par n-ost, avec le soutien du Bureau fédéral allemand des Affaires étrangères.

2020 et 2021 auront été cauchemardesques pour les Polonaises. Le 27 janvier 2021, le jugement du tribunal constitutionnel polonais restreignait le droit à l’avortement aux seuls cas de viol et de danger pour la vie de la femme enceinte. Mais depuis quelques mois déjà, la pandémie de Covid-19, et sa mobilité entravée au sein de l’espace Schengen, aura affecté les centaines (les milliers ?) de femmes qui se rendaient annuellement dans un pays tiers pour avorter. On ne dispose que d’estimations des organisations pro-choix mais elles seraient 100 000 femmes résidant en Pologne (entre 80 000 et 200 000 selon d’autres sources) à avoir recours à une IVG chaque année. La grande majorité d’entre elles ont lieu à domicile jusqu’à la douzième semaine de grossesse.

Car si les médecins en Pologne n’ont évidemment pas le droit de prescrire d’avortement médicamenteux, rien n’interdit d’y avoir recours par soi-même, en s’administrant des pilules (mifepristone et misoprostol ou autre prostaglandine) induisant un avortement spontané. Ces deux substances peuvent s’acheter sur Internet mais pour éviter toute arnaque ou toute poursuite, les Polonaises peuvent s’adresser à deux organisations internationales : Women on Web et Women Help Women qui les livrent contre une participation financière bénévole et après avoir rempli un questionnaire médical. Sans compter que la misoprostol, qui a elle seule peut mettre un terme aux grossesses non désirées dans 85 % des cas, est en réalité disponible dans les pharmacies polonaises, sur prescription, sous le nom de Cytotec ou Arthrotec.

Ces possibilités d’avortement « DIY » et sans danger (ou presque) ont fait chuter ces dernières années le nombre IVG clandestines pratiquées dans des cabinets privés en Pologne. Pour celles qui préfèrent néanmoins un avortement chirurgical ou qui ont dépassé le terme, reste l’IVG dans les pays voisins, soit, par ordre a priori de popularité : la Slovaquie, l’Allemagne, la République tchèque (jusqu’à la douzième semaine de grossesse), l’Autriche (jusqu’à la 14e semaine) ou au-delà jusqu’à la 24e semaine, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

Avortement sans frontière

Et c’est là que la pandémie, ses confinements, ses écoles fermées, ses quarantaines et tests obligatoires et autres restrictions de voyages se sont avérées un véritable casse-tête. Par chance, trois mois avant la pandémie, Abortion Without borders, une incitative visant à aider les Polonaises à accéder à l’avortement était née. Ce regroupement de collectifs et d’organisations pro-choix rassemble deux entités polonaises (Kobiety w Sieci, Abortion Dream Team) et quatre organisations basées au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne (Abortion Support Network, Abortion Network Amsterdam, Women Help Women, Ciocia Basia).

« Ce qui nous inquiète bien plus, ce sont les gens qui pensent que l’avortement est justement impossible et ne nous appellent pas ».

« Nous avons aidé des milliers de personnes à accéder à l’avortement durant la pandémie et seulement deux ou trois d’entre elles n’ont pas pu y parvenir. Le Covid-19 n’est qu’un obstacle de plus. Une personne qui a fait appel à Abortion Support Network par exemple a eu son vol annulé six fois ! » témoigne Mara Clarke, fondatrice de Abortion Support Network, une organisation caritative britannique qui facilitent (et finance si besoin) l’avortement des Polonaises à l’étranger – entre autres ressortissantes de l’UE privées du droit à l’avortement. Et la militante pro-choix précise que seules deux Polonaises n’ont pas pu avorter en temps de pandémie : l’une, ne se voyait pas voyager à l’étranger avec son enfant qu’elle n’a pu faire garder ; l’autre, victime d’un accident de voiture, n’a pas pu gagner le Royaume-Uni avant la 22e semaine. « Ce qui nous inquiète bien plus, ce sont les gens qui pensent que l’avortement est justement impossible et ne nous appellent pas ».

Il y a pourtant bien eu des moments plus tendus que d’autres. Lors du seul véritable confinement qu’ait connu la Pologne, de mi-mars jusqu’au 5 mai, les frontières sont restées fermées (et ce jusque début juin) même si elles ont pu être franchies sur présentation d’un document attestant d’une urgence médicale. « À l’annonce de la fermeture des frontière, notre numéro d’urgence en Pologne a reçu 115 appels en deux jours. Les gens paniquaient. Et puis, les aéroports ont fermé… Les toutes premières semaines ont été un peu compliquées » reconnaît Mara Clarke. Cette Américaine qui vit au Royaume-Uni pointe vers toute une série de difficultés auxquelles les résidantes en Pologne, souhaitant avorter à l’étranger ont dû faire face « il faut expliquer à votre famille ce qui vous amène à voyager en temps de pandémie, la garde d’enfant est plus compliquée, une quarantaine vous attend au retour… Mais cela montre bien ce que les personnes concernées sont prêtes à faire pour mettre un terme à toute grossesse non désirée ».

En République Tchèque, un tout nouveau collectif formé à la suite de l’annonce du jugement du tribunal constitutionnel fin octobre 2020, assiste désormais les Polonaises qui souhaitent venir y avorter.

« Tante Tchéquie » à la rescousse

En République Tchèque, un tout nouveau collectif formé à la suite de l’annonce du jugement du tribunal constitutionnel fin octobre 2020, assiste désormais les Polonaises qui souhaitent venir y avorter, à l’image de deux autres initiatives aux noms similaires « Tante Vienne » et « Tante Barbara » à Berlin. Environ 80 personnes ont ainsi eu recours à l’aide de « Ciosia Czecia » (« tante Tchéquie ») pour une IVG ces derniers mois. Jolanta, une des fondatrices du groupe, regrette qu’avec la situation sanitaire critique en Tchéquie, il soit impossible pour les personnes venues de Pologne de pouvoir rester au-delà de quelques heures après l’opération. « On savait depuis le début qu’on pourrait difficilement accueillir les gens. Mais on aimerait vraiment pouvoir offrir un espace sûr et calme à ces personnes, qui en sont parfois privées chez elles. Ça serait vraiment bien qu’elles puissent rester un jour de plus et souffler un peu. Parfois les gens craquent et heureusement qu’on est là pour assurer un certain soutien mental ».

Autre obstacle de taille : avec des transports en commun parfois restreints, il est désormais quasiment impératif de pouvoir compter sur une voiture avec chauffeur pour se rendre en République Tchèque et rentrer dans la journée : après une l’anesthésie générale, il en en effet dangereux de prendre tout de suite le volant. Le collectif, qui ne collecte aucune statistique, confirme tout de même qu’ils ont aidé autant des femmes en proie à une grossesse non désirée que celles qui portaient un fœtus atteint de malformation.

« L’autre restriction qui pèse dans notre cas, c’est qu’en temps de pandémie, la personne ne peut être accompagnée à l’hôpital. Dans certaines cliniques, le personnel parle polonais et cela aide beaucoup, mais si la personne se rend dans un hôpital public, c’est un peu problématique… ». C’est d’autant plus délicat évidemment que parfois les personnes sont jeunes et ne sont jamais sorties de Pologne de leur vie. « Cela demande énormément d’efforts des deux côtés pour relever le défi de la pandémie » souligne la bénévole vivant à Prague, avant de conclure. « Restreindre le droit à l’avortement en temps de pandémie est un désastre : ton propre Etat te force à voyager car il n’assure plus ta protection. Mais tu ne peux pas le faire librement car nous sommes en pleine pandémie ».

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.